Situation de la dette publique et privée en Afrique subsaharienne

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1. La menace de la dette en Afrique subsaharienne

L’encours de la dette extérieure publique de l’Afrique subsaharienne a triplé entre 2010 et fin 2018, passant de 160 milliards $US à environ à 600 milliards de dollars, dont 500 milliards à long terme, composés de 370 milliards dus à des organismes publics et 130 dus à des personnes privés. La Chine détient 40 % de la dette africaine. Pour certains pays, le service de la dette représente plus de 25 % de leurs revenus, les pays dépensent plus dans le remboursement de dette qu’ils n’en consacrent aux services essentiels. Les pays riches investissent 8 % de leur PIB dans des mesures de relance économique, tandis que les pays africains dépensent 0,8 % de leur PIB, des différences importantes entre les pays.

En l’espace d’une dizaine d’années, la dette totale (publique et privée, intérieure et extérieure des pays dits en développement (PED) est passée de 120 % à 191 % du PIB, avec une proportion de 28 % de dette publique et 72 % de dette privée. On remarque une nette augmentation de la part détenue par les créanciers privés, passant de 41 % en 2000 à 62 % en 2018 [1].

2. Les PED en situation de surendettement ou en suspension de paiement

Selon les dernières statistiques du FMI, en début 2020, dix (10) pays africains connaissent un niveau élevé d’endettement mais les pays les plus endettés du continent sont loin d’être ceux auxquels l’on pourrait penser. Ces pays sont : le Soudan, avec une dette publique équivalant à 207 % du PIB, l’Érythrée (165,1 %), le Cap-Vert (123,5 %), le Mozambique (108,8 %), l’Angola (95,0 %), la Zambie (91,6 %), l’Égypte (84,9%), la Gambie (80,9 %), la Mauritanie (78,5 %) et la République du Congo (ou Congo- Brazzaville, 78,5 %). L’Afrique francophone est la moins endettée, avec un taux de 50,1 % du PIB pour cet ensemble de 25 pays, en début 2020, c’était de 44,1 % pour sa partie subsaharienne composée de 22 pays. Le Mozambique avait déjà du mal à rembourser sa dette extérieure de 14 milliards de dollars soit 130 % du PIB en cette année 2020 [2].


Le fameux moratoire :

En réponse à la pandémie de coronavirus, le 19 mars 2020 les ministres africains des Finances appelaient « à l’exonération des paiements d’intérêts sur la dette et les obligations souveraines d’un montant de 44 milliards de dollars et la constitution d’un fonds supplémentaire de 50 milliards de dollars pour faire face au report du paiement des intérêts de la partie non-annulée de la dette africaine. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) propose quant à elle un plan de soutien de 2 500 milliards $US pour les pays du Sud, plan comprenant une annulation de la dette 1 000 milliards. Pour ce faire, la CNUCED appelle à la création d’un mécanisme pour réaliser une telle opération.

Face à ces constats, le G20 a opté pour une suspension, en décidant le 15 avril dernier de reporter du 1er mai au 31 décembre 2020 les échéances du service de la dette dues par 77 pays, parmi lesquels 40 pays africains, pour un montant de 20 milliards de dollars. Pour la France, qui détient 45 milliards de créances sur 41 pays africains, l’effort porte sur 1 milliard d’euros, dont 300 millions d’euros dus à l’AFD. En revanche, il n’y a pas de moratoire sur les dettes privées, dont les 68 pays éligibles auront versé près de 10,22 milliards de dollars à des créanciers privés, et les 46 pays qui bénéficient de la suspension du service de la dette auront versé 6,94 milliards à des créanciers privés. Cela représente 1, 64 milliard de dollars de plus que ce qu’ils reçoivent des créanciers bilatéraux au titre de la suspension de la dette. En marge des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI qui se tiennent du 12 au 18 octobre, les ministres des Finances du G20 se sont réunis mercredi le 14 octobre 2020 et ont décidé de prolonger de 6 mois, jusqu’au 30 juin 2021, l’ISSD.

La liste des bénéficiaires a été réduite à 73 dont 46 pays avaient confirmé leur participation à l’ISSD, 4 pays étant exclus en raison de leurs arriérés envers le FMI ou la Banque mondiale (Érythrée, Soudan, Syrie et Zimbabwe). D’après les analyses conjointes de la Banque mondiale et du FMI sur la viabilité de la dette, parmi les 26 pays qui n’ont pas demandé à rejoindre l’initiative, 11 pays présentaient un risque élevé de surendettement en août 2020. Il s’agit du Ghana, d’Haïti, du Kenya, de Kiribati, du Laos, des îles Marshall, de la Micronésie, des Samoa, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, de Tuvalu et de la Zambie. Le montant total de la suspension est de 5,3 milliards de dollars, cela ne représente que 1,66 % de ce que l’ensemble des pays en développement doivent rembourser. Selon la Banque mondiale, la dette des 73 pays a augmenté de 9,5 % en 2019, atteignant un record de 744 milliards de dollars US.

Rappelons tout de même que le montant global de la dette des pays éligibles à l’initiative du G20 est estimé à un peu plus de 750 milliards de dollars, soit 1 % du PIB du G20 de 2019 (78 286 milliards dollars), moins que le plan d’aides adopté par le parlement allemand (1100 milliards d’euros) ou que celui des États-Unis (2000 milliards de dollars) … une goutte d’eau dans l’océan de la finance ! L’annulation de la dette est économiquement possible mais pas de volonté politique pour aller dans ce sens. Si l’UE et les États-Unis ont pu débloquer 2 500 milliards de $US pour soutenir leurs économies depuis le début de la crise, effacer la dette de 3 000 milliards de $US des 135 pays du Sud, soit 83 % de la population mondiale, ne semble pas être un obstacle insurmontable. Surtout qu’un fonds fiduciaire destiné à compenser les pertes des institutions multilatérales avait été créé et financé par les contributions des bailleurs, la vente des réserves d’or du FMI. Cette annulation pourrait être financée par les bénéfices provenant de la seule vente de 6,7 % de l’or détenu par le FMI qui rapporterait 8,2 milliards de dollars aux pays pauvres. [3]

3. Dette et fuite des capitaux en Afrique

Le déficit de financement pour atteindre les objectifs de développement durable, estimé à 200 milliards de dollars par an. Chaque année, on estime que 88,6 milliards de dollars quittent le continent africain sous forme de fuite illicite de capitaux. L’Afrique pourrait gagner 89 milliards de dollars par an en réduisant les flux financiers illicites. C’est aussi important que le total de l’aide publique au développement, évalués à 48 milliards de dollars et les investissements directs étrangers, estimés à 54 milliards $US ».

Avec des FFI estimés à 836 milliards $US entre 2010 et 2015, et une dette extérieure de 770 milliards $US en 2018, l’Afrique est un créancier net du reste du monde. A fin 2017, l’Afrique comptait 148 000 individus fortunés ayant une fortune cumulée de 920 milliards de dollars, selon l’étude « Africa Wealth Report 2018 », publiée le 12 septembre. Le montant global de la richesse privée a atteint 2300 milliards de dollars [4].

4. Luttes et alternatives

A l’annonce du moratoire :

A l’échelle africaine, des communiqués de presse, des articles, des émissions radiophoniques, des débats télévisés et des conférences de presse ont été réalisées pour nuancer l’annulation au moratoire contrairement au discours de Macron.


Campagne africaine pour l’Annulation de la dette menée par CADTM Afrique et le WoMin :

Un appel à l’Union africaine, aux chefs d’État africains et aux institutions financières internationales pour une annulation totale et inconditionnelle de la dette africaine a été rédigé et a reçu la signature de plus 300 organisations. Nous sommes en train de converger les différentes initiatives à l’échelle africaine. Une action continentale, sous régionale et nationale sera menée pour attirer l’attention du public surtout les classes appauvries. D’autres actions de plaidoyer seront menées en direction des cibles primaires et secondaires responsables de la gestion de la dette.


Initiative pour l’Annulation de la Dette Africaine (IADA) :

Face à la pandémie du Covid-19 et à la suite de l’appel lancé par le Président Macky Sall pour une annulation totale de la dette, des échanges approfondis ont eu lieu entre différents groupes d’acteurs, en vue de faire converger leurs initiatives. C’est ainsi que plusieurs organisations syndicales, politiques, du secteur privé et des ONG, ainsi que des personnalités de divers horizons, ont décidé de lancer une initiative commune, fédératrice, pour mobiliser le maximum de forces au Sénégal, en Afrique et dans le monde.

L’objectif est de développer les actions d’envergure nécessaires, par-dessus les clivages partisans, en vue d’obtenir la satisfaction de cette exigence de justice et d’humanité. Le CADTM Afrique est membre de cette IADA.


Semaine d’Action mondiale contre la dette et les institutions financières internationales :

Beaucoup de webinaires entre les organisations anti dette ont été réalisés au cours desquels, une lettre ouverte à tous les gouvernements, institutions et prêteurs internationales a été rédigée et validée. Dans toute l’Afrique, des mouvements et organismes se mobiliseront pendant un mois, du 10 octobre au 9 novembre, pour lancer une convergence d’initiatives visant à renforcer le mouvement africain de lutte contre la dette. Vous trouverez des actions locales et nationales dans les pays, une série de conversations panafricaines en ligne, et d’institutions nationales, sous-régionales et régionales avec des déclarations africaines.

5. Recommandations

  • Annuler les créances illégitimes et odieuses réclamées à des pays tiers par les pays du Nord afin de promouvoir des formes de développement souveraines, solidaires et autocentrées des pays du Sud ;
  • Apporter leur soutien à la mise en place des audits citoyen sur leur territoire afin de procéder à l’annulation des dettes réclamées à des pays tiers et ayant été identifiées comme illégales, insoutenables, illégitimes et/ou odieuses ;
  • Soumettre à un audit à participation citoyenne tous les traités bilatéraux et multilatéraux sur les investissements et sur le commerce et en suspendre l’application durant la durée de l’audit. Abroger tous les traités qui seront jugés illégitimes et / ou abusifs ;
  • Dénoncer et couper les liens avec les régimes et les gouvernements despotiques dans les pays du Sud qui signent ces accords parce qu’ils en profitent à tous les niveaux pour s’enrichir et détourner des fortunes vers l’étranger ;
  • Sortir de l’OMC et appeler à une campagne internationale contre cette institution ainsi que ces deux congénères, BM et FMI, pour leur remplacement par des institutions démocratiques de solidarité ;
  • Mettre fin aux mécanismes de règlement des différends qui permettent aux grandes entreprises de réclamer des sommes colossales aux États si ceux-ci prennent des mesures d’intérêt général qui diminuent les bénéfices d’intérêts capitalistes privés. Le gouvernement instituera alors une procédure pour quitter le CIRDI (= organe de la Banque mondiale) et l’Organe de règlement des différends de l’OMC en sortant d’ailleurs de celle-ci ;
  • Instituer une procédure d’arbitrage acceptée et légitime qui consiste à poursuivre les entreprises transnationales dans sa juridiction nationale et à augmenter leur pénalisation financière en fonction de la gravité de leur violation de la souveraineté des peuples, des normes sociales et environnementales ;
  • Lancer un vaste programme d’audit à participation citoyenne pour mettre en évidence toutes les formes de spoliation et d’exploitation des peuples du Sud ;
  • Exproprier les « biens mal acquis » par les gouvernants et les classes dominantes du Sud et les rétrocéder aux populations concernées et sous leur contrôle ;
  • Financer les pays du Sud, hors aide publique au développement, par des prêts à taux zéro, remboursable en tout ou partie dans la devise souhaitée par le débiteur ;
  • Mettre à disposition des populations des pays du Sud à travers leurs associations/organisations autonomes, l’ensemble des documents, y compris ceux classés « secret défense », pouvant permettre de faire la lumière sur l’origine des dettes réclamées par les différentes catégories de créanciers ;
  • Abroger une série de traités internationaux, multilatéraux et/ou bilatéraux (économiques, commerciaux, politiques, militaires, etc.) contraires à l’exercice de la pleine souveraineté des États du Sud et aux intérêts des peuples du Sud et plus largement à l’intérêt général de l’humanité ;
  • Appeler et participer, avec les pays du Sud à la création d’institutions internationales multilatérales alternatives démocratiques (sur le principe d’un pays = une voix), équitables et sous contrôle des peuples ;
  • Reconnaître leur dette écologique à l’égard des pays du Sud et procéder à des réparations et/ou compensations en récupérant le coût de ces dépenses par un impôt ou des amendes prélevées sur les grandes entreprises responsables de la pollution ;
  • S’opposer à la promotion systématique du secteur privé pour financer le développement des pays du Sud, et notamment s’opposer à la promotion des PPP.

Notes :

[1http://www.senat.fr/rap/r19-560/r19-5602.html

[2https://www.financialafrik.com/2020/10/14/les-dix-pays-africains-les-plus-endettes-et-a-la-grandefragilite- face-a-la-crise/

[3https://www.cadtm.org/Non-Macron-n-a-jamais-eu-l-intention-d-annuler-la-dette-africaine et Les limites du système ISSD (Initiative de suspension du service de la dette) du G-20 (cadtm.org)

[4Flux financiers illicites : Afrique première créancière au monde (cadtm.org) et https://www.agenceecofin.com/gestion-de-fortune/1909-60093-lafrique-compte-148-000-individus-fortunes-possedant-920-milliards-a-fin-2017-selon-new-world-wealthet-afrasia-bank

Broulaye Bagayoko 

membre de la Coalition des Alternatives Africaines Dette et Développement (CAD-Mali) et Secrétaire Permanent du CADTM Afrique (Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes) Tél : 65 88 11 53/74 90 73 95 e-mail : secretariatcadtmafrique chez gmail.com

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