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Ils n’ont ni défilé sur le tapis rouge ni reçu de palme. Pourtant, leur présence a éclipsé tous les projecteurs du dernier Festival de Cannes. 4.986 enfants de moins de cinq ans, tués à Gaza, dont les noms ont été portés sur un t-shirt par un homme dont le courage mérite respect : Julian Assange, ou celui qui, par ce simple acte, a transformé la mode en manifeste, le tissu en tombeau vivant, et Cannes en tribune pour les sans-voix.
À l’heure où les strass et les robes de créateurs envahissent les écrans, cet hommage silencieux mais déchirant brise l’omerta sur l’un des drames les plus atroces de notre temps : la mort systématique d’enfants dans un conflit qui nie leur droit le plus élémentaire — celui de vivre.
Une crise née de la dépossession
Pour comprendre cette tragédie qui ensanglante le Proche-Orient depuis plus de 75 ans, il faut remonter à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la création de l’État d’Israël en 1948 sur les terres de la Palestine historique. Cette fondation, saluée par l’Occident traumatisé par la Shoah, s’est accompagnée d’un drame immense pour les Palestiniens : la Nakba, ou “catastrophe”, qui vit l’exode de plus de 700 000 Palestiniens expulsés ou fuyant la guerre.
Depuis, les territoires palestiniens — d’abord la Cisjordanie, puis Gaza — n’ont cessé de se réduire, grignotés par les colonies israéliennes, l’occupation militaire, les blocus et les murs de séparation. Gaza, en particulier, est devenue une prison à ciel ouvert : 2,3 millions d’habitants entassés sur 365 km², soumis à un blocus depuis 2007, privés d’eau potable, d’électricité stable, de soins de santé dignes.
Enjeux politiques : domination et déni de souveraineté
La question palestinienne est avant tout politique. Il ne s’agit pas d’un “conflit religieux”, comme on le caricature souvent, mais d’un peuple privé de ses droits fondamentaux : liberté de circulation, accès à ses terres, autodétermination nationale.
Israël, fort de son alliance stratégique avec les États-Unis, agit en puissance régionale dominante, imposant sa loi par la force, les check-points, les détentions arbitraires et les bombardements. Les autorités palestiniennes, divisées entre le Fatah en Cisjordanie et le Hamas à Gaza, peinent à incarner une gouvernance unifiée, souvent affaiblie ou délégitimée.
Enjeux géopolitiques : intérêts croisés et cynisme international
Le conflit israélo-palestinien est aussi un nœud géopolitique majeur, où s’entrecroisent des intérêts régionaux et internationaux.
• Les États-Unis soutiennent massivement Israël, lui fournissant des milliards de dollars d’aide militaire chaque année. Ce soutien est à la fois stratégique (ancrage au Moyen-Orient) et idéologique (défense d’un État “démocratique” au milieu de régimes autoritaires).
• L’Europe, bien que critique, se contente souvent de condamnations molles et d’un rôle humanitaire. Elle redoute l’accusation d’antisémitisme à chaque dénonciation du régime israélien.
• Les pays arabes, longtemps défenseurs officiels de la cause palestinienne, ont pour la plupart normalisé leurs relations avec Israël (Émirats, Maroc, Bahreïn…), reléguant la Palestine au second plan de leurs priorités stratégiques.
• Enfin, la Russie, la Turquie, l’Iran, et plus récemment la Chine, cherchent à s’y positionner, non pour résoudre le conflit, mais pour y défendre leurs propres intérêts dans l’équilibre mondial.
Enjeux économiques : territoire stratégique et contrôle des ressources
Derrière la violence, il y a aussi des intérêts économiques puissants. La Palestine est située au carrefour de routes commerciales historiques, à proximité du canal de Suez, et sur une façade maritime stratégique.
Israël tire profit de cette situation en contrôlant les exportations et importations vers Gaza, en exploitant les ressources hydrauliques de Cisjordanie et en vendant des technologies de sécurité testées sur le terrain. L’économie palestinienne, quant à elle, est étranglée, dépendante de l’aide internationale et incapable de se développer.
Conséquences humaines : une catastrophe humanitaire chronique
Les chiffres sont effrayants : depuis 2008, plus de 15 000 Palestiniens ont été tués, dont une majorité de civils. Des milliers d’enfants ont été blessés à vie, traumatisés, amputés. Les écoles, les hôpitaux, les habitations sont régulièrement visés. À Gaza, plus de 80 % de la population dépend de l’aide humanitaire.
Mais au-delà des statistiques, il y a des vies brisées, des enfances volées, des générations qui ne connaissent que la guerre, les drones, les explosions et le deuil.
Julian Assange : un t-shirt comme tombeau vivant
Dans ce contexte, le geste de Julian Assange n’est pas anodin. En portant les noms de ces 4.986 enfants sur sa poitrine, il a fait ce que la diplomatie refuse de faire : regarder la vérité en face. Ce n’était pas une provocation. C’était une offrande silencieuse à ceux que le monde veut oublier.
Il faut le saluer, lui rendre hommage, non pour son audace médiatique, mais pour son humanité intacte, pour cette capacité à nous rappeler que chaque nom est une vie, et que chaque vie compte, même à Gaza.
L’image de cet homme et de son t-shirt orné de noms est une archive de l’indicible. C’est aussi une arme pacifique contre l’oubli. En les inscrivant sur son corps, il inscrit ces enfants dans notre conscience. Il nous dit : “Ils ont existé. Vous ne les effacerez pas.”
Alors oui, félicitons Julian Assange. Non pour avoir provoqué. Mais pour avoir rendu visible l’invisible, et pour avoir porté, avec dignité, l’un des messages les plus urgents de notre temps : plus jamais ça.
La paix ne se décrète pas. Elle se construit sur la mémoire, sur le respect mutuel et sur la vérité.
ElloMarie, conscience africaine, analyste politique et contributeur à Akondanews
Akondanews.net