Lecteur Audio
Getting your Trinity Audio player ready...
|
La scène est surréaliste. D’un côté, des ouvrages et infrastructures structurantes à couper le souffle. Six magnifiques stades de football de « classe FIFA coupe du monde », de larges voies express, des échangeurs, des tunnels, des autoroutes, etc. dans un « pays au bord du paradis ».
De l’autre, des démolitions sans ménagement et des déguerpissements sans état d’âme à semer le désespoir et la désolation. Dans les villes de l’intérieur recevant la compétition et dans la plupart des communes d’Abidjan, les étals et commerces au bord des voies sont rasés et cassés et le petit peuple, désemparé dans un pays au bord de l’enfer.
Et l’engouement pour accueillir une compétition, que les autorités veulent « la plus belle de toutes les éditions », est contenu. Au grand dam du président du comité d’organisation. « Si vous voulez sentir la CAN, faites un tour à l’aéroport, dans les hôtels, les maquis…, » a déclaré, dépité, François-Albert Amichia.
C’est un aveu du désamour de la rue, qui ne vibre pas du tout, du désintérêt d’une partie de la population dont le coeur ne bat pas au rythme de l’événement, dans ce pays de joie et d’animation pourtant imité mais rarement égalé.
Après les menaces sur l’authenticité des maillots des Éléphants à porter par les supporters, les agréments avant la diffusion des matchs dans les maquis et tavernes, qui ont refroidi toutes les ardeurs, la police s’en est mêlée. Elle a procédé à l’interpellation d’un citoyen qui, exprimant son opinion divergente, a demandé le boycott de la CAN 2023.
Au pays de l’unanimisme, aucun son discordant ne peut être toléré. Et c’est la diffuse et permanente peur, qui a gagné les coeurs pour gâcher une fête du football continentale, la deuxième que la Côte d’Ivoire organise, après 1984.
Quarante ans après cette 14è édition, tous les nostalgiques de cette époque se rappellent l’effervescence populaire et tous les bals alors dominés par le titre makossa « Osi tapa lambo lam » du chanteur camerounais Moni Bilé.
En revanche, la 34è édition (13 janvier-11 février 2024) est gagnée par une relative morosité. Même l’hymne officiel de cette CAN n’accroche pas. Au point que les Gadji Celi et Chantal Taïba sont sortis de leur silence pour entrer en studio, à l’effet de « rechauffer » leurs titres qui ont galvanisé les Ivoiriens en 1988 et 1996 notamment.
Le ver est, en effet, dans le fruit. Contrairement à 1984, sous Félix Houphouët-Boigny, la CAN 2023 baptisée CAN de l’hospitalité est en train de tourner, comme pour Adolf Hitler aux JO de 1936, à la seule gloire d’une autorité: Alassane Ouattara. Il n’incarne plus l’État. Il est l’État.
500 milliards de nos francs ont été engloutis (dépensés ou détournés) pour mettre en avant et à la lumière, grâce à la formidable machine de propagande, l’image d’une Côte d’Ivoire nouvelle, forte et unie derrière la « chance et le bâtisseur » du pays. Il faut présenter aux étrangers, qui ont de gros yeux mais ne voient pas, un grand pays sans aucune tache, pacifique et tolérant, qui a vaincu sa belligérance.
La politisation à outrance de l’événement cherche, et c’est de bonne guerre, à faire diversion pour dissimuler les maux de la société ivoirienne: fracture d’un pays face à l’échec du processus de réconciliation nationale avec des prisonniers politiques internés depuis 2011, agonie de la démocratie et mauvaise gouvernance ayant conduit les diplomates accrédités en Côte d’Ivoire à réclamer le carton rouge contre tous les délinquants à col blanc.
Sans compter que chat échaudé craint l’eau froide dans un climat politique délétère. Les Ivoiriens n’oublient pas que le pont Henri Konan Bédié a donné lieu à un deuxième mandat présidentiel d’Alassane Ouattara en octobre 2015.
Et après le passage en force en octobre 2020, si l’inauguration du pont Alassane Ouattara est censée autoriser, avant octobre 2025, plusieurs autres mandats, il est certain que le sacre des Éléphants à cette CAN, va donc consacrer la présidence à vie.
De ce fait, tous ces calculs de politiciens, qui cherchent à conserver le pouvoir d’État ad vitam et par tous les moyens, ternissent l’enjeu de la grand-messe et fissurent l’union sacrée autour de l’équipe nationale, qui vise le troisième trophée continental, après le 26 janvier 1992 à Dakar (Sénégal) et le 8 février 2015 à Malabo (Guinée équatoriale).
F. M. Bally
Akondanews.net