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Aux avant-postes du combat pour soutenir les Ukrainiens, les pays Baltes ont plus que jamais besoin de l’aide de l’Otan pour assurer leur sécurité. Sur la base aérienne de Siauliai en Lituanie, l’armée de l’air française est en constante alerte.Le 1er décembre, dès la prise d’alerte du détachement français en Lituanie dans le cadre de la politique de réassurance de l’Otan, une alerte a été déclenchée. Un Sukhoï 34 russe volait au large des Etats baltes. (Armée de l’air)
Par Anne Bauer
C’est un petit camp de Gaulois perdu au milieu de la plaine glacée de Lituanie. A deux heures de route de Riga, en Lettonie, et trois heures de Vilnius, la base aérienne de Siauliai accueille depuis le 1er décembre une centaine de militaires de l’Armée de l’air française qui se chargent d’assurer la police du ciel des Etats baltes.
Sous les tentes kaki, quatre Rafale sont prêts à décoller 24 heures sur 24. Depuis leur entrée dans l’Otan en 2004, les pays Baltes, faute d’être équipés du moindre avion de chasse, ont confié leur surveillance aérienne à l’Alliance. Au départ, un seul « plot » de quatre avions alliés suffisait. Mais depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, la surveillance aérienne n’a cessé de se renforcer, passant à deux puis à trois plots dans le cadre des mesures de réassurance adoptées par l’Otan .
Alertes sur avions russes
Désormais trois équipes de quatre avions de chasse sont donc alternativement en alerte pour assurer une surveillance permanente. Aux quatre Rafale de l’armée française s’ajoutent actuellement quatre F16 opérés par les Polonais, tandis qu’un groupe de quatre Eurofighter allemands opèrent depuis une deuxième base aérienne développée en Estonie à Amari.
Depuis leur arrivée le 1er décembre, les six pilotes mobilisés ont déjà enregistré sept alertes « scramble » en raison du vol d’une dizaine d’aéronefs, tous d’origine russe. A chaque fois, des avions de transport, de reconnaissance ou de chasse survolaient l’espace aérien balte sans avoir déposé de plans de vol, allumé leur transpondeur de manière à être identifiés, ou ouvert leur contact radio.
Garder son calme
Le 31 janvier, le colonel Burguy décollait ainsi en urgence. Une fois en vol, le Centre de commandement des opérations aériennes (CAOC) de l’Otan, qui depuis la ville allemande d’Uedem supervise la moitié Nord de l’Europe, lui a donné l’ordre d’aller vérifier trois contacts non identifiés au large des Etats baltes pour interception si nécessaire.
« Nous sommes les yeux et les oreilles du CAOC. On va au contact, pour voir les aéronefs et ramener le plus de renseignements possibles sur eux. Mardi dernier, il s’agissait bien d’un avion de transport Iliouchine 20 accompagné par deux avions de chasse Sukhoï-27 armés ». Identifier les avions, les accompagner et s’assurer de l’absence d’intention hostile, toute la difficulté est de manoeuvrer au plus près dans une « posture non escalatoire », sachant que les Rafale sont armés au minimum pour le combat air-air avec un ou deux missile Mica.
« La doctrine est de ne pas surinterpréter, ne pas surréagir », insiste le lieutenant-colonel Jonathan, chef du détachement Rafale à Siauliai, « comme les gendarmes sur la route, notre rôle est de vérifier, d’intercepter, d’accompagner et aussi de ramener le plus de renseignements possibles sur la vitesse, la trajectoire, les équipements des avions pour les transmettre aux officiers du renseignement ».
Il ajoute que les vols russes en mer Baltique dans les zones contrôlées par les Etats baltes se déroulent le plus souvent à la lisière des espaces aéronautiques souverains, au large des 12 miles nautiques, là où la circulation est libre mais sous contrôle. Et pour l’essentiel, les avions russes relient l’enclave de Kaliningrad au continent russe. Ainsi l’Iliouchine détecté a bien poursuivi sa route vers le Nord, vers la Russie, sans montrer d’agressivité.
Des armées baltes lilliputiennes et reconnaissantes
Sur la base de Siauliai, les pilotes tentent d’éviter tout dérapage, dans un contexte difficile, les Baltes s’identifiant totalement aux Ukrainiens. « Selon nous, les Russes ne volent pas beaucoup plus à proximité qu’avant l’agression de l’Ukraine », estime le colonel Jonathan. Néanmoins, « ils nous testent », indéniablement, reconnaît-il. Tous les quatre mois, l’Otan organise la rotation des équipes entre les nations volontaires, afin d’assurer une force dissuasive et défensive efficace.
« Parfois des habitants nous remercient, c’est gratifiant », souligne le pilote Burguy. Pour les Baltes, l’intégration dans l’Otan est vitale, car avec la meilleure volonté du monde, leur faible nombre (quelque 6 millions d’habitants pour les trois pays réunis, Lituanie, Estonie et Lettonie) et leurs armées lilliputiennes, ils ne font pas le poids face aux Russes.
Commande de canons Caesar
L’armée lituanienne, la plus grande, ne compte ainsi que 21.000 hommes, mais en retirant les appelés et les réservistes, il reste moins de 12.000 soldats professionnels. Le pays a bien rétabli le service militaire en 2015, après l’affaire de la Crimée, mais faute d’infrastructures et de moyens, il ne parvient à entraîner que 3.500 jeunes par an, soit à peine 10 % d’une classe d’âge.
Ces petites armées ne détiennent ni chars, ni frégates, ni avions de chasse et misent tout sur l’Otan et les coopérations bilatérales pour se défendre. A leur indépendance, les priorités étaient loin d’être militaires. En 2023 toutefois, la Lituanie a voté à la quasi-unanimité de porter son budget de défense à 3 % de son PIB, passant de 320 millions d’euros en 2012 à plus d’un milliard l’an dernier. Ainsi ont-ils commandé fin décembre à la France 18 canons Caesar, un investissement très important à leur échelle, qui marque leur souhait de coopérer avec Paris .
source: www.lesechos.fr(Anne Bauer (Envoyée spéciale à Siauliai (Lituanie))
Akondanews.net