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DJIMADOUM MANDEKOR est économiste, retraité, ancien Directeur au siège de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) à Yaoundé (Cameroun), en charge de la mise en oeuvre de la politique monétaire. Interrogé par la rédaction d’ Akondanews.net, Il fait une analyse sur Les récentes coupures de billets de banque mises en circulation au sein de la CEMAC ( Communauté Économique et Monétaire de l’ Afrique Centrale).
Aknews: Bonjour monsieur DJIMADOUM MANDEKOR !Quelle appréciation faites-vous des nouvelles coupures de billets de banque de la BEAC ?
Tout d’abord, permettez-moi de saluer votre site d’information que je découvre. Je félicite leurs initiateurs qui offrent ainsi une vue sur l’Afrique aux personnes résidentes en Allemagne et ailleurs, notamment les africains de la diaspora.
Sur la gamme des billets de la BEAC mis en circulation le 15 décembre 2022, dans l’ensemble, après une certaine réticence initiale provenant del’habitude prise des anciennes coupures, je les trouve esthétiquement assez bien élaborées, avec une tonalité moderne, notamment sur leur taille plus petite.
La question de l’opportunité d’une nouvelle gamme de billets doit être posée aux dirigeants de la BEAC. Les raisons souvent invoquées sont l’amélioration de l’inviolabilité des billets face à la contrefaçon et de la durabilité du papier utilisé dans leur fabrication. Unautre motif, caché, est celle de ses dirigeants de se mettre en valeur aux yeux des responsables politiques, dont ils affichaient les effigies jusqu’à y compris l’édition des billets 1982. Cette dernière motivation a été mise en exergue par les praticiens des théories économiques des institutions qui rappellent que l’intérêt individuel est présent dans tous les agents économiques.
Les anciens billets, toujours en circulation aujourd’hui, datent de 2003, il y a 19 ans. Depuis sa création en 1972, sur les cendres de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique Centrale (BCEAC), la BEAC s’était imposée de renouveler ses signes monétaires tous les 10 ans. Le changement observé avec la période qui vient de s’écouler, imputable surtout aux difficultés traversées entre 2009 et 2019, dont le placement toxique auprès d’une banque française et le détournement opéré au bureau parisien de la BEAC ainsi que l’effondrement des prix du pétrole de juillet 2014, est salutaire vu le coût élevé de la fabrication des billets.
Le renouvellement trop fréquent de série des billets de banque devrait donc être évité à l’instar de la pratique des Etats Unis où les modèles des billets varient peu depuis des décennies, hormis sur les éléments de sécurité. Les billets d’euros, lancés en 2003, demeurent globalement identiques jusqu’à maintenant tandis que la BCEAO ne paraît pas envisager le remplacement de ses coupures mises en circulation en 2003.
Les nouveaux billets ont vu apparaître des éléments de sécurité supplémentaires, pour augmenter les obstacles à leur falsification, et le papier employé a été modifié pour le rendre plus résistant. En outre, leur usage par les déficients visuels a été amélioré.
En matière de billets comme pour d’autres choses de la vie, le changement d’habitude n’est pas aisé. L’accoutumance viendra avec le temps. Cependant, l’opinion s’étonne que rien n’a été fait pour rendre plus disponible les pièces de monnaie dont la rareté les gêne beaucoup dans leurs transactions courantes.
Comme vous le savez les billets émis par la BEAC circulent dans les six pays de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique (CEMAC), en l’occurrence au Cameroun, en République Centrafricaine, au Congo, au Gabon, en Guinée Equatoriale et au Tchad. En soi, les nouveaux billets viennent essentiellement remplacer les anciens dans la réalisation des transactions commerciales. Leursavantages particuliers attendus sont la réduction dutaux de contrefaçon et le rallongement de la durée de vie des signes monétaires. La valeur globale de la richesse produite et existante dans la sous-région ne varie pas.
Aknews: Le renouvellement intervient aussi dans un double contexte : d’abord la remise en cause du F CFA et aussi la démission réclamée du Gouverneur de la BEAC par le personnel de l’institution. Quelle analyse vous en faites ?
Le projet de lancement d’une nouvelle gamme de billets est antérieur aux questions de gouvernance de la BEAC qui sont soulevées de manière insistante depuis ces 3-4 dernières années, notamment à la faveur du concours de recrutement des cadres supérieurs de la Banque centrale organisé en mai 2022 tandis que la demande d’un démantèlement de la zone franc est plus ancienne.
Néanmoins, comme signalé plus tôt, la mise en circulation de nouvelles coupures procède en bonne partie d’une action de communication qui emporte l’attention vers des sujets moins controversés que ceux que vous mentionnez.
Il me semble que tant en Afrique centrale qu’en Afrique de l’Ouest il n’y a pas de réel empressement à sortir de la Zone franc. Tout ce qui se dit ou se fait relève beaucoup des effets d’annonce même si la question est plus souvent abordée dans les pays de l’UEMOA que dans ceux de la CEMAC.
Pour que les dirigeants de ces deux communautés sous-régionales s’emparent résolument de ce sujet, il faudrait que le débat ne se cantonne pas seulement à la quête de la souveraineté monétaire théorique maissoit étendu aux aspects économiques et sociaux, dont celui de la gestion des finances publiques, avec la participation de tous les acteurs (hommes et femmes d’affaire, comme tente de le faire au Cameroun le Président du GICAM ; syndicats des salariés ;universitaires ; associations des jeunes dont particulièrement ceux sans emplois ; etc.)
Les chantiers pour l’intégration et le développement des six économies de la CEMAC ne manquent pas mais celle-ci ne brille pas trop par son dynamisme.Dans le domaine financier, il est urgent de les Etats, la BEAC et les institutions de financement fassent les efforts nécessaires pour accélérer l’inclusion financière. Actuellement le taux de bancarisation est d’environ 15% de la population totale contre 35 % en moyenne en Afrique Subsaharienne.
Malheureusement, la plupart des institutions de la CEMAC étant dans l’attente, depuis novembre 2022,de la désignation de leurs responsables, il y’a un gel de fait de leurs activités déjà peu efficaces. Or, la Conférence des Chefs d’Etat, en charge de ces nominations, peine à être organisée plus de trois ans après le dernier sommet ordinaire tenu en 2019, au lieu d’une réunion annuelle programmée contre deux rencontres statutaires en Afrique de l’Ouest.
L’absence d’un véritable parlement communautaire ne permet notamment pas d’interpeller laCommission de la CEMAC et les institutions techniques sur leur inertie. La Cour des Comptes de son côté ne fait pas montre d’un suivi rigoureux du fonctionnement effectif de ces institutions.
Les billets n’étant qu’un moyen de régler les achats de biens et de services, ce qui importe le plus évidemment est l’évolution du revenu par habitant et des prix. La faible progression des revenus individuels et leur inégalité, le sous-emploi global et le chômage des jeunes ainsi que l’emballement récent des prix sont des préoccupations fortes à adresser prioritairement.
Aknews: Personnellement, vous émettez quelques attentes, déceptions ou tout simplement avez-vous des suggestions à faire pour encadrer la démarche de la BEAC ?
Le lancement des nouveaux billets de la BEAC amène à réfléchir sur les choix de gestion de ses dirigeants. En effet, alors que la tendance lourde universelle est la baisse de la part de la monnaie fiduciaire dans la masse monétaire et que la place de la monnaie numérique devrait s’accroître, cette banque centrale tarde, entre autres, à accélérer la finalisation de la mise en place d’un bureau d’information financière (credit bureau en anglais), composante d’une infrastructure d’information financière jugée indispensable pour, notamment,réduire le coût du crédit et augmenter le taux de bancarisation. Pourtant, les partenaires tels que la BAD et la Banque mondiale sont disponibles à accompagner cet effort.
Au contraire, la construction d’agences de la BEAC continue dans des zones relativement peu habitées et sans un niveau d’activités économiques particulièrement appréciable. L’édification de ces éléphants blancs, dont la dernière est en train d’être hâtée à Am-Djarass, ville natale du défunt président tchadien Déby Itno, avec une population estimée de 2000 habitants, poursuit un but vraisemblablement pasgénéral et communautaire. Sa rentabilité économique ne peut être établie par un avis neutre alors qu’ellevient après les investissements du même type réalisésles années précédentes à Franceville, Oyo, Ebebeyin et Ebolowa, fiefs respectivement du feu président Omar Bongo et des Chefs d’Etat congolais, équato-guinéen et camerounais. Il ne faut pas être étonné qu’avec un Gouverneur centrafricain à compter de 2024, la construction d’une nouvelle agence de la BEAC en RCA soit déclarée dans la foulée !
En cette nouvelle année 2023, le plus grand vœu à émettre est de voir progresser la bonne gouvernance de la BEAC afin que cette banque centrale se consacre pleinement à réaliser ses missions en faveur des économies et des populations de ses pays membres.
Interview réalisée par Yves Modeste Ngue
( correspondant) Akondanews.net