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» Au temps jadis, survint une grande famine et l’araignée qui venait d’épouser une très jeune fille ne trouvait même plus un morceau de manioc pour la nourrir. Aussi alla-t-il en brousse à la recherche d’ignames sauvages.
Il marcha longtemps. Tout à coup à peu de distance de lui, il aperçut les Hommes Bosses en train de faire les funérailles de leur vieux père. Lorsqu’un homme de cette race meurt, la bosse qu’il a portée toute sa vie sur son dos ne le suit pas, mais reste sur terre à la charge d’un de ses enfants ou petits frères. Le jeune homme araignée s’approcha en disant :
– » Ah ! quel malheur ! Pourquoi, votre vieux père étant mort, ne m’avez-vous pas appelé pour participer à la fête ? et les Hommes Bosses se laissèrent prendre à la supercherie. Ils s’excusèrent en lui donnant un gros mouton, un sac de riz et une tine d’huile rouge. L’araignée en échange accepta le souvenir du père, c’est-à-dire sa bosse. Ainsi fut conclu le marché. Les premiers étaient satisfaits de ne pas hériter de la bosse et le second se félicitait de son stratagème qui le pourvoyait en provisions.
Cependant, la fête continuait. Les Hommes Bosses achevaient de distribuer aux convives la viande cuite à l’occasion des funérailles. Dès que chacun avait sa part, il regagnait sa case avec sa bosse. En effet, lorsqu’ils sont au village ou occupés à la plantation, ou encore à la chasse en brousse, les Hommes Bosses peuvent déposer leur bosse à terre, mais quand vient l’heure de rentrer au logis, la bosse d’un coup saute sur leur dos dés qu’ils ont prononcé les paroles suivantes :
» Koabloho, zindehé ! Zimpaclebedé, epaclebedé ingnouhin! qui signifient en Ouobé : » Bosse de nos ancêtres, Toi qui vécus avec eux et qui es à présent l’inoubliable souvenir que nous conservons d’eux, Viens, nous rentrons chez nous. «
Ainsi procédait chacun des Hommes Bosses présents aux funérailles et l’une après l’autre, chaque bosse posée à terre pendant le repas, sautait sur le dos de son possesseur. Il ne resta plus sur le sol que la très vieille bosse du père, toute barbue. Son nom était Zin, c’est-à-dire » bosse « . Elle attendait que le jeune homme araignée l’endossât. Celui-ci s’était débrouillé pour recevoir le dernier sa portion de nourriture, afin de rester seul et de s’enfuir. Mais les autres étaient là, rassemblés, chacun avec la bosse de ses ancêtres sur son dos, impatients de rentrer chez eux et attendant que l’étranger dit la prière. Celui-ci se vit obligé de commencer :
– » Koabloho, zindehé ! Zimpaclebedé, epaclebedé, … clebedé… mais il ne prononça pas le dernier mot qui lui donnerait la bosse et l’empêcherait de retourner auprès de sa jeune épouse.
– » Dépêche-toi de dire ta prière, grondèrent les Hommes Bosses.
Et l’araignée recommença très lentement :
– » Kaobloho, zindehé ! Zimpaclebedé, epaclebedé… clebedé… Il ne pouvait se résoudre à terminer. Se demandant comment sortir de ce mauvais pas, il cherchait autour de lui, par où s’enfuir. Insensiblement, il se rapprocha d’un coin. Puis, comme pour prononcer enfin la prière rituelle, il commença à réciter et brusquement se pencha, trancha d’un coup de couteau la liane attachant le mouton reçu en présent, le jeta sur son dos et chargé de tous les autres cadeaux, il s’élança dans la brousse.
Il avançait dans la forêt noire en coupant les lianes qui gênaient sa marche. Si les Hommes Bosses n’avaient pas osé le poursuivre, la vieille bosse barbue était là derrière lui et, chaque fois qu’il tranchait une liane, elle en sectionnait une elle aussi et passait. Car la puissance des ancêtres ne pouvait rester seule. Il lui fallait être prise en charge par un homme vivant.
Il faisait grand nuit quand l’araignée arriva chez elle. Elle ouvrit la porte et entra avec ses provisions. Sur ses talons, la bosse invisible se glissa sous le toit de la case. Lorsque les deux époux se furent bien rassasiés avec les provisions, l’araignée dit :
– » Aujourd’hui, j’ai trop froid. Nous ne coucherons pas par terre mais au grenier.
A la vérité, elle avait peur de la bosse qu’elle imaginait rôdant dans la nuit, autour de la case. Aussi, ferma-t-elle soigneusement la porte et suivie de sa femme, grimpa au grenier. Lorsqu’ils furent couchés, la jeune femme demanda :
– » S’il vous plaît, où avez-vous trouvé tout ce riz, toute cette huile et ce mouton ?
– « Ah ! ma chère dame, vous voudriez le savoir ? répondit le jeune homme. Eh bien voilà : quand je suis parti en brousse ce matin, j’ai rencontré les Hommes Bosses en train de célébrer les funérailles de leur vieux père qui venait de mourir. Je les ai abordés en leur demandant pourquoi ils ne m’avaient pas prévenu ? Ils se sont excusés en me donnant ce sac de riz, cette tine d’huile et ce gros mouton. Mais la bosse du vieillard m’est restée en partage. Je me suis sauvé sans prononcer la prière comme ils me demandaient de le faire, car celui qui la récite entièrement, voit la bosse lui sauter sur le dos. Ses paroles sont :
» Koabloho, zindehé ! Zimpaclebedé, epaclebedé… clebedé… Non, ma chère épouse, je ne puis pas les achever, c’est trop dangereux pour moi.
– » Si tu ne me les dis pas, je retourne chez mes parents, menaça la jeune femme dévorée de curiosité.
– » Après tout, tant pis, fit le jeune homme. La bosse ne m’entendra pas. A cette heure, elle doit être retournée chez elle. Rien ne m’empêche donc de te dire la prière. Écoute : » Koabloho, zindehé ! Zimpaclebedé, epaclebedé ingnouhin !
Ah quel malheur ! Sitôt ce dernier mot prononcé, la bosse creva le toit de la case, arracha le papo et cogna le dos du garçon si violemment qu’il traversa le plafond et tomba en bas, sur le sol de la case. L’araignée remonta auprès de sa femme.
– » Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.
– » Ce n’est rien, ma chère épouse, je m’étais mal couché et c’est ce qui m’a fait tomber. Cependant, la bosse courbant son dos, elle ajouta :
– « … demain, j’irai à l’aube défricher la brousse qui envahit notre plantation de riz. Toi, tu m’apporteras mon repas au champ dès que tu l’auras préparé. Mais à l’entrée, tu m’appelleras afin que je sois prêt à te recevoir.
La femme répondit qu’elle ferait ce qu’il ordonnait.
Elle dormait encore lorsque l’araignée se leva et partit le dos courbé par sa bosse, le lendemain matin. Son premier soin fut de désherber un endroit bien ombragé et de creuser sur le côté d’une termitière, un trou à la dimension de sa bosse, de façon que s’asseyant à terre, le dos appuyé à la termitière, sa bosse fût invisible, cachée dans le creux. Cette précaution prise, elle entreprit le débroussement du sol.
Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque la femme vint apporter la nourriture du matin. Elle appela son époux à l’entrée, et lui, abandonnant aussitôt sa matchette, courut s’asseoir le dos à la fourmilière et souriant l’attendit. La jeune femme s’approcha, déposa devant lui le canari et repartit sans avoir remarqué la difformité de son époux. Tous les jours, le jeune homme procéda ainsi. Le soir, il rentrait chez lui, longtemps après que la nuit fût tombée. Il arriva pourtant que la jeune femme se demandât :
– » Comment se fait-il que mon mari ne se lève jamais devant moi ? et elle eut une idée.
Le jour suivant, son repas prêt, elle partit ramasser des » fourmis guêpantes « . Puis elle se rendit à la plantation un peu plus tôt que d’habitude et sans se faire voir de son époux occupé ailleurs, libéra les fourmis dans les creux de la termitière. Elle regagna ensuite l’entrée du champ et annonça son arrivée par de grands cris :
– » Mari ! appella-t-elle. Mari ! je vous apporte à manger.
Aussitôt l’araignée se hâta de rejoindre son trou dans la fourmilière. Sa femme déposa la nourriture devant lui et reprit le chemin de la case. Dès qu’elle se trouva hors de la vue de son époux, elle se cacha derrière un palmier et surveilla les gestes de l’araignée. Celle-ci était assise. Elle commença à manger puis à se trémousser. Les fourmis la piquaient. Bientôt, il lui fut impossible de demeurer en place et elle se leva. La jeune femme apercevant alors son dos tout courbé par la bosse, s’écria :
– » Ah ! cher mari. Je vois la bosse que tu as sur le dos et je ne veux pas vivre avec un mari infirme !
Sur ces mots, elle prit la fuite et rejoignit la concession de ses parents. Depuis ce jour, l’araignée ne l’a point revue.
De l’aventure retracée par ce conte, date la possibilité pour une femme de divorcer à sa guise. Mais la faute en revient à l’araignée qui n’a pas su conserver pour elle, ce qu’elle devait garder dans le secret de son cœur. Souvenez-vous aussi qu’il ne faut pas jouer avec la puissance des ancêtres que le garçon endosse pour danser sous le masque. «
Source : Dynamique de la société ouobé, Girard J., IFAN 1967
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