Lecteur Audio
Getting your Trinity Audio player ready...
|
Dakar, 7 juin 2025 — Ce qui n’était jusqu’ici qu’une tragédie ensevelie dans les plis contestés de l’Histoire coloniale française refait aujourd’hui surface avec la force silencieuse des ossements. Dans le cimetière militaire de Thiaroye, en banlieue de Dakar, des fouilles archéologiques engagées en mai ont permis la découverte de squelettes humains portant des impacts de balles dans la poitrine, selon plusieurs sources médiatiques sénégalaises. Ces restes, associés à des balles de calibres variés, pourraient bel et bien appartenir aux tirailleurs africains massacrés le 1er décembre 1944 par les forces coloniales françaises.
Une vérité historique à reconstituer, os après os
Mandatée par l’État sénégalais, une équipe d’archéologues de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) mène une mission sensible et historique : identifier les dépouilles et établir avec rigueur scientifique l’ampleur du massacre de Thiaroye, longtemps minimisé ou passé sous silence. Jusqu’à présent, seule une infime partie du site a été fouillée. Des analyses balistiques et des prélèvements ADN sont en cours afin de consolider les découvertes et d’en établir formellement l’origine.
Les résultats de cette campagne seront directement remis au Président de la République du Sénégal. Il s’agit non seulement d’une démarche mémorielle, mais aussi d’un acte politique de réappropriation historique, dans un contexte où les anciennes puissances coloniales sont de plus en plus interpellées sur leur responsabilité passée.
Rappel des faits : le massacre de Thiaroye, 1er décembre 1944
Le 1er décembre 1944, à Thiaroye, des soldats africains ayant combattu pour la France – majoritairement d’anciens prisonniers de guerre revenus d’Europe – réclamaient le paiement de leurs soldes et une juste reconnaissance de leurs droits. Face à la mutinerie pacifique de ces combattants, l’armée coloniale française a réagi avec une violence disproportionnée.
Les archives officielles françaises ont longtemps affirmé un bilan de 35 morts, chiffre inscrit dans les rapports militaires de l’époque. Mais depuis des décennies, des historiens africains et anticoloniaux dénoncent une manipulation et évoquent plus de 300 morts, voire jusqu’à 400 selon certaines estimations. Le silence des autorités françaises et le traitement strictement militaire de l’affaire ont contribué à étouffer cette vérité pendant des générations.
Une réhabilitation inachevée
Le massacre de Thiaroye est devenu au fil du temps un symbole du mépris colonial et de la trahison envers ceux que l’on appelait “les enfants de l’Empire”. En 2014, l’ancien président français François Hollande, lors d’une visite officielle au Sénégal, avait reconnu une “répression sanglante”, mais aucune responsabilité juridique ni réparation n’a jamais été engagée.
Pour nombre d’Africains, cette reconnaissance partielle reste insuffisante. Car la vérité historique exige aujourd’hui d’être appuyée par des preuves tangibles et des mesures symboliques fortes : reconnaissance du nombre réel de victimes, inscription du massacre dans les manuels scolaires, dédommagement des familles et réhabilitation posthume.
Vers une mémoire réparée ?
La redécouverte de ces restes humains à Thiaroye confirme les soupçons d’une falsification historique d’État. Pour les familles, les chercheurs et la jeunesse africaine, ces ossements sont les témoins muets d’un crime longtemps nié. Ils pourraient bien marquer un tournant : celui où l’Afrique n’attend plus que ses blessures soient racontées par d’autres, mais exhume elle-même ses vérités, les documente, et les transmet.
L’enjeu n’est pas uniquement mémoriel. Il est aussi géopolitique, culturel et identitaire. Ce que Thiaroye rappelle aujourd’hui avec insistance, c’est que l’Histoire coloniale ne s’est pas seulement écrite à coups de conquêtes, mais aussi de violences tues, de silences institutionnels, et de résistances étouffées.
L’exhumation des morts de Thiaroye, plus de 80 ans après les faits, est bien plus qu’une opération archéologique. C’est une opération de justice historique, qui rouvre une plaie mal refermée entre l’Afrique et la France. Alors que les preuves matérielles émergent enfin de terre, une question brûle désormais les consciences : combien de temps encore faudra-t-il attendre pour que justice soit pleinement faite aux tirailleurs de Thiaroye ?
Kakaboara, correspondant à Abidjan
Akondanews.net