Séoul 2025 : la science politique se réveille… enfin

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Par ElloMarie , conscience africaine, contributeur | AkondaNews

Il arrive parfois qu’un congrès académique secoue plus qu’un sommet politique. C’est peut-être ce qui s’est produit du 12 au 17 juillet 2025 à Séoul, lors du 28ᵉ Congrès mondial de science politique organisé par l’IPSA. Là où l’on aurait pu craindre un rendez-vous de plus, entre experts parlant entre eux dans un jargon feutré, c’est un véritable choc de lucidité qui a traversé les salles de conférence, les panels, les expositions, les débats. Un basculement. Un signal.

Non, la science politique ne peut plus être une affaire d’écoles occidentales, de grilles d’analyse venues du Nord, appliquées au reste du monde comme des formules toutes faites. Et oui, il est temps de décoloniser le regard, d’entendre les voix longtemps marginalisées, de reconnaître la pluralité des expériences politiques comme autant de terrains valides, complexes, légitimes.

Et pour une fois, ce n’étaient pas que des mots.

Une boussole pour un monde en vertige

Le congrès de Séoul avait un goût particulier. Celui d’un monde qui chancelle. Celui d’un moment où l’on sent que les anciennes boussoles ne pointent plus rien. Partout, des lignes de fracture : entre démocratie formelle et aspirations populaires ; entre souveraineté et ingérence ; entre savoirs hégémoniques et vérités vécues. Partout, aussi, la nécessité de repenser. De s’arrêter. De rouvrir les grands dossiers trop vite clos : qu’est-ce qu’un État ? une démocratie ? une élite ? un peuple ? une révolution ?

En donnant une place inédite à des panels issus d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine, à la Palestine aussi – et ce n’est pas anodin – le congrès a montré que la science politique pouvait, enfin, se parler à elle-même depuis d’autres langues, d’autres colères, d’autres espoirs.

Aïssa Halidou, le souffle du Sahel

Parmi ces voix nouvelles – ou plutôt, trop longtemps mises de côté – la professeure Aïssa Halidou a marqué les esprits. Son intervention sur la démocratie au Sahel a fait l’effet d’un électrochoc. Elle n’a pas récité la liste des coups d’État comme un inventaire à la Prévert. Elle a pensé le phénomène, avec rigueur et sans concession. Elle a regardé les militaires, non comme des monstres, mais comme des produits d’un système malade, où l’insécurité, l’héritage colonial et le discrédit des élites politiques ont vidé les urnes de leur sens.

Son diagnostic était clair : si la démocratie échoue dans ces pays, ce n’est pas parce que les peuples la rejettent. C’est parce qu’on leur vend une démocratie amputée de justice sociale, de sécurité réelle, et d’écoute. Une démocratie importée, plaquée, souvent pilotée de l’extérieur.

Et surtout, Halidou a rappelé que la science politique ne peut plus fuir ces terrains-là. Elle doit s’en emparer, non pour les juger, mais pour les comprendre. Et les comprendre, c’est accepter de se laisser déplacer.

Des murs qui tombent, des ponts qui se construisent

Dans les allées du congrès, entre les tables rondes sur l’intelligence artificielle, les conférences sur les populismes, et les ateliers collaboratifs aux formats déhiérarchisés, une idée revenait : le centre n’est plus là où on croit. Ce ne sont plus Paris, Berlin, Harvard ou Tokyo qui dictent seuls la norme. Ce sont aussi Ouagadougou, Dakar, Beyrouth, Manille, Medellín ou Kuala Lumpur. Ce sont aussi les langues locales, les récits oubliés, les archives orales, les silences qu’on commence enfin à écouter.

Ce qui a émergé à Séoul, c’est peut-être un début de réconciliation entre la science et le monde, entre la théorie et l’expérience, entre le savoir et les réalités sociales.

Une discipline qui se bat pour son âme

Mais il serait naïf de croire que tout est gagné. Le risque est réel que les bonnes intentions restent confinées dans les résolutions de clôture. Le prochain congrès de l’IPSA se tiendra en 2027 à Rome, et non sur le continent africain comme beaucoup l’espéraient. Le centre, encore, résiste.

Il faudra veiller à ce que Rome soit la suite de Séoul, et non son reniement. Que les promesses d’ouverture ne soient pas qu’un moment de grâce, mais le début d’une transformation profonde.

Car ce que le monde attend de la science politique, ce n’est pas qu’elle compte les morts, qu’elle commente les élections ou qu’elle décrive les institutions. C’est qu’elle interroge les systèmes de domination, qu’elle rende visibles les rapports de force, qu’elle donne des mots aux sans-voix, et qu’elle aide, même modestement, à dessiner des futurs plus justes.

En guise de veille

Séoul 2025 ne nous a pas donné toutes les réponses. Mais il a posé les bonnes questions. Il a montré qu’un autre dialogue était possible. Il a fait entendre les accents d’un monde qui ne demande qu’à parler, à se dire, à s’écrire lui-même.

Il reste à espérer que ceux qui enseignent la politique ne soient pas les derniers à la comprendre.

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