Le monde multipolaire : une guerre économique sans masques

Dans un monde qui a longtemps été dominé par un ordre unipolaire centré autour des États-Unis, l’avènement d’un monde multipolaire marque une rupture aussi brutale que stratégique. Comme l’affirme Ahoua Don Mello, « Le fait d’être arrivé à un monde multipolaire est une véritable déclaration de guerre économique où tous les coups sont permis à l’échelle mondiale. » Cette affirmation, lourde de sens, ne relève pas de l’exagération mais d’un constat lucide sur la transformation profonde de l’arène internationale. La guerre économique mondiale, jadis feutrée et cachée derrière les traités de libre-échange et les règles de l’OMC, s’est aujourd’hui démasquée. Les lignes de front sont désormais visibles, les enjeux assumés, et les armes – qu’elles soient monétaires, technologiques ou géostratégiques – sont déployées sans ménagement.

La transition vers un monde multipolaire est d’abord un bouleversement des équilibres. L’Occident, autrefois maître incontesté du jeu mondial, voit désormais se dresser face à lui des puissances affirmées ou émergentes : la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, la Turquie, et plus récemment des coalitions de pays du Sud global qui refusent de jouer un rôle de figuration. La bataille n’est plus simplement idéologique ou militaire, elle est avant tout économique – et comme le souligne Don Mello, c’est une guerre où tous les coups sont permis.

Les terres rares : une bataille silencieuse mais décisive

L’exemple des terres rares illustre parfaitement cette guerre économique planétaire. Ces éléments chimiques, indispensables à la fabrication des technologies modernes – téléphones, éoliennes, batteries, missiles, semi-conducteurs – sont devenus un levier de puissance géoéconomique. La Chine, qui contrôle plus de 60 % de la production mondiale de terres rares, en a fait une arme stratégique. Lorsqu’en 2010, elle décide de suspendre ses exportations vers le Japon lors d’un différend diplomatique, elle envoie un message clair : l’accès aux ressources critiques peut être utilisé comme instrument de pression.

Depuis, la course est lancée. Les États-Unis tentent de relocaliser la production, l’Europe veut diversifier ses fournisseurs, et l’Afrique, qui regorge de ces minerais, redevient l’objet de toutes les convoitises. Mais cette fois-ci, les acteurs africains doivent se garder d’être de simples spectateurs ou victimes d’un nouveau pillage. Car comme le souligne Don Mello, le véritable pouvoir politique sur la scène internationale découle de la puissance économique. Et dans cette équation, la valorisation des ressources naturelles ne peut plus se faire sans stratégie souveraine.

L’économie comme base du pouvoir politique

Cette idée centrale traverse les propos de Don Mello : « Nos États doivent se rendre compte que le poids politique dans le concert des Nations n’a de sens que lorsque le poids économique l’impulse. » Trop souvent, des nations du Sud ont cru que leur voix pouvait peser sur la scène diplomatique sans fondement économique solide. Or, l’histoire contemporaine a montré que seuls les pays dotés d’une base industrielle, d’un tissu économique fort et d’une maîtrise technologique peuvent véritablement faire entendre leur voix. La souveraineté ne se décrète pas, elle se construit, dans la durée, à travers une capacité à produire, à innover, à commercer selon ses intérêts.

L’Afrique, avec ses ressources abondantes, son capital humain jeune et son potentiel de marché, pourrait être un acteur majeur de cette nouvelle configuration mondiale. Mais cela suppose de sortir de la logique de rente, de dépendance, et d’importation permanente. Cela suppose également que l’intégration régionale devienne une réalité, pour faire émerger des blocs économiques puissants et cohérents. L’Union africaine, la ZLECAf, les banques régionales de développement, sont autant d’outils qu’il faut faire fonctionner pour transformer le potentiel en puissance effective.

La fin des naïvetés

Le monde multipolaire n’est pas un monde de paix ni de justice automatique. Il ne garantit pas une équité spontanée entre les nations. Bien au contraire, il intensifie la concurrence, renforce les logiques de rapport de force, et impose aux États de jouer une partie stratégique à somme variable. Les alliances deviennent mouvantes, les intérêts fluctuants, et la morale cède souvent le pas à la realpolitik.

Dans ce contexte, croire encore à une mondialisation régulée par des règles équitables, comme ce fut le rêve dans les années 1990, relève de la naïveté. Chaque bloc joue désormais sa partition : les États-Unis défendent leur hégémonie par des sanctions économiques et des réorganisations de chaînes d’approvisionnement, la Chine construit son influence par la “Belt and Road Initiative”, la Russie agit sur les leviers énergétiques et diplomatiques, pendant que l’Union européenne cherche à préserver un modèle économique en mutation rapide.

Dans cette nouvelle jungle mondiale, les pays qui n’ont pas de stratégie, qui ne pensent pas leurs intérêts de façon structurée, qui ne s’organisent pas pour défendre leur souveraineté économique, seront balayés.

L’urgence d’une conscience économique nationale

Pour l’Afrique notamment, le défi est immense mais pas insurmontable. Il s’agit désormais de bâtir une conscience économique nationale, voire continentale. Cela implique de penser l’économie comme levier de transformation politique, sociale et diplomatique. Cela passe par une meilleure gouvernance des ressources naturelles, un contrôle accru sur les chaînes de valeur, une protection intelligente des industries locales, et surtout, une volonté politique de rupture avec les modèles extractivistes hérités de la colonisation.

L’éducation économique, la formation technique, le soutien à l’entrepreneuriat local, l’investissement dans la recherche et l’innovation sont les pierres angulaires d’une montée en puissance. Les États africains ne doivent plus être de simples fournisseurs de matières premières, mais devenir les architectes de leur avenir industriel. Le tout, sans attendre un feu vert de l’extérieur.

Conclusion – S’adapter ou disparaître

La déclaration d’Ahoua Don Mello est un appel à la lucidité. Dans un monde devenu arène, où l’économie a remplacé les armées comme outil principal de domination, chaque pays doit choisir : s’adapter, comprendre les règles du jeu et se battre pour ses intérêts, ou subir, attendre, espérer, et se faire marginaliser. Le monde multipolaire n’est ni une promesse ni une menace, il est un état de fait. À chaque nation de décider si elle veut être un pion ou un joueur.

Dans cette guerre économique où tous les coups sont permis, la meilleure défense reste une stratégie offensive, articulée autour d’un projet économique souverain, inclusif et ambitieux. Le poids politique ne s’improvise pas : il se construit au prix d’efforts collectifs, de réformes courageuses et d’une vision assumée de la grandeur.

Claude Gbocho DP Akondanews.net

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