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Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que le français est la langue officielle de la Côte d’Ivoire (langue maternelle et langue de travail). De par sa pratique, à la fois, en tant que langue véhiculaire et vernaculaire, le statut du français n’a cessé de se renforcé depuis le premier contact colonial.
En effet, c’est la langue principale d’enseignement et, à ce titre, c’est quelques 34 % des habitants du pays, dont 69 % des habitants de la plus grande ville du pays Abidjan qui la comprennent et la parlent.
Pourtant, il y a lieu de distinguer le français tel que pratiqué par l’homme de la rue et le français des scolarisés ou français ordinaire. Si le français dit des milieux intellectuels ou français ordinaire ou encore « français de l’école » est respectueux des règles de grammaire de base, celui des milieux, populaires, en revanche, s’embarrasse de peu de scrupules, notamment dans l’usage des articles qui sont généralement omis, sans mentionner et certains «barbarismes » et autres « bizarreries » qui dénaturent la langue.
A côté de ces deux formes plus ou moins officiellement admises, il y a le « nouchi », un argot typique des jeunes apparu au milieu des années 1980, à Abidjan, qui se caractérise par « des changements de sens et par des emprunts aux langues locales, en particulier au dioula » et qui ne cesse de gagner du terrain du fait d’un certain nombre de facteurs comme «volonté cryptique, signe de reconnaissance, identification du groupe, etc. ».
A ce propos, une étude a révélé que le « nouchi » demeure « la première langue parlée dans la cour de l’école (64 %) sans compter que 33 % des élèves disent le parler en classe.»
Au regard de la diffusion de la forme populaire du français et du « nouchi », l’on serait tenté de parler de dynamisme linguistique et culturel, exactement comme le rapport des Américains à la langue anglaise et des Sud-américains à l’espagnol, si tant est que la richesse de la langue est le reflet d’une société «dynamique, innovante, imaginative, fière d’elle-même et de ses valeurs, de sa culture».
Cependant, ce qui aurait pu constituer un avantage culturel comparatif se révèle être un boulet aux pieds des Ivoiriens, notamment des jeunes apprenants dont le seul référent langagier est le français populaire ou le « nouchi » qui, pourtant, ne bénéficient d’aucune reconnaissance internationale.
En outre, s’il est un fait qui est devenu anecdotique dans le milieu scolaire en Côte d’Ivoire, c’est que c’est que l’ivoirien, non seulement lit peu mais pire qu’il apprend le français plus par les oreilles qu’en consultant le dictionnaire. Il n’est nullement étonnant qu’on a constaté, avec amertume et désespoir, que le niveau de langue chez les jeunes apprenants a considérablement baissé.
Alors, s’ensuit une interrogation qui mérite réflexion: si les experts et coachs en recherche d’emploi insistent sur un CV et une lettre de présentation dénués de toutes fautes d’orthographe et de grammaire, et sachant que les apprenants éprouvent d’énormes difficultés à « aligner deux phrases » sans faire de fautes, à combien plus forte raison pourront-ils s’exprimer correctement à l’oral, sachant qu’en général ils sont plus susceptibles de faire des fautes à l’oral qu’à l’écrit?
A la suite de nombreux analystes et commentateurs de la portée et de l’importance des langues nationales dans le processus de développement, on pourrait avancer que par souci d’autonomie linguistique ou même par orgueil national, les Ivoiriens éprouvent une grande fierté pour « leur français», mais jusqu’où peut aller ce sentiment si ce français, parfois tronqué et incorrect, constitue un véritable frein pour les apprenants à révéler le meilleur d’eux lors de la préparation du matériel de candidature à une offre d’emploi ou à un entretien d’embauche ?
Alors, en attendant qu’on ne crée une académie pour l’apprentissage et l’enseignement de nos langues nationales, nous sommes contraints d’apprendre et de bien parler le français. »
Oussou Kouamé Rémi, Enseignant-chercheur à l’Université Alassane Ouattara-Bouaké et Doyen du Campus 2 de l’université internationale Clairefontaine- Expert en emploi et employabilité de l’étudiant