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Le conflit russo-ukrainien a déclenché de fortes fluctuations des prix alimentaires. Zoom sur l’impact du conflit sur la sécurité alimentaire du continent africain.
L’impact du conflit russo-ukrainien sur l’agriculture africaine
Le conflit russo-ukrainien, qui a éclaté en février 2022, perturbe profondément le marché agricole international et a déclenché de fortes fluctuations des prix alimentaires mondiaux. Cet article rédigé par des chercheurs chinois se concentre sur l’impact du conflit sur la sécurité alimentaire du continent africain, en étudiant en particulier la production et les échanges des produits agricoles, ainsi que le poids du renchérissement du prix des engrais et de l’énergie[1].
Situation générale de la production céréalière en Russie et en Ukraine
La Russie et l’Ukraine jouent un rôle important dans la production et l’approvisionnement alimentaires mondiaux. Les deux pays sont des exportateurs nets de plusieurs grandes cultures céréalières : blé, maïs et orge. Ils sont également d’importants exportateurs de tournesol et d’autres oléagineux.
Connue comme le « grenier de l’Europe », l’Ukraine est le deuxième exportateur de céréales au monde. Mais le gouvernement ukrainien a annoncé le 9 mars une interdiction d’exporter des produits agricoles de base tels que le blé et l’avoine.
Pour la Russie, même si sa production agricole n’a pas été affectée à court terme et si ses ports sur la mer Noire restent ouverts pour l’instant, les sanctions occidentales ont rendu plus difficile l’accès des produits agricoles russes aux marchés mondiaux : de nombreux acheteurs craignent en effet de commander des marchandises russes, alors que les institutions financières sont réticentes à fournir un financement pour ce commerce.
La hausse du coût du transport maritime international a également eu un impact supplémentaire sur la stabilité de l’approvisionnement et des prix des denrées alimentaires. Les ports ukrainiens de la mer Noire ont été fermés, mais les navires peuvent toujours traverser le détroit turc du Bosphore. C’est un point important pour le transport de grandes quantités de blé et de maïs. Mais la hausse des coûts d’assurance dans la région de la mer Noire fera grimper les coûts d’expédition déjà élevés.
En outre, la Russie et l’Ukraine sont toutes deux d’importants exportateurs d’engrais. Presque toutes les grandes cultures dans le monde dépendent d’engrais tels que le potassium et l’azote, et sans un approvisionnement régulier, les rendements en souffriront, ce qui risque d’alimenter l’inflation des prix alimentaires mondiaux. Or les deux pays ont successivement annoncé des interdictions partielles ou complètes d’exportation de produits fertilisants contenant de l’azote et du phosphore, ainsi que des engrais potassiques et composés.
Aperçu des importations agricoles africaines de Russie et d’Ukraine
Environ 50 pays dans le monde entier dépendent actuellement des importations en provenance de Russie et d’Ukraine pour assurer 30 % ou plus de leurs approvisionnements en blé, dont la plupart sont des pays sous-développés ou à faible revenu d’Afrique du Nord, d’Asie et du Proche-Orient.
Certains pays africains sont plus touchés par le conflit russo-ukrainien, tels que l’Égypte, la Libye, l’Ouganda, le Congo, l’Algérie. L’Algérie est le cinquième importateur mondial de céréales et le deuxième consommateur de blé d’Afrique. L’Égypte est le premier importateur mondial de blé et ses alternatives sont plutôt limitées.
L’impact du conflit russo-ukrainien sur les recettes en devises de l’Afrique
En 2020, la valeur totale des exportations de l’Afrique vers la Russie est d’environ 1,236 milliard de dollars. Les cinq premiers pays africains exportateurs vers la Russie sont l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Maroc, la Mauritanie et le Kenya. La valeur des exportations de l’Égypte dépasse 400 millions de dollars, et celle du Kenya dépasse 75 millions de dollars.
En 2020, la valeur totale des exportations de l’Afrique vers l’Ukraine est d’environ 245 millions de dollars. Les cinq principaux pays africains exportateurs vers l’Ukraine sont l’Égypte, le Maroc, le Bénin, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe. Les exportations de l’Égypte vers l’Ukraine ont dépassé 64 millions de dollars et les exportations du Zimbabwe ont dépassé 10 millions de dollars[2].
L’impact du conflit russo-ukrainien sur les recettes d’exportation africaines se reflète principalement dans trois aspects :
1 – Affectés par la diminution de l’offre d’engrais chimiques en provenance de Russie et d’Ukraine, certains grands utilisateurs d’engrais en Afrique pourraient ne pas être en mesure de produire suffisamment et verraient donc leurs exportations se réduire. . La consommation d’engrais chimiques dans les pays africains est relativement faible, à savoir 19,9 kilogrammes par hectare, ce qui est bien inférieur au niveau des pays développés d’Europe et d’Amérique. Cependant, la quantité d’engrais varie considérablement d’un pays à l’autre. En Afrique du Sud et Zambie, elle est relativement importante (72,8 kg/ha et 52,5 kg/ha respectivement) La récente hausse des prix des engrais pourrait restreindre la production agricole, avec des conséquences négatives sur leurs exportations et donc leurs recettes.
2 – Le commerce entre les pays africains et les pays touchés par le conflit russo-ukrainien pourrait être réduit ou même interrompu. En 2020, la Russie représentait 7 % de la valeur des exportations d’agrumes de l’Afrique du Sud. Elle est également le deuxième marché d’exportation d’Afrique du Sud pour les pommes et les poires[3]. L’Allemagne est le principal importateur de café éthiopien : 40 % du café est exporté vers l’Allemagne chaque année, puis transformé pour être réexporté vers d’autres pays, dont la Russie[4]. Le conflit russo-ukrainien aura un impact énorme sur l’exportation directe et le commerce agricole dans certains pays africains.
3 – Certains producteurs africains d’aliments de base (l’Afrique du Sud, la Namibie, le Mozambique, le Zimbabwe) bénéficieront de termes de l’échange favorables grâce aux augmentations prévues des prix de ces aliments de base. La publication trimestrielle Perspectives de récolte et situation alimentaire de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) prévoit que la production céréalière des pays du sud de l’Afrique sera de 22% supérieure à la moyenne de 2016-2020, à 40,6 millions de tonnes. En Afrique du Sud, la production d’autres céréales telles que le maïs et le blé devrait atteindre 19,5 millions de tonnes, en hausse de 24 % par rapport à la moyenne quinquennale précédente. Au Zimbabwe, la récolte de maïs a également augmenté pour atteindre 2,7 millions de tonnes, avec la production de sorgho et de mil ayant grimpé en flèche, près du triple de la production de 2002[5].
L’impact des fluctuations des prix de l’énergie
La production et la consommation globales d’énergie en Afrique sont inférieures à la moyenne mondiale. La concentration des zones de développement pétrolier et gazier, ainsi que le faible développement des énergies renouvelables, empêchent la plupart des pays africains d’atteindre l’autosuffisance énergétique, dépendant largement de l’importation. La stabilité de l’approvisionnement est donc facilement affectée par les prix internationaux. Depuis le déclenchement du conflit russo-ukrainien, la plupart des pays africains, y compris les grandes économies telles que l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Égypte, l’Éthiopie, le Maroc et le Kenya, ont connu la pénurie de carburant et la flambée des prix.
Dans le secteur agricole, la hausse des prix du carburant entraîne directement une augmentation des coûts de labour, de remise en culture et de semis. Afin de maintenir des activités économiques normales, de nombreux pays africains ont versé des subventions pour contenir le prix des carburants, ce qui a entraîné des risques budgétaires pour certains pays : la Banque mondiale a ainsi mis en garde le Nigeria à propos de la récente augmentation des subventions sur les prix de l’essence approuvée par le parlement[6].
En cas de hausse des prix mondiaux du pétrole, si les subventions gouvernementales sur les prix du carburant sont suspendues, réduites ou retardées, les gouvernements seront face à un dilemme. Par exemple, après que le Kenya a annoncé une réduction des subventions aux carburants en mars 2022, le prix de l’essence et du diesel a augmenté de 5 shillings kenyans le litre pour atteindre le niveau le plus élevé de l’histoire du pays[7]. Cette situation a directement affecté la production agricole. Dans la région du rift, la principale région de production alimentaire du Kenya, le prix du carburant diesel a augmenté le coût du labour en mars 2022 par rapport à la saison de plantation précédente. L’augmentation de 2300 shillings à 3000 shillings[8] oblige les agriculteurs à réduire le nombre de charrues et la superficie cultivée, ce qui menace à son tour la production alimentaire et peut forcer l’État à augmenter les importations alimentaires pour combler le vide. L’augmentation des coûts de production agricole finira par la hausse des prix de la nourriture qui touchera directement les consommateurs.
Dans le même temps, la montée en flèche des prix internationaux de l’énergie affecte directement la situation de l’offre et de la demande des produits chimiques. Dans l’agriculture, l’énergie est une importante matière première : le gaz naturel est utilisé en grande quantité pour produire les engrais à base d’azote les plus largement utilisés (ammoniac, urée et nitrate d’ammonium). Si l’on prend l’Europe comme exemple, la production d’engrais azotés consomme la plus grande quantité de gaz naturel, à savoir de 60 % à 80 % du coût de production[9]. Par conséquent, le doublement des prix du gaz naturel au second semestre de 2021 a eu un effet direct sur les prix internationaux des engrais, les coûts de production et les prix des produits agricoles. Depuis le second semestre de 2021, les géants mondiaux de la production d’engrais, dont YARA International, Borealis AG et CF Industries, ont tous été touchés par les prix élevés du gaz naturel et ont réduit leur capacité de production.
Les engrais en Afrique dépendent fortement des importations. L’industrie des engrais en Afrique est concentrée en Afrique du Nord (Égypte, Tunisie, Algérie et Maroc) et certaines grandes économies telles que le Nigeria et l’Afrique du Sud. À l’heure actuelle, l’Europe et le Moyen-Orient, en tant que plus grande source d’approvisionnement en engrais de l’Afrique, ne réussissent toujours pas à faire baisser les prix des engrais[10]. Outre la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie, qui sont d’importants exportateurs d’engrais, de nombreux pays producteurs ont également imposé des restrictions à leurs exportations en raison des préoccupations en matière de sécurité alimentaire et d’approvisionnement en matières premières. Divers facteurs ont exacerbé la situation déjà tendue : les agriculteurs du Kenya ont signalé que le prix des engrais a doublé par rapport à l’année dernière[11], et les prix des engrais en Éthiopie ont augmenté de 150 % par rapport à l’année dernière[12]. En Afrique du Sud, les prix des engrais ont augmenté de 60 % par rapport à il y a deux mois[13].
La vulnérabilité de la sécurité alimentaire
Pour la plupart des régions d’Afrique, où le taux d’utilisation d’engrais est nettement inférieur à la moyenne mondiale, la structure agricole est dominée par l’agriculture à petite échelle. La flambée des prix des engrais a donc exercé une pression énorme sur les agriculteurs individuels. Avant le conflit russo-ukrainien, l’International Fertilizer Development Center (IFDC) estimait que la hausse des prix des engrais en 2021 avait provoqué une baisse de 30 % de la demande d’engrais dans les régions subsahariennes, ce qui signifierait une réduction de 30 millions de tonnes de production alimentaire en 2022, soit l’équivalent des besoins alimentaires d’un million de personnes[14]. Compte tenu du fait que le prix des engrais a de nouveau atteint un niveau historique après le déclenchement du conflit russo-ukrainien, l’impact sur la production agricole devrait encore s’aggraver.
Dans la plupart des pays africains confrontés à une forte inflation, l’inflation des prix alimentaires est encore plus élevée. Aujourd’hui, les pays africains sont face aux anticipations moroses de la croissance économique future, aux politiques budgétaires internes chaotiques, aux endettements élevés, à une dévaluation monétaire et à une réduction de l’aide internationale, tandis que l’inflation dans certains pays a atteint des niveaux élevés, voire dangereux. Dans ces pays, les dépenses alimentaires des habitants représentent une part relativement importante de leurs revenus, et la diminution du pouvoir d’achat causée par l’inflation menace directement la survie de la population et la stabilité sociale.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions de People.cn.
[1] Cet article est basé sur « L’impact du conflit russo-ukrainien sur l’agriculture africaine » (《俄乌冲突对非洲农业的影响》) de YU Qi (于琪), HUI Yi (慧怡), CHEN Xue (陈雪), publié Feizhouziyan (非洲资研) en mai 2022, source : https://mp.weixin.qq.com/s/xv0feQc70vH4L6x2D1NuDw.
[2] UN Comtrade, accès le 21mars 2022 : https://comtrade.un.org/data/.
[3] « Conflit russo-ukrainien et hausse des prix des engrais : l’impact potentiel sur les marchés agricoles africains », disponible sur : https://www.howwemadeitinafrica.com/russia-ukraine-war-and-rising-fertiliser-prices-the-potential-impact- sur-les-marches-agricoles-d-afrique/141227/
[4] « Impact du conflit russo-ukrainien sur l’Éthiopie » (俄乌之战对埃塞影响至深), disponible sur : https://mp.weixin.qq.com/s/11f9Ck8lrvbyJIDZ0LqY0w.
[5] « Russie-Ukraine : une aubaine pour les exportateurs africains de matières premières ? », disponible sur : https://www.howwemadeitinafrica.com/russia-ukraine-a-boon-for-africas-commodity-exporters/141012/
[6] « La Banque mondiale exhorte le Nigeria à repenser les subventions aux carburants et les taux de change multiples » (22 avril 2022), disponible sur : https://www.premiumtimesng.com/news/top-news/524987-world-bank-urges-nigeria-to-rethink-fuel -subvention-taux-de-change-multiples.html
[7] « L’obstacle des subventions porte les prix du carburant à un niveau record » (14 mars 2022), disponible sur : https://www.businessdailyafrica.com/bd/news/pump-prices-up-the-back-of-rising-crude-oil-costs-3747704.
[8] « Forte hausse des prix du diesel pour faire grimper les coûts de plantation » (16 mars 2022), disponible sur : https://www.businessdailyafrica.com/bd/news/counties/sharp-rise-in-diesel-prices-to-push-up-planting-costs -3749120
[9] Pour connaître les coûts de l’énergie : https://www.fertilizerseurope.com/industry-competitiveness/energy-cost/.
[10] « La flambée des prix des engrais devrait aggraver la crise alimentaire africaine », disponible sur : https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-01-29/surging-fertilizer-prices-set-to-exacerbate-african-food-crisis
[11] « Le conflit russo-ukrainien aggrave la crise des engrais, mettant en danger les approvisionnements alimentaires » (12 avril 2022), disponible sur : https://www.voanews.com/a/russian-war-worsens-fertilizer-crunch-risking-food-supplies-/6525778.html.
[12] « Analyse : Les agriculteurs se préparent au pire alors que les prix des engrais augmentent » (21 avril 2022), disponible sur Addis Standard
[13] « Les agriculteurs du Sud mondial sont en difficulté alors que la guerre en Europe fait grimper les engrais » (2 avril 2022), disponible sur : https://www.news24.com/citypress/business/global-south-farmers-struggle-as-war-in-europe-drivers-fertilizers-higher-20220402.
[14] « La flambée des prix des engrais : une menace pour la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne » (20 décembre 2021), disponible sur : https://ifdc.org/2021/12/20/soaring-fertilizer-prices-a-threat-to-food-security-in-sub-saharan-africa/.
Source: Jeuneafrique
akondanews.net