La France face à son passé colonial : une vérité toujours niée

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Plus d’un siècle après les débuts de son expansion coloniale, la France persiste à refuser d’appeler un chat un chat : la colonisation fut un crime. Crime contre l’humanité, contre les peuples, contre les mémoires. Pourtant, les gouvernements français successifs, de droite comme de gauche, semblent atteints d’un aveuglement sélectif et d’un entêtement institutionnalisé. Pire : ils opposent à la mémoire des peuples colonisés une propagande réchauffée, maquillée sous des oripeaux de “grandeur”, de “civilisation”, de “routes et d’écoles”.

Le discours de Bruno Retailleau, dernier en date à brandir l’étendard de l’arrogance coloniale, n’est qu’un nouvel épisode dans la longue série des dénégations officielles. Pour lui et ses semblables, la repentance est une faiblesse, et reconnaître les atrocités commises serait “empêcher une relation saine avec l’Afrique”. Quel cynisme ! Nier les crimes, ce n’est pas bâtir une relation “franche et loyale”, c’est insulter la mémoire, blesser les vivants et maintenir une domination symbolique d’un autre âge.

Une armée d’occupation, pas de libération

L’histoire, la vraie, est pourtant limpide. De la conquête de l’Algérie dès 1830 jusqu’à la guerre d’Indochine et au-delà, l’armée française a semé la terreur : massacres, déportations, pillages, enfumades de villages entiers dans les grottes d’Algérie, tortures à grande échelle durant la guerre d’indépendance. Ce ne sont pas des “excès”, ce sont des méthodes systématiques.

L’Afrique noire, elle aussi, a connu l’enfer sous le drapeau tricolore : dans l’actuelle République centrafricaine, les tirailleurs sénégalais étaient envoyés tuer d’autres Africains pour asseoir l’ordre colonial. Au Cameroun, dans les années 1950, la France a écrasé dans le sang les mouvements indépendantistes. Bombardements, assassinats ciblés, disparitions forcées : là encore, le silence est lourd. Combien de Français savent aujourd’hui que leur pays a organisé la répression brutale de l’Union des Populations du Cameroun ?

Et que dire de Madagascar en 1947, où la révolte des Malgaches fut matée au prix de plus de 80 000 morts, selon certaines estimations ? Une répression que la République, toujours prompte à s’indigner ailleurs, ne reconnaît toujours pas comme un crime d’État.

Des crimes d’hier aux hypocrisies d’aujourd’hui

L’empire colonial français s’est effondré, mais l’attitude coloniale, elle, survit. On la retrouve dans les réseaux de la Françafrique, dans les interventions militaires françaises en Afrique sous couvert de “lutte contre le terrorisme”, mais souvent motivées par des intérêts économiques ou stratégiques.

On la retrouve dans l’immense réticence de l’État français à rendre les biens culturels pillés, à restituer les œuvres volées, les ossements d’anciens résistants enfermés dans des musées. Même quand le mot “crime” est prononcé – timidement, partiellement – c’est dans un contexte diplomatique, jamais pleinement assumé devant le peuple français.

Une histoire écrite à l’encre du sang

Face à cela, certains rappels s’imposent. Georges Clemenceau, en 1885, dénonçait déjà la barbarie coloniale à la tribune de l’Assemblée. Aimé Césaire, dans son célèbre Discours sur le colonialisme, mettait à nu le vrai visage de la mission dite “civilisatrice” : une entreprise de dépossession, d’humiliation, de mutilation identitaire.

L’article 4 de la loi de février 2005, qui osait parler du “rôle positif” de la colonisation, a constitué l’un des sommets de cette indécence historique. Et même après son abrogation, l’idéologie derrière cette loi n’a jamais disparu. Elle revient sans cesse, comme un fantôme malveillant, dans les discours des responsables politiques français.

Refuser de nommer le crime, c’est le perpétuer

La France se veut le pays des droits de l’homme, mais elle peine toujours à reconnaître que sa propre histoire est bâtie sur des violations massives et systématiques de ces mêmes droits. Tant que la République se refusera à un acte de reconnaissance claire, officielle, sans conditions, elle restera prisonnière de ses fantômes coloniaux.

Il ne s’agit pas de se “flageller”, comme aiment à le dire ceux qui veulent clore le débat. Il s’agit de dire la vérité, d’écouter les descendants de ceux que l’on a opprimés, et de réparer. Parce qu’il n’y a pas de justice possible sans mémoire, pas de réconciliation sans reconnaissance.

La colonisation est un crime. Point. Final.

Kouachiada, envoyé spécial

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