Lecteur Audio
|
«’’Aller jusqu’au bout’’, c’est montrer que les valeurs ne changent pas de couleurs, ni de tendances, ni de formes, avec le temps»
17 mille milliards de dette : «Anthropologiquement la dette ne peut pas honorer quelqu’un qui la contracte»
Retour du président Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, les sorties publiques et officielles de l’ancien président de la République, la suite de son combat politique et surtout l’impact de ses discours sur la société ivoirienne et africaine, sont autant de sujets que akondanews.net, aborde avec l’Anthropologue culturel, le Pr Dédy Seri, vieux compagnon de lutte politique de Laurent Gbagbo et président de l’Ecole Politique du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPACI). Entretien.
Aknews: Pr Dédy Séri bonjour. Quels commentaires faites-vous à l’issue de la tournée effectuée par le président du PPACI, Laurent Gbagbo, à l’ouest de la Côte d’Ivoire, en pays Wê ?
C’est une tournée naturellement historique. Parce que les faits montrent que le peuple a souffert pour son attachement au président Laurent Gbagbo qui est resté dix ans en prison ; dix ans de prison ce n’est pas dix jours. C’est plus de trois milles jours. Donc il fallait absolument que le président leur rende visite pour en guise de compassion, leur dire ‘’Yako’’ comme on dit dans nos traditions. Donc c’est une visite de compassion qui s’imposait à lui.
Evidemment dans les premiers moments qui ont suivi son retour au pays, il y a eu des commentaires qui disaient qu’il devait immédiatement s’y rendre, mais les conditions de sécurité et même les conditions physiques ne lui permettaient pas de s’y rendre. Désormais c’est chose faite et on constate que c’est un départ. A partir du peuple Wê, il (le Laurent Gbagbo, ndlr) va se rendre dans toutes les régions du pays.
AKnews: Sur le plan purement sociologique, quels sont les symboles que l’on peut relever de cette visite que vous avez qualifiée d’historique ?
Le premier symbole fort, ce sont les fosses communes et en matière de fosses communes c’est Duékoué qui est le symbole le plus fort quand on parle des funérailles. Il faut signaler que le président Laurent Gbagbo s’est rendu à des funérailles et la tradition veut qu’on se rende au lieu même où le deuil s’est passé. Donc Duékoué me paraît comme l’espace le plus sinistré et ce n’est pas moi seulement qui le dis. Ce sont aussi les Rapports des ONG (Organisations Non Gouvernementales), comme Amnesty International, qui ont relaté cela dans leurs rapports en avril 2011.
Duékoué et après, Guiglo, le temps et les circonstances ne permettaient pas au président Gbagbo d’être vu par tout le monde. Je pense que l’organisation même était en adéquation avec la situation. De ce point de vue, je pense que la visite mérite d’être appelée « visite historique ».
AKnews.net: En visite chez le président Bédié à Daoukro mi-juillet 2021, le président Laurent Gbagbo déclarait que tout ce qu’il fait est « politique ». De votre point de vue peut-on considérer son discours en avril 2022 devant le peuple Wê à l’ouest comme un élément déclencheur de ce qu’il est désormais de plain-pied dans l’action politique, ou bien faut-il attendre encore une occasion… ?
Dès son retour en Côte d’Ivoire (17 juin 2021, ndlr), on se souvient, il a dit qu’il ne peut pas avoir fait dix ans de prison pour rien, facilement, et que c’est maintenant qu’il allait poursuivre. On se souvient aussi qu’il avait dit à La Haye, dès sa première comparution (le 5 décembre 2011, à la Cour pénale internationale –CPI, ndlr) que : « On ira jusqu’au bout !» Personne n’avait pu mesurer ce que cela voulait dire : aller ‘’jusqu’au bout’’. Aller jusqu’au bout, c’est montrer qu’on est attaché aux principes et aux idéaux pour lesquels on a été maltraité, diabolisé, et donc animalisé. Aller jusqu’au bout, c’est montrer que les valeurs ne changent pas de couleurs, ni de tendances, ni de formes, avec le temps. La justice n’évolue pas selon le temps. «Ce qui était juste hier ne devient pas injuste avec le temps». Donc l’expression « Aller jusqu’au bout » est démontrée pédagogiquement et le président Gbagbo a donc commencé et ne fait que commencer à reprendre la lutte là où il a été obligé de la laisser.
AKnews.net: On le voit, le président Gbagbo va crescendo dans ses discours : à Songon il a pointé du doigt la question du foncier, l’expropriation des terres des Ebriés, l’urbanisation sauvage à Abidjan ; à Mama il est revenu sur la dette et surtout le surendettement de la Côte d’Ivoire à hauteur 17000 milliards Fcfa. Depuis un moment il s’attaque de façon frontale à la gouvernance de monsieur Ouattara. A quel principe, selon vous, ces discours de plus en plus corsés du président Laurent Gbagbo obéissent-ils ?
On dit que la vérité se trouve dans la durée. Quelqu’un qui reste dix ans en prison a pu voir les tendances. Et la première tendance c’est l’occupation de l’espace. La Côte d’Ivoire est occupée. Tous les espaces sont occupés. De façon systématique, tout le regard sur l’espace Ebrié. Tout ce qu’on pouvait éviter n’a pas pu être évité parce que, le pays est occupé. Et les premiers occupés, je peux dire que ce sont les Ebriés. La terre d’Abidjan leur appartient. Aucun aménagement n’est prévu. Tout ce qui avait été plus ou moins préservé, commence à être « mangé » par les occupants. Ça c’est le premier point. Et évidemment ça fâche. C’est comme si il (Laurent Gbagbo, ndlr) les prend la main dans le sac de la dévastation, dans le sac de la destruction systématique de tout ce qui bouge. C’est comme cela le Capitalisme ! Le capitalisme « mange » tout, il ne pense pas à l’homme ; il pense d’abord l’argent ensuite l’homme.
Deuxième élément, depuis Mama il a évoqué la question de l’endettement. C’est le crédo. La dette même signifie : Corde au cou. Anthropologiquement la dette ne peut pas honorer quelqu’un qui la contracte. Ce n’est pas possible ! Et donc le principe du président Gbagbo, c’est de faire les dépenses en fonction de ce que l’on a ; de ne dépenser que ce que l’on a sur soi-même, c’est le principe du « Budget sécurité ». On ne peut pas emprunter de l’argent à tout moment, à n’importe quel moment, n’importe comment, sous prétexte que vous avez la possibilité d’emprunter. Mais si vous emprunter, il faut aussi que cela se voit au niveau des citoyens pour qui vous emprunter de l’argent. Mais en très peu de temps, je dis bien en très peu de temps, ils ont emprunté dix fois plus que nous au Pouvoir. Ils ont profité du PPTE (Pays pauvres très endettés, ndlr) pour s’enrichir, pour s’arranger avec les bailleurs. Et c’est ainsi que la situation devient insupportable à long terme.
Nous pensons que la dette qui a été contractée en moins de 10 ans ne peut se rembourser que sur un demi-siècle, sinon plus. Donc, l’invasion de la Côte d’Ivoire, elle est systématique, elle est multidimensionnelle : au plan politique, au plan économique, au plan spatial. Tout est occupé ! Comment ne pas penser à préserver les générations futures en faisant le minimum de dépenses possible, le minimum d’emprunt possible. On ne sait pas à quoi ça sert, ni à quoi ça correspond. Parce que la question que l’on se pose est de savoir où va l’argent ? A quelle fin l’argent est utilisé ? On nous parle de ponts, on nous parle de bitumes. Mais on connaît la qualité du bitume, la qualité des ponts. Autrement dit, c’est une façon de ruiner la Côte d’Ivoire non seulement aujourd’hui mais pour demain. C’est en cela que le président Gbagbo – quand on lui posait la question de savoir pourquoi il n’aime pas les affaires – il répondait que : « je ne suis pas contre les affaires. Mais moi en tant que dirigeant je ne peux pas faires les affaires. Parce que en tant qu’historien j’ai appris de Ibn Khaldoun (Ndlr : historien, économiste, géographe, démographe, précurseur de la sociologie et homme d’État d’origine arabe, né le 27 mai 1332 à Tunis et mort le 17 mars 1406 au Caire), que lorsque le dirigeant fait les affaires ou se fait homme d’affaires, il ruine non seulement l’économie de son pays, mais aussi la population de l’ensemble du pays. Les dirigeants affairistes font concurrence aux hommes d’affaires. » Autrement dit, on ne peut plus rien contrôler et à long terme c’est la ruine de la population. C’est ce que nous vivons.
La Côte d’Ivoire est ruinée, elle est ruinée au présent, elle est ruinée au futur. Elle est ruinée sur le plan sociologique, elle est ruinée sur le plan psychologique, sur le plan social, sur le plan économique, sur le plan politique, sur le plan idéologique. Nous n’avons que nos yeux pour pleurer ! Parce qu’on sait comment ce phénomène est arrivé. On pensait que c’est Gbagbo et son parti seuls qui allaient en pâtir. Mais aujourd’hui, il suffit de voir un peu partout, dans les quartiers, dans les régions, pour se rendre compte que le mal que certains souhaitaient, ne se referme pas seulement sur Gbagbo mais aussi sur l’ensemble du pays.
Evidemment nous n’allons pas entrer dans ces considérations parce que, à quelque chose malheur est bon. Pédagogiquement c’est bien que ce à quoi les gens n’ont pas compté leur arrive et qu’ils fassent le lien entre le patriotisme et le développement ; entre l’indépendance et le développement, la souveraineté et la préférence nationale. Je pense qu’avec ce qui nous est arrivé désormais les Ivoiriens sauront jusqu’où aller, ou jusqu’où ne pas aller. Les conséquences sont là. Et quand le président Gbagbo dit : « je viens reprendre le combat là où je l’ai laissé », c’est par rapport à cela. «Je ne peux pas avoir dix ans de perdus pour ensuite me retirer de l’espace politique, alors que ce que j’ai fait hier est encore plus justifié ».
AKnews: A écouter les discours du président Laurent Gbagbo dans cette Côte d’Ivoire que vous décrivez, ne pensez-vous pas qu’il prêche dans le désert ? Ou bien si vous voulez – pour être positif – pensez-vous que le président Laurent Gbagbo prêche-t-il en terre fertile et que les Ivoiriens sont encore réceptifs à ses messages ?
Réceptifs, ils le sont et le seront davantage avec l’organisation que nous sommes en train de mettre en place. Avec ce qui se passe en Côte d’Ivoire, ce qui se passe au Mali, ce qui se passe en Ukraine, ce qui se passe dans le monde entier, tout est lié. Ce que le président Gbagbo prône, à savoir : la souveraineté, la solidarité, l’indépendance, sont des évènements qui, s’ils ne sont pas bien compris, peuvent conduire à la ruine totale de l’Afrique. Donc, il ne peut pas ne pas être suivi. Nous sommes en train de mettre en place toutes les structures du Parti et vous allez voir la machine se dérouler.
AKnews.net: Justement j’allais y arriver : la tenue d’une session extraordinaire du Secrétariat général annoncée ce mardi 26 avril 2022 s´est tenue d’abord au cabinet du président Gbagbo puis déplacé au Sofitel hôtel Ivoire, fait-elle partie de cette stratégie globale ?
Absolument ! Parce qu’il y a eu quelques atermoiements – pour lesquels je salue d’ailleurs Madame Agoh Marthe – parce qu’il faut de la discipline. Il faut respecter les principes. Même si demain madame Agoh Marthe (président du Comité de contrôle du PPACI, ndlr) commet des erreurs, il faut les dénoncer aussi. Voilà la planche de salut ! Vous ne pouvez pas vouloir de l’ordre à l’échelle nationale et entretenir le désordre en interne. Ce n’est pas possible ! Il faut la cohérence. C’est donc au nom de la cohérence – cette cohérence que je souhaite, que je soutiens et grâce à elle, il y a beaucoup d’espoirs dans l’avenir de la Côte d’Ivoire.
(Pour me résumer) je dirais que le retour du président Laurent Gbagbo est déterminant, c’est un tournant important. Non seulement au niveau de la Côte d’Ivoire mais aussi de toute l’Afrique et du monde entier. Vous avez vu, le 14 janvier 2022, au meeting de Bamako qui a réuni près de 3 millions de Maliens, une banderole sur laquelle il est écrit : « Gbagbo, tu avais raison ». Sur cette base-là, je pense que c’est un résumé, c’est un message qui dit que le président Laurent Gbagbo a raison de continuer la lutte là où il l’a laissée.
Entretien réalisé par
Denzel Bereby
Akondanews.net