Histoire de la fille du roi Bagui

II était une fois une princesse nommée Sébahi, si belle que tous les jeunes gens du monde désiraient l’épouser. Mais elle refusait toutes les demandes de fiançailles, en disant :

–  » Celui qui sera mon époux n’est point parmi vous. « 

Un jour pourtant, un diable de brousse alla consulter un marabout et lui demanda quel moyen utiliser pour gagner le cœur de Sébahi.
–  » Cher génie, je vous prie de m’indiquer comment conquérir la fille du Roi, la princesse Sébahi.
– « J’accepte de te le dire, répondit le génie qui avait l’apparence d’une chenille. Le diable était à ce moment-là, la bête la plus laide que l’on puisse imaginer. Il réclama tout d’abord la beauté.
–  » Si tu vas demander au singe de brousse, ses cheveux blonds, dit le génie ; si tu remplaces tes dents par des champignons choisis parmi les plus blancs, car tes dents de diable ressemblent à celles des éléphants et tout le monde a peur de toi ; si tu prends les pieds d’une taupe, les yeux d’une musaraigne, la belle figure d’une girafe ; si tu fais tous ces emprunts, tu seras beau. »

Le Guinarou remercia la chenille, et alla chercher tout cela. Il devint alors très agréable à regarder et le sut. Aussi se mit-il sans retard en route pour aller présenter sa candidature à la jeune fille. Lorsqu’il arriva à son village, il s’était transformé en un homme très important.

Sébahi aima de tout son cœur ce Guinarou qui venait solliciter sa main. Elle dit : –  » Celui-ci sera mon mari pour l’éternité. Alors la petite sœur de la princesse qui était sa gardienne, fut prévenue par la mouche tsé-tsé sa protectrice et intervint :
–  » Ah ma sœur ! ce n’est pas un homme que tu vas épouser. C’est un habitant de la brousse. Sébahi répondit :
– « Vas-t’en, tu m’ennuies. La petite sœur se mit à pleurer sur le malheur de Sébahi qui ne connaissait pas son destin.

Zédé fiança la fille. Il passa une belle nuit avec elle et au lever du jour les parents leur apportèrent à manger, ignorant qu’un diable avait emprunté aux habitants de la brousse, toutes les parties de son corps pour séduire leur fille. Lorsqu’ils furent rassasiés, Sébahi fut autorisée à partir avec lui.

Sa jeune sœur lui dit alors :
–  » Va dans la case où dorment les chevaux de ton père. Prends le plus petit que tu trouveras et monte-le pour accompagner ton fiancé. Comme ça, il ne t’arrivera rien de mal.
–  » Comment oses-tu me parler ainsi, à moi la princesse ? la reine du monde ? Il ne peut rien m’arriver de mal. C’est impossible. La petite ne put s’empêcher de pleurer :  » Sébahi va mourir. Elle ne connaît pas son avenir, elle ignore le malheur qui va la frapper.  » Elle pleurait interminablement. Pour arrêter ces larmes, Sébahi alla chercher le petit cheval de son père, accepta des mains de sa sœur un œuf de poule, une pierre blanche et un brin de raphia. Puis elle partit avec son fiancé.

Lorsqu’ils eurent parcouru une longue distance, ils trouvèrent devant eux à un détour de la piste, le champignon qui avait prêté ses dents au Guinarou. Il parla :
–  » Ah ! bonne arrivée cher ami. Je suis heureux de te voir car les dents que tu m’as données en échange des miennes m’ont empêché de manger. Je ne puis dormir, car depuis ton départ, la faim me tenaille. Sébahi entendant ces mots, se souvint de la mise en garde Je sa sœur et se demanda si ce qu’elle voyait était vrai.
–  » Je ne vais pas plus loin, je retourne chez mes parents, dit-elle au diable.
–  » Non, c’est impossible car tu commences à voir mon personnage. Continuons tu seras ma femme, répondit le Guinarou.La jeune fille ne pouvait s’échapper car la distance était déjà trop longue. En suivant le Guinarou, elle hochait la tête de désespoir :  » Vraiment, je suis dans le malheur et le chagrin… « 

Plus loin ils rencontrèrent sur la piste, la taupe qui les attendait.
–  » Ah ! bonjour cher ami. Les longs pieds que tu m’as laissés en échange des miens m’empêchent de marcher. Avec eux je ne puis couper les petits roseaux que j’aime tant grignoter. Te voici arrivé à point. Prends tes pieds et rends-moi les miens. Et le diable rechaussa ses grands pieds. Sébahi était très inquiète.

Ils reprirent le chemin et arrivèrent au village de la musaraigne.
–  » Ah ! dit celle-ci, bonne arrivée mon ami. Avec les gros yeux que tu m’as donnés en échange des miens, je ferme très difficilement les paupières et je vois les objets tout drôlement aujourd’hui. Puisque tu es là, reprends tes yeux et rends-moi les miens. Et le Guinarou lui rendit ses yeux. La femme suivant son mari qui ressemblait de plus en plus au diable, chemina jusqu’au village de celui-ci. Ils se marièrent et reprirent leur route.

Guinarou marchait à pieds et Sébahi suivait, montée sur son petit cheval. Ils parvinrent ainsi au village du singe blond.
–  » Ah ! tu as épousé la fille du Roi, la princesse ? C’est très bien. Merci mon ami. Tu es brave. Mais les cheveux que tu m’as laissés en échange des miens appesantissent ma tête et l’empêchent de bouger quand j’ai envie. Rends-moi ceux qui me reviennent et prends les tiens. Et la fille le cœur battant continua son chemin.

Le diable devenait de plus en plus laid. Il était si horrible qu’aucun être humain ne pouvait le regarder. Et Sébahi qui avait refusé d’épouser un homme dont la beauté n’égalât pas la sienne, eut peur. Elle courba la tête et pensa à la mort. Il ne restait à présent au diable plus que son visage de girafe à restituer. En son cœur, la fille se dit :
– « Bien qu’on lui ait enlevé ses dents, ses pieds, ses yeux, ses cheveux, je peux encore si je le désire contempler son visage. L’un suivant l’autre, ils parvinrent à la grande savane abritant derrière se » buissons, le village des girafes.
–  » Bon, dit le Guinarou à Sébahi, attends-moi ici sans bouger. Je m’en vais uriner derrière le buisson que tu vois. Et il s’éloigna. Il rencontra la girafe qui lui demanda de lui rendre son beau visage et lui, retrouva sa vilaine gueule, sa bouche affreuse crachant, le feu. Ayant ainsi repris complètement son apparence de diable, il rejoignit sa femme, Sébahi la jeune fille.

Lorsque le petit cheval aperçut sa bouche fumante, il eut très peur et hennit très fort. Il se cabra, fit volte-face et emporta la jeune fille au triple galop. Derrière eux, le diable prit sa course et la poursuite commença. Le cheval courait si fort qu’il se trompa de route et s’engagea sur la piste conduisant au village où les femmes ne vont jamais. Le diable s’aperçut de l’erreur, mais Sébahi jeta l’œuf de poule et une mer immense barra le chemin au Guinarou. Arrivant sur le rivage, celui-ci dit :
–  » Toi la mer, si ce n’est pas là la manière de ma première épouse, ne me laisse pas le passage pour que je la rejoigne. Il donna un coup de lance et comme elles étaient l’oeuvre de Sébahi, les eaux se fendirent, ménageant un étroit couloir. Le diable s’y précipita et reprit sa poursuite.

Il courut si vite qu’il fut bientôt près de Sébahi. Alors elle jeta la brindille de natte et une forêt dense, si dense qu’aucun mari ne pouvait y passer, qu’une aiguille n’y trouverait pas son chemin, surgit entre eux. Et le diable répéta sa prière :
–  » Si cette forêt n’est pas l’œuvre de la main de ma première épouse, qu’elle ne me laisse pas le passage. Mais si c’est son ouvrage, ouvre-moi mon chemin. Il tira une flèche et une route toute droite s’ouvrit, sur laquelle il s’élança. Et la poursuite continua.

Le diable courait. Il se rapprochait. Pour la troisième fois, il était près de Sébahi. Bientôt, il pourrait la saisir. Alors elle jeta la pierre blanche et une grande montagne se dressa, très haute, énorme, rocheuse, colossale. Le Guinarou se mit à genoux :
–  » Si cette montagne n’est pas l’œuvre de la main de ma première épouse Sébahi, qu’elle ne me laisse pas le passage. Mais si c’est le fait de ma simple femme, délivre-moi de cet obstacle, afin que je puisse passer.
Quand il donna de la lance contre le roc, son arme se brisa en deux.
– « Bon, dit le diable en regardant sa lance, Sébahi, je sais que tu vas dans le village où les femmes ne peuvent pénétrer.

Élevant sa voix formidable, il appela ses camarades démons à la rescousse, pour qu’avec lui, ils attendent la jeune fille sur la montagne et la tuent, lorsqu’elle se trouvera dans l’obligation de revenir sur ses pas. Toujours galopant, le cheval tourna sa tête et approchant ses naseaux de l’oreille de Sébahi, lui dit :
–  » Nous voyons les cases du village où les femmes ne vont pas. Ici, sur mon épaule gauche, arrache un poil afin qu’il te serve de pantalon. La jeune fille enleva le poil et celui-ci devint un pantalon qu’elle enfila.
Le cheval parla encore :
–  » … de l’autre côté, sur mon épaule droite, arrache un second poil pour qu’il te serve de boubou. Elle obéit et s’enveloppa d’un ample boubou.
– « … regarde sur mon cou, ajouta l’animal. Prends un autre poil et qu’il te serve de chéchia. Et Sébahi se coiffa d’une chéchia.
–  » Bon, dit le petit cheval en la regardant, c’est bien. Maintenant tourne-toi vers le bout de ma queue, tire un crin et que cela te serve d’épée. Porte-la suspendue à ton cou. Et la jeune fille fit ce que le cheval commandait.
–  » … prends ici au coin de ma paupière gauche, un cil, et fais-t’en une paire de babouches. Quand tout ceci fut fait, la jeune fille avait pris l’apparence d’un homme.

Elle s’approcha du village interdit, y pénétra, demanda à voir le chef en se présentant comme le Roi d’un autre pays, venant faire une visite de voisinage. Le chef la reçut courtoisement. Mais une vieille sorcière, de celles qui prévoient la gâti de toutes choses, qui disent ce qui est bien, mauvais, mérité, ce qui n’est pas dû, soupçonna une fraude en voyant Sébahi et déclara :
–  » Je m’en vais faire l’épreuve des kolas. Elle fendit en deux une kola blanche envoyée par le chef.
–  » … lorsque je les aurai lancés, si les deux morceaux de noix retombent la face en l’air, c’est que le visiteur est garçon. Si l’une seule des faces est tournée vers le sol, c’est que nous avons affaire à une femme. L’épreuve devait avoir lieu devant le chef, mais il l’interdit au dernier moment et ses hommes l’approuvèrent.
–  » Non. Ce que vous soupçonnez est faux. Cette épreuve ne nous donnera pas la vérité. L’étranger est un garçon. Mais si vous voulez que nous nous en assurions demain à l’aube, tous les jeunes hommes du village partiront aux champs et en rapporteront vingt gourdes de vin de palme très fort et dix de vin de palme sucré. Ils faisaient tous ces projets à l’insu de Sébahi qui était allée dormir dans une case.
–  » Lorsqu’on va lui présenter le vin, disaient-ils, si c’est une femme elle ne pourra pas boire le vin fort. Elle ne goûtera qu’au vin sucré. Elle révélera alors son sexe et nous la tuerons. Si au contraire, c’est un homme, il choisira le vin fort et nous le laisserons aller.
Ainsi parlaient le chef et ses hommes. Mais le cheval veillait. Resté à côté de la case, il avait tout entendu.
–  » Demain, dit-il à la jeune fille, on t’offrira du vin. Ne touche pas aux dix gourdes qui seront mises à part. Sers-toi de celui des vingt autres qui se trouveront à côté. Au matin, le chef du village fit apporter les trente gourdes. Il groupa les dix de vin sucré, les vingt de vin fermenté et les présenta à Sébahi. Elle tendit la main, saisit une gourde de vin sucré, la porta à ses lèvres :
–  » Oh ! on dirait de la limonade s’écria-t-elle. Ce n’est pas bon. C’est une boisson de femme, je n’en veux pas. S’emparant d’une gourde de vin fermenté, elle le goûta.
–  » Voilà ce que je préfère boire ! Le cheval l’avait prévenue.  » Ce que tu boiras, avait-il dit, c’est moi qui l’urinerai. Donc bois autant que tu pourras.  »
Sébahi but ainsi les vingt gourdes de vin fermenté. Le chef et ses hommes dirent alors à la sorcière :
–  » Regarde, elle a bu les vingt gourdes de vin fort. Voilà la preuve qu’il s’agit d’un homme. Tu nous as trompés et nous te tuerons à sa place. Ils exécutèrent leur menace. Lorsque la jeune fille fut prête à partir, elle monta sur son cheval, fit ses adieux au chef, aux hommes qui reçurent l’ordre d’accompagner l’étranger jusqu’au prochain carrefour. Arrivée là, la princesse renouvela son salut. Une fois loin d’eux, elle cria :
– « A vous qui dites que les femmes ne pénètrent jamais dans votre village, je dis que moi, Sébahi, fille de Roi, j’y suis entrée et qu’à cause de moi vous avez tué votre vieille. Aujourd’hui je connais votre manière de vivre.

Et elle s’élança au grand galop de son cheval. Le chef et ses hommes prirent leurs montures, s’armèrent de lances, de flèches et se mirent à sa poursuite. Le petit cheval courait, courait devant. En arrivant au pied de la montagne formée par la pierre polie, il prit son élan et la franchit d’un bond. Il retomba sur le sol devant le Guinarou et ses hommes tous surpris. Avant qu’ils aient pu reprendre leurs esprits, il était déjà loin et derrière lui courait le diable et son train.

Après un long galop, il atteignit le village du père de Sébahi. Là, les parents et la sœur, le cœur inquiet se désolaient. Ils se réjouirent tous grandement en la retrouvant. Revoyant son village, la jeune fille rassembla les habitants et leur parla ainsi :
–  » Les conseils des parents et des petits enfants peuvent sauver la vie d’un homme. L’histoire est à présent terminée. Lorsque votre petite sœur ou votre petit frère vous donnera un conseil, ne dites pas :
 » Comment toi si petit, tu veux me commander ?  »
Source : Dynamique de la société ouobé, Girard J., IFAN 1967

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