Inflation : quand les industriels se gavent

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Pourquoi gémir sur l’inflation ? Il suffit d’expliquer ce qui la provoque.

Selon l’Insee, on apprend qu’en avril les prix ont rebondi à 5,9% sur un an, que le gaz, l’électricité et le pétrole ont progressé de 7% sur la même période et que les produits alimentaires ont pris dans le même temps 14,9% !

Cette hausse à deux chiffres fait paniquer l’opinion. La situation va-t-elle durer ? Ajouté à la réforme des retraites, vue par beaucoup comme une manière déguisée de tasser les salaires, le maintien du niveau de vie en France devient un sujet de première importance. Nul doute qu’il va le rester.

À la caisse, le consommateur rechigne tout en se faisant une raison : payer sa plaquette de beurre deux fois plus cher, c’est une manière pour lui d’être solidaire des petits Ukrainiens, comme on le faisait naguère avec les petits Africains qu’on nous montrait à table le visage envahi de mouches.

Cette raison fait fi d’une réalité toute différente. Si le consommateur trinque, c’est que les industriels se gavent, que l’Ukraine est un effet d’aubaine.

Aubaine ? Le terme est-il exagérément polémique ? Voilà ce qu’écrit Philippe Escande : « La pandémie de Covid-19 à partir de 2020, puis la sortie de crise chaotique se sont avérées finalement une aubaine pour nombre d’industriels qui ont retrouvé un pouvoir de fixation des prix sur le client. C’est désormais eux qui entretiennent les prix élevés, alors que ceux de l’énergie, des matières premières et même de la logistique, au départ de la vague d’inflation, refluent depuis le début de l’année 2023. »

Question à cent sous pour Bruno Le Maire : pourquoi continue-t-on à se faire racketter, alors que les prix à la production refluent ? De quelle farce sommes-nous les dindons ? Le jargon économique a ceci d’amusant qu’il habille la vulgarité de l’argent dans des costumes trois pièces ornés de savantes courbes statistiques. Les Diafoirus du business se montrent pénétrés par la science, alors qu’ils ne vibrent qu’au bruit métallique du tiroir-caisse.

Ce qui importe, c’est de voir en détail ce qui structure le prix, tel qu’il figure dans les comptes nationaux. Philippe Escande cite Denis Ferrand, économiste et directeur général de l’institut Rexecode – qui en dénombre quatre : « Le plus important est le coût des achats intermédiaires, dont les matières premières. Il pèse pour 56 % du prix, puis viennent les salaires, pour 24 %, et enfin les marges (18 %) et les impôts (2 %). »

Après, il faut voir comment chaque ligne bouge. Ferrand poursuit : « sur la période 2019-2022, la hausse des prix intermédiaires a représenté 80 % de celle des prix de production, la progression des salaires 12 %, et les marges se sont à l’inverse contractées de 0,2 % ». Logique : les 80 % coïncident avec la flambée des matières premières.

Sauf que, sur le dernier trimestre 2022, survient une « inversion spectaculaire », toujours selon Ferrand : « Soudain, les marges ont représenté 62 % de l’inflation. » Oui, vous lisez bien : il n’est plus question des matières premières, de l’Ukraine et tutti quanti. Il s’agit bien de marges : « Non seulement, ajoute Escande, les chiffres d’affaires grimpent, suivant en cela la hausse des prix, mais les profits bondissent bien au-delà, et pratiquement dans tous les secteurs. »

Bien sûr, à la décharge des industriels, on conçoit l’opportunité d’un rattrapage et l’effet de latence qui l’accompagne, comme le souligne Ferrand : « Il faut compter six mois entre la hausse des coûts des matières premières et sa répercussion sur le prix de production, et encore trois mois du prix de production au prix de détail. »

Mais cette mécanique d’ajustement n’explique pas tout. Les profits des industriels s’inscrivent dans le cadre d’une évolution cyclique de l’économie. Par exemple, dans le secteur des puces électroniques, observe Escande, « on engrange des profits en prévision des prochaines baisses, et les constructeurs auto engrangent des munitions pour investir dans la voiture électrique et se remettre des années de vaches maigres ». En clair, l’inflation s’explique par l’anticipation.

Cet argument a ses limites. Ce que Le Monde fait surtout observer, c’est que dans le rapport de forces entre industriels et distributeurs, les premiers prennent leur revanche sur les seconds, traditionnellement honnis. Cette inversion se fait au détriment du consommateur dont le seul pouvoir serait de moins acheter.

Deux questions sont en suspens : d’abord, quelle sera l’attitude du gouvernement ? « Des négociations dans la grande distribution au rayon alimentaire pourraient se rouvrir à l’été, comme le demande le ministère de l’économie », écrit Escande. Ensuite, la plus importante : la demande s’épuisera-t-elle ? Viendra bien un jour où le portefeuille du consommateur ne pourra plus suivre.

Source: LSDJ (Louis Daufresne)

Akondanews.net

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