Marche pacifique empêchée à Abidjan : l’opposition ivoirienne muselée à deux semaines de la présidentielle

Sous une pluie battante, les forces de sécurité ont empêché, samedi 11 octobre, la tenue d’une marche pacifique annoncée par le Front commun PDCI–PPA-CI. Plusieurs militants ont été arrêtés ou dispersés à coups de matraques. À deux semaines du scrutin présidentiel du 25 octobre, cet épisode illustre le durcissement politique et la fragilisation des libertés publiques en Côte d’Ivoire.

Une capitale quadrillée par les forces de l’ordre

Abidjan s’est réveillée ce samedi sous haute surveillance. Très tôt dans la matinée, des unités mixtes de la police et de la gendarmerie ont pris position autour du carrefour Saint-Jean, à Cocody, point de départ prévu de la marche. Les environs de l’hôtel Ivoire, le carrefour Sococé et l’axe Saint-Jean–Deux-Plateaux ont été entièrement bouclés.

Selon plusieurs témoins, les forces de l’ordre, lourdement armées, ont empêché tout rassemblement. Des militants venus répondre à l’appel de l’opposition ont été interpellés et, pour certains, embarqués vers des destinations inconnues. « Nous voulions juste marcher pacifiquement pour dire non à l’injustice. Ils ont répondu par la violence », a confié un militant du PPA-CI.

L’opposition dénonce un musèlement politique

La marche, initiée par le Front commun PDCI–PPA-CI, devait symboliser une protestation pacifique contre ce que les organisateurs qualifient de « verrouillage du processus électoral ». Ils dénoncent notamment la composition de la Commission électorale indépendante (CEI), jugée déséquilibrée, et le traitement inégal des candidatures.

Mais la Préfecture d’Abidjan avait interdit la manifestation, invoquant des « risques de trouble à l’ordre public ». Une justification que l’opposition rejette fermement. Dans un communiqué conjoint, les deux partis ont fustigé une « dérive autoritaire et une volonté manifeste de réduire au silence la voix du peuple ».

Un climat préélectoral tendu

L’incident du 11 octobre survient dans un contexte politique déjà chargé. À l’approche du scrutin, les tensions s’exacerbent entre le pouvoir et ses adversaires. Plusieurs leaders de l’opposition ont récemment dénoncé des intimidations, des arrestations arbitraires et un usage excessif de la force contre les militants.

Selon des analystes politiques, la répétition de ces épisodes fragilise la crédibilité du processus électoral. « Quand l’État empêche ses citoyens d’exprimer pacifiquement leurs opinions, c’est toute la confiance dans les institutions qui s’effrite », explique un enseignant-chercheur de l’Université Félix Houphouët-Boigny.

L’ordre public comme prétexte récurrent

Depuis plusieurs années, la notion de “trouble à l’ordre public” est fréquemment invoquée par les autorités pour interdire des rassemblements politiques. Cette pratique, devenue quasi systématique, suscite de vives critiques au sein de la société civile.

« L’ordre public ne doit pas servir de paravent à la répression politique », estime un avocat proche de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (LIDHO). « Le droit de manifester est un pilier de la démocratie, garanti par l’article 20 de la Constitution. Le restreindre de manière arbitraire, c’est porter atteinte à l’État de droit. »

Une peur du désordre plus qu’une gestion démocratique

La fermeté affichée par les autorités traduit une crainte : celle d’un retour aux violences de 2020 ou 2010. Mais en voulant prévenir le désordre par la force, le gouvernement entretient un climat de peur et de frustration.
Les militants arrêtés, les bastonnades rapportées et la fermeture de l’espace public contribuent à radicaliser les esprits. « On ne peut pas éternellement gouverner par la peur », avertit un observateur diplomatique.

Appels au dialogue et à l’apaisement

Face à cette situation, plusieurs organisations locales et internationales appellent à la retenue. La LIDHO, Amnesty International et la Commission nationale des droits de l’homme exhortent le gouvernement à garantir la liberté d’expression et à libérer les militants arrêtés.
Des voix diplomatiques, notamment de l’Union africaine et de l’Union européenne, insistent sur la nécessité d’un dialogue inclusif avant le scrutin.

« La Côte d’Ivoire a l’occasion de prouver sa maturité démocratique. Mais cela passe par l’ouverture du débat, non par la répression », a déclaré un représentant africain à Abidjan.

Un tournant critique pour la démocratie ivoirienne

En empêchant cette marche pacifique, le pouvoir envoie un signal paradoxal : au lieu d’apaiser le climat politique, il accentue la défiance. La gestion autoritaire des libertés publiques risque de fragiliser la participation électorale et de remettre en cause la légitimité du futur président.

La Côte d’Ivoire se trouve aujourd’hui à un carrefour historique. Le scrutin du 25 octobre 2025 ne se jouera pas seulement dans les urnes, mais dans la capacité du pays à garantir le respect des droits fondamentaux. Empêcher la parole du peuple, c’est prendre le risque d’en raviver les blessures.

La rédaction

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