Sortir du culte du chef : comment prévenir les crises dans nos partis politiques

Dans le paysage politique africain, européen ou latino-américain, les crises internes des partis ne sont pas rares. Scissions, rivalités, querelles de leadership, luttes de succession : autant de symptômes qui traduisent souvent une faiblesse structurelle et organisationnelle. Ces crises freinent la démocratie interne, fragilisent la cohésion et sapent la confiance des citoyens.

Mais pourquoi les partis tombent-ils dans ces pièges ? Parce qu’ils privilégient trop souvent le culte d’un leader charismatique au détriment d’une idéologie solide et d’une culture démocratique durable. Pour sortir de ce cercle vicieux, il est nécessaire d’adopter une série de stratégies visant à renforcer la vie interne des partis et à prévenir les crises.

Une idéologie forte comme boussole

Un parti sans idéologie est comparable à un navire sans cap : il vogue au gré des ambitions individuelles. L’histoire politique offre de nombreux exemples : en Afrique, plusieurs partis de l’après-indépendance se sont effondrés après la disparition de leur leader fondateur, faute de socle idéologique solide. À l’inverse, des partis comme l’ANC en Afrique du Sud ont survécu à des décennies de lutte, car leur projet politique (l’égalité et la lutte contre l’apartheid) transcendait les personnes.

En Europe également, les partis sociaux-démocrates ou démocrates-chrétiens se sont enracinés grâce à une vision claire de la société, qui a permis de maintenir leur unité malgré la succession des dirigeants.

Le débat interne, antidote aux fractures

Dans nombre de partis africains, la contestation interne est perçue comme une trahison. Or, c’est justement l’absence de débat qui alimente les frustrations et pousse certains militants à claquer la porte pour créer leur propre formation.

Prenons l’exemple du Parti socialiste français : longtemps traversé par des courants divers (rocardiens, fabiusiens, mitterrandiens…), il a réussi, malgré des tensions, à maintenir une unité relative grâce à des débats internes encadrés lors des congrès. Certes, ces débats étaient parfois vifs, mais ils offraient un espace d’expression légitime, évitant ainsi que les divergences se transforment immédiatement en crises destructrices.

En Amérique latine, le Parti des travailleurs (PT) au Brésil a également cultivé le débat interne, permettant l’émergence de nouvelles figures tout en conservant un cap idéologique clair.

Former pour renforcer

Un parti solide ne peut pas dépendre uniquement de quelques personnalités. Les jeunes et les femmes, souvent marginalisés, doivent être intégrés et formés. C’est ce qui permet au parti de renouveler ses cadres et d’élargir sa base de légitimité.

En Tanzanie, le Chama Cha Mapinduzi (CCM), héritier du parti de Julius Nyerere, a longtemps investi dans la formation politique de ses membres, garantissant ainsi une continuité idéologique et organisationnelle. À l’opposé, certains partis africains, concentrés autour d’un leader vieillissant, s’effondrent lorsque la relève n’a pas été préparée.

Des élections internes crédibles

Les crises de succession sont l’une des principales sources de déstabilisation. Quand les dirigeants sont choisis par cooptation opaque ou par simple volonté du leader, la frustration est inévitable.

À l’inverse, des élections internes crédibles renforcent la légitimité des responsables. L’exemple du Parti travailliste britannique est parlant : même si les luttes internes existent, le recours systématique au vote des militants pour désigner les chefs (Jeremy Corbyn hier, Keir Starmer aujourd’hui) a permis de pacifier la compétition.

En Afrique, certains partis comme l’UPC au Cameroun ou le NDC au Ghana ont tenté de mettre en place des primaires internes, une pratique encore trop rare mais essentielle pour crédibiliser la démocratie interne.

La rotation, clé du renouvellement

Le maintien prolongé d’un même leader crée une personnalisation excessive et nourrit la contestation. Dans plusieurs pays africains, cette logique a conduit à des scissions répétitives.

L’Amérique latine a montré une autre voie : au Mexique, le PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), qui a dirigé le pays pendant des décennies, pratiquait la rotation régulière des candidatures à la présidence. Même si ce mécanisme n’était pas exempt de manipulations, il permettait d’éviter qu’un leader s’accapare le pouvoir à vie.

En Afrique du Sud, l’ANC a également expérimenté une rotation au sommet, changeant de président de parti après chaque cycle, ce qui a évité de transformer le parti en propriété personnelle, même si les rivalités restent vives.

Transparence et responsabilité

La gestion opaque des finances et des décisions est un autre foyer de crise. Les militants, tout comme l’opinion publique, exigent aujourd’hui plus de transparence. En Europe, certains partis ont vu leur image durablement ternie par des scandales financiers internes.

Pour éviter cela, des mécanismes de contrôle doivent être instaurés : publication des comptes, reddition de comptes régulière, instances de contrôle indépendantes. Cela permet de désamorcer les soupçons et de renforcer la confiance interne.

Préparer la relève

Un parti qui ne prépare pas sa relève prépare sa mort. La relève ne doit pas être improvisée dans l’urgence d’une disparition ou d’une défaite électorale, mais anticipée.

Le cas du Rwanda est intéressant : même si le débat démocratique y est limité, le Front patriotique rwandais a engagé un processus de formation de jeunes cadres pour préparer l’avenir. En Europe, les Verts allemands ont mis en place une relève générationnelle réussie : après Joschka Fischer, une nouvelle génération (Robert Habeck, Annalena Baerbock) a pris le relais, assurant le dynamisme du parti.

cultiver la démocratie interne

Prévenir les crises dans nos partis politiques n’est pas une utopie. C’est une nécessité si nous voulons que la démocratie survive et que les institutions se renforcent. Les stratégies sont connues : idéologie claire, débat interne, formation, élections crédibles, rotation, transparence et préparation de la relève.

L’histoire politique montre que les partis qui ont négligé ces principes se sont affaiblis ou ont disparu, tandis que ceux qui les ont appliqués ont gagné en résilience. Le choix appartient donc aux acteurs politiques : continuer à entretenir le culte de la personne et le cycle des crises, ou bien bâtir de véritables institutions démocratiques, capables de durer au-delà des hommes.

Un parti qui privilégie l’idéologie à la personne, la collégialité à l’autoritarisme, la transparence à l’opacité et la relève au repli générationnel, est un parti qui se donne les moyens de durer et de jouer pleinement son rôle dans la consolidation démocratique.

La rédaction

Akondanews.net

Laisser un commentaire

Traduire»