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L’actualité en Afrique bruit toujours avec la situation qui prévaut au Tchad, suite à la soudaine disparition du président Idriss Déby Itno.
Est-il vraiment mort au front comme officiellement annoncé ? A-t-il été assassiné par ses proches comme le pensent certaines personnes ? Si tel est le cas, à qui profite sa disparition ?
Autant de questions, autant d’interrogations sans réponses qui ne laissent guère de lisibilité et de visibilité quant au devenir du Tchad.
Toujours est-il que cette situation ressemble fort bien à celle qu’a vécue la République Démocratique du Congo de Laurent Kabila. La mort de ce dernier n’a toujours pas été élucidée. Comme en RDC, sitôt le père disparu, le fils, Mahamat Idriss Déby Itno s’est installé dans le fauteuil présidentiel, au mépris de ce que prévoit la constitution tchadienne en pareille circonstance.
Mais le fait troublant, c’est le jeu de yoyo auquel s’adonnent la France et l’Union Africaine. A aucun moment, ces deux entités n’ont condamné la prise du pouvoir par Deby fils et ont même semblé l’adouber. Ce n’est un secret pour personne, le président Idriss Déby Itno jouait un rôle important dans le dispositif militaire de la France en Afrique et dans sa prétendue lutte contre les djihadistes dans le Sahel, à travers l’opération Barkhane.
Le président Déby qui rempilait pour un 6ème mandat pour lequel il avait été élu peu avant sa mort, a toujours eu « la chance » de n’avoir jamais été traité de « dictateur », vocable que les autorités et la presse françaises aiment bien affubler nombre de dirigeants africains, et pour cause !
En 2017, répondant à des journalistes français qui évoquaient sa longévité au pouvoir, le président Déby a déclaré : « …J’avais souhaité moi-même m’arrêter comme j’avais promis au second mandat, c’est à dire en 2006. La France est intervenue pour changer la constitution. J’ai dit que je ne voulais pas…Mais ils sont passés par leurs arcanes et ont changé la constitution… »
Cette déclaration gravissime met en lumière les « relations incestueuses » que la France entretient avec les présidents de son pré-carré, au mépris des peuples et des textes fondamentaux que ces derniers se sont donnés. Elle tord le cou sans remord aux constitutions des pays africains pourvu que le « Sous-préfet » choisi soit au pouvoir à l’effet de veiller sur ses intérêts.
Ainsi sous sa houlette en 2010, l’arrêt du Conseil Constitutionnel de Côte d’Ivoire, qui déclarait Laurent Gbagbo élu au deuxième tour de l’élection présidentielle, a été contesté et finalement « déchiré ». Alors qu’en Côte d’Ivoire comme en France, les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont pas susceptibles de recours ou de contestation ! C’est une véritable insulte à notre intelligence, malheureusement soutenue par certains des nôtres.
La France peut également parler de démocratie, et soutenir sans sourciller des présidents qui opèrent des passages en force pour avoir un troisième mandat, là où la constitution n’en prévoit que deux !
La déclaration du président Déby montre comment certains de nos dirigeants sont de véritables hommes de paille, manipulables à souhait, qui ne font rien par eux-mêmes et pour l’intérêt du peuple. Déby était-il obligé de rester au pouvoir si tant est que son désir ardent était vraiment de partir ?
Les peuples africains doivent savoir que leur passivité est coupable. Les puissances occidentales ne respectent que le rapport de force. La réaction du peuple Tchadien et son refus de prendre acte de la forfaiture de Déby fils, a obligé la France et l’Union Africaine à revoir leur position. Il est de plus en plus question d’un pouvoir à remettre aux civils. Mais cela peut-il advenir ? Pourra-t-on revenir à la constitution tchadienne au moment où le dauphin constitutionnel, le président de l’Assemblée nationale est « allé à Canossa » et pris acte de la prise de pouvoir de Déby fils ?
En tout état de cause, retenons que des pays comme le Tchad, le Gabon, le Togo et hier la République Démocratique du Congo, expérimentent la transmission du pouvoir à la Sainte Trinité : du Père, au Fils et certainement bientôt au…Saint-Esprit !
Veillons à ce que cela ne fasse pas tâche d’huile demain. Demain est certes un autre jour, mais demain arrive toujours et l’ivraie sera séparée du vrai.
NAZAIRE KADIA, Analyste politique