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Ils nous veillent ou surveillent nos domiciles ou encore nos biens. Sous la pluie, sous le soleil, dans la chaleur… Ils n’hésitent pas à se plier en quatre pour secourir la population parfois au péril de leur vie.Et pourtant la société ne le leur rend pas bien. Vêtus de combinaisons jaune ou bleu ou encore blanc…etc, ils sont présents dans nos vies. Malicky, vigile depuis plus de 10 ans, est aujourd’hui chef de poste. Une ascension qui ne s’est pas faite en un jour. Il a dû gravir de nombreuses difficultés et affronter plusieurs accusations. Dans cette interview, Malicky, qui a souhaité témoigné sous le couvert de l’anonymat, pour préserver son emploi et éviter les repésailles, revient sur ce métier à la fois périlleux et « ingrat ». Sans langue de bois, ce titulaire d’un BAC D relate ses déboires et met le doigt sur la mauvaise foi des patrons des entreprises de gardiennage dont il fait le procès. Entretien !
Pouvez-vous expliquer le rôle d’un vigile ?
Le rôle d’un vigile est de surveiller les biens des personnes. Il surveille les habitations, les voitures et les bureaux.
Comment arrivez-vous dans ce métier ?
J’y arrive par le biais de difficultés que je rencontrais. Je suis titulaire d’un BAC D que j’ai obtenu en 2008 à Adzope. Je n’ai pas pu poursuivre mes études universitaires parce que je n’avais plus de soutien financier. Après la retraite de mon père, j’ai décidé d’arrêter les études, parce que je n’étais pas le seul. Il y avait des petits frères aussi à scolariser. Je suis le onzième fils d’une fratrie de quinze (15) enfants. Notre famille est composée de fonctionnaires, d’étudiants et autres. En fait, je vivais à Abidjan aux côtés de mes parents. C’est l’école qui m’a trimbalé à Adzopé loin d’eux. Après l’obtention de mon BAC, je suis retourné à Abidjan et depuis lors j’y suis resté.
Avec au moins le BAC D en poche, vous aviez la possibilité de poursuivre vos études universitaires en cours du soir. Mais pourquoi vous ne l’avez pas fait ?
J’ai présenté plusieurs concours de la Fonction publique en vain. J’ai fait trois fois le concours de police. Je suis toujours arrivé au dernier tour du concours d’entrée mais malheureusement je n’ai jamais pu franchir cette étape. En Côte d’Ivoire,si tu n’as pas donné un peu d’argent, tu ne peux pas avoir le concours de Police. Souvent quand nous nous rendions à la l’école de Police pour composer, les policiers nous narguaient : « Si vous ne déboursez pas huit cent à un million de francs CFA, ce n’est pas sûr que vous serez reçus au concours. » Déjà, vous en êtes démoralisés. J’ai aussi présenté par deux fois le concours du CAFOP. Comme je ne réussissais pas, j’ai été contraint de me rabattre sur le métier de la sécurité. Puisque j’avais des charges à honorer à savoir mon loyer, mon épouse et mes trois enfants à sustenter et à scolariser. L’aîné est en Seconde, le cadet en 4e et le benjamin en classe de maternelle.
Quels sont les déboires que vous avez connu dans votre métier ?
Si je commence à les énumérer, je ne finirai pas de sitôt. Je rencontre beaucoup de péripéties dans ce métier. J’ai toujours été chef de poste. Il y a des élements qui volent et toi, le chef de poste, tu es obligé d’assumer. Soit tu les protège, soit tu les livres tout en sachant que cette dénonciation t’emportera aussi. Pour la petite histoire, nous étions à Anyama (1) et nous avions pour mission de surveiller un chantier de 60 ha, propriété du Roi du Maroc. Il se situe non loin du grand séminaire d’Anyama.Figurez-vous que nous étions douze (12) éléments à veiller sur ce patrimoine du Roi Mohammed VI. J’y étais en qualité de chef de poste et j’étais posté à l’entrée du chantier, j’ai pris un élément qui était à mes côtés, de sorte que quand je faisais la ronde, il demeure à ce poste. Il faut dire que c’est un chantier sur lequel il sera bâti des logements et donc, des tonnes de fer à béton y étaient stockés. Et donc, quand je faisais ma ronde, mes éléments passaient dans mon dos pour soustraire des barres de fer à ma vigilance, pour les revendre au marché noir. Ce plan diabolique allait bon train jusqu’au jour où les policiers ont interpelés certains acteurs de ce trafic et que l’enquête diligentée les mène à notre chantier. Arrivés sur le site, ils ont demandé à voir le chef de poste. Je me suis illico présenté à eux. Il s’est ensuivi cette conversation.
–Policiers (P) : Comment se fait-il que vous soyez sur ce site pour le surveiller et qu’il ait des fers qui y sortent pour se retrouver sur le marché ?
–Chef de poste vigile (CPV) : Je n’en suis pas informé.
Aussitôt, l’un des agents de police a téléphoné au commissariat d’Anyama pour demander aux éléments détenus si j’étais au parfum de ce trafic. Ils ont déclaré que je n’en savais rien.
–CPV : Messieurs les agents, il y a un dilemme. Puisque vous avez pu mettre la main sur les éléments coupables et que vous avez aussi récupéré les barres de fer, si vous les ramenez soit ça va impliquer tout le monde dans ce forfait, soit l’entreprise propriétaire du chantier va rompre le contrat avec la société de gardiennage et nous, autres employés, serions jetés à la rue.
-P : Que faire alors dans ce cas ?
-CPV : Il n’est pas intelligent de ramener les barres de fer sur le chantier. Alors, je vous suggère d’en faire ce que vous en voulez, mais qu’ils ne reviennent pas sur le site.
C’est ainsi que les policiers sont repartis avec les barres de fer. Et l’affaire s’est tassée. Ces éléments scélérats ont été libérés.
Une histoire bien triste qui finit… Vous en avez une autre ?
Cette histoire, je veux vous la raconter. J’ai passé trois jours derrière les barreaux au commissariatd’Anyama. Vu la distance que chacun d’entre nous (Ndlr : mes éléments et moi) devait parcourir pour regagner notre lieu de travail, j’ai institué un temps de travail de 48h par groupe. Lorsque le tour de mon équipe est arrivé, nous devrions travailler du jeudi au samedi. A ma descente le samedi matin, il n’y avait rien d’anormal. Nous, l’autre chef de poste et moi, avions fait toutes nos rondes en bonne et due forme, et tout était en l’état. Donc, à 8h, je suis rentré chez moi. Des ouvriers sont venus travailler sur le site et mon confrère, chef de poste, les avait laissés faire. Aux alentours de 19h, ces ouvriers sont rentrés chez eux. La société était donc fermée. J’étais chez moi et l’autre chef de poste était sur le chantier. Il nous avait été formellement interdit de laisser des individus pénétrer sur le site le dimanche, fussent-ils des ouvriers de ladite entreprise. Ce chef de poste s’est laissé emberlificoter et il a accepté de les laisser y travailler. En complicité avec des libanais, ces ouvriers ont déplacé des barres de fer pour les cacher, en faisant croire que ceux-ci ont disparu, donc, que les vigiles les auraient volés et vendus. Le lundi matin, j’ai repris le service, il a été porté à ma connaissance la disparition de dix-huit tonnes de fer. J’ai aussitôt téléphoné à mon patron pour lui signifier cela. Il a diligenté une délégation sur les lieux pour s’enquérir de nouvelles. Une fois, sur le site, les libanais ont fait mention du fait qui prévalait. Il m’avait demandé de convoquer sur le champ l’autre chef de poste et ses éléments. A leur arrivée, ils les ont interpelé. Ils ont été arrêtés sans avoir été entendus sur les faits qui étaient présumément retenus contre eux. Moi, je devais descendre le mercredi. A ma grande surprise le mardi, un monsieur est venu casser un magasin sous le prétexte que son patron lui devait de l’argent. Les mêmes libanais m’ont téléphoné pour me donner l’information et en même temps me demander la conduite à tenir. Je leur ai répondu qu’à brûle pourpoint, je devais en référer à ma hérarchie. Lorsque mes responsables sont arrivés sur les lieux, ils m’ont demandé de prendre un élément pour les accompagner au commissariat. Dès que nous y sommes arrivés, la Police libère l’auteur des faits incriminés et moi, j’ai été mis derrière les barreaux.
Et pour quel motif ?
Ils m’ont retorqué que pour ce qui était du vol des barres de fer, j’avais été cité comme étant le cerveau de l’opération. Je les avais questionné afin d’en savoir plus. Surtout que d’une part, je n’avais pas été de service le jour du forfait et d’autre part, je n’étais pas le chef de poste du secteur où les faits ont été constatés. Comment se fait-il que je sois cité dans cette affaire de vol de barres de fer ?
Plus tard, je decouvrirai que tout ce manège n’était que l’œuvre de mon chef d’opération qui voulait absolument me faire porter le chapeau, tout simplement parce que j’étais informé de ses magouilles. C’est ainsi que j’ai été détenu pendant 24h et le deuxième jour, le commissaire avait demandé qu’on me sorte et il m’avait sommé d’avouer que j’étais le cerveau du vol. Je lui ai répondu que je n’avouerai pas un crime que je n’avais pas commis. Nous étions deux vigiles à être arrêtés. Alors, j’ai demandé à ce que mon élément soit relaxé parce qu’il n’était pas chef de poste. J’étais visé par un complot et lui n’avait rien à y voir. C’est ainsi qu’il a été libéré et que moi je suis resté dans les geôles du commissariat d’Anyama.
Nous avions été arrêtés et nos téléphones avaient été confisqués. Il était hors de question que nous contactions nos proches. Au total, j’y ai passé quatre jours tandis que les autres y ont séjourné que trois jours. Puisque je clamais mon innocence malgré tout, le commissaire avait eu le toupet de me porter main. Le quatrième jour, le Lieutenant qui nous avait auditionnés pour la rédaction du procès verbal (PV) nous a remis nos téléphones afin que nous contactions nos proches. Il faut signaler qu’il y avait eu une intervention du procureur de la République. Ils nous ont exigé de payer une sommes de sept cent mille (700.000) francs CFA. Nous nous sommes cotisés pour réunir cette somme. A notre retour, dans l’entreprise qui nous employait, nous avons été congédiés sans préavis. Nous n’avions pas été payés. Nos salaires ont été confisqués et nous avons été libérés sans droits.
Quel a été le rôle de votre entreprise de gardiennage ?
L’entreprise dans laquelle nous étions s’est très mal comportée. Les entreprises de gardiennage ne protègent pas leurs employés. Elles les livrent plutôt à la vindicte populaire sous prétexte qu’elles perdront leurs contrats signés avec leurs clients. En principe, quand un employé a un problème, c’est l’entreprise qui doit le défendre. Mais, elle ne le fait pas. Elle ne regarde qu’à leurs intérêts. Si vous êtes en prison, elle s’en fiche. C’est elle-même qui vous met en prison pour satisfaire son client.
Avez-vous été une fois victime d’un braquage ?
Oui ! Ça s’est passé à la zone industrielle de Yopougon. Ce n’était pas un poste fixe. J’y étais en tant que rondier. Il y a un élément qui était permissionnaire et il m’a été demandé de le remplacer. Et donc, j’y avais été convoyé par un contrôleur de nuit. Aux alentours de 2h du matin dans la pénombre du lundi, quatre quidams ont escaladé la clôture. Nous étions en faction à l’entrée principale. Puisque la clôture était assez haute, nous, les trois vigiles, n’imaginions pas que cette prouesse pouvait être réalisée. Et ce jour-là, il pleuvait des cordes. Ils ont maîtrisé l’élément en arme et après quoi, ils sont venus vers nous.
Notons au passage que les armes que nous, vigiles, utilisons, sont des des armes dissuassives et non létal. Elles peuvent juste blesser à une certaine distance. Nous n’avions pas de bipper non plus. Nous n’avions qu’une arme dissuassive et un Talkie-walkie(2). Ces quatre malfrats nous ont tenu en respect, puis, enchaînés sous la pluie. Ils ont opéré de 2h jusqu’au petit matin. Le premier employé de la société a pointé son nez à 7h du matin. Ces bandits n’étaient pas cagoulés. Ils avaient préalablement fait une reconnaissance des lieux, car ils savaient qu’il n’y avait pas de vidéosurveillance dans l’entreprise. A ce sujet, je pense avec beaucoup de recul aujourd’hui qu’il y avait une complicité interne puisqu’ils savaient où entrer, où se trouvait le coffre fort. Ils ont été très agressifs au point qu’ils ont donné un coup de crosse au chef de poste qui tenait l’arme dissuassive. C’était un signe pour témoigner qu’ils n’étaient pas là pour badiner.
Qu’en est-il des fausses accusations ?
Il y a aussi un fait que je voulais raconter. A la CCT, le centre de topographie du Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD) à Cocody, il y avait eu un vol de trente-deux (32) millions de francs CFA. Il faut dire que c’est la caissière de l’entreprise qui avait dérobé cet argent. Elle a simulé un cas de vol. La consigne était que nous ne devrions ouvrir le site aux employés qu’à 7h du matin pour se préparer et à 8h, ils débutaient le travail. Ce qui créé les problèmes aux vigiles, c’est qu’à trop faire la manche aux employés dans les entreprises, ils n’ont plus le pouvoir d’être intransigeants à l’égard de ces soi-disant bienfaiteurs. Un mardi matin, la dame est arrivée autour de 6h et demie, elle nous avait fait croire qu’elle avait des rapports à rédiger pour le directeur de l’entreprise. Sur le champ, j’ai refusé cette demande. Et comme à cette époque, je n’étais pas le chef de poste, notre chef avait décidé de la laisser y accéder. Je me suis exécuté. Toutefois, j’avais pris le soin de demander à l’un des éléments de la suivre dans le bureau du moment où c’était un rapport à rédiger. Il pouvait s’y installer le temps pour elle de rédiger ce fameux document. Un fois dans le bureau, selon les dires de l’élément, la cassière lui aurait demandé de sortir parce que sa présence l’importunait et qu’elle n’arrivait pas à se concentrer. C’est ainsi qu’elle a eu le temps de dérober les trente-deux (32) millions de francs CFA. Elle était venue munie d’un sac contenant ses effets personnels. Nous ne l’avons pas contrôlé. Ce qui nous a sauvé, c’est que quand moi, je travaille, j’en registre tout individu qui se présente au poste dans le registre d’entrées et de sorties.
Quand elle est arrivée, j’ai pris sa CNI (carte nationale d’identité) et sa carte professionnelle, et j’avais relevé toutes les informations utiles qui s’y trouvaient. J’avais exigé qu’elle signât dans le registre avant d’y entrer. J’avais écrit l’heure d’arrivée et pareil à sa sortie. Elle était partie. A 10h, la nouvelle selon laquelle les bureaux auraient été cambriolés est tombée. Une forte somme d’argent aurait été dérobée. Nous avons été trimbalés au 8e Arrondissement à Cocody. Une fois là-bas, il nous a été demandé d’expliquer les faits. J’ai expliqué ce qui s’était passé sans savoir que la dame était une caissière.Moi, je ne faisais que le service de nuit. Ceux qui font le service de jour, montent le matin et descendent à 17h30. Vu que moi, je montais à 18h, je n’étais pas en contact avec les travailleurs.
De là-bas, ils nous avaient ramené sur le site. Notre cheffe d’opération, une dame, est arrivée à son tour. Elle a dit qu’il y avait un d’entre nous qui devrait être en faction à cet endroit. Je lui ai répondu que c’était moi qui me tenait à ce poste. Puisqu’au sol, il y avait des marques laissées par les semelles de mes rangers(3) sous une fenêtre en vitre. Donc, elle avait conclu que c’était moi qui avait fait le coup. Je l’ai questionnée immédiatement : « Mais, comment madame, pouvez-vous m’accuser d’avoir commis ce vol ? Même s’il y a eu un cas de vol, mon rôle est de vérifier cela. Je suis allé vérifier… » Puis, c’était le tour des agents de la Police judiciaire (PJ) de m’interroger.
–Agents de la Police judiciaire (APJ) : Est-ce que vous êtes allé à l’intérieur de l’entreprise ?
-Vigile : Non ! Je n’y suis pas entré. Je me suis arrêté à ce niveau pour regarder à l’intérieur ?
Mais la dame, chef d’opération, soutenait mordicus que j’étais l’auteur du vol. En fait, le BNETD devait de l’argent à notre entreprise de gardiennage et comme les trente-deux (32) millions francs CFA se sont volatilisés, cela présageait la perte de l’argent l’entreprise de sécurité. Alors, il fallait trouver un bouc émissaire pour payer ce lourd tribut. Le Lieutenant de police qui était chargé de l’affaire, étant d’origine Attié(4) comme moi, s’est approché et s’est adressé à moi en patois.
– Lieutenant de police : Par où le voleur peut-il avoir accès à la cour ?
–Vigile : La clôture n’était pas haute, il peut l’escalader et y avoir accès sans difficulté.
Néanmoins la dame, chef d’opération, s’échinait à m’affubler d’accusations. Tellement irrité par les niaiseries de cette dernière, l’officier de police lui a lancé : « Vous savez que c’est un voleur et vous l’avez embauché ? » Et à elle de poursuivre : « Je ne savais pas ! » J’ai repris la parole pour lui dire : « Madame, je ne me sens pas concerné ni par vos propos ni par le vol. Parce que ce vol a été commis de jour. Moi, je ne sais pas par où le voleur est passé pour commettre son forfait ». Malgré tout ce que je déblatérais, la dame s’évertuait à m’accuser de ce vol. De la PJ, ils nous ont trimabalés à la DST (Direction de la surveillance du territoire). Ils nous avaient fait des photos, puis, pris nos empreintes. Alors que nous devrions nous y séjourner, un coup de fil salavateur nous a fait revenir sur le site du vol. Les agents de la PJ voulaient nous entendre de nouveau. Quand nous y sommes arrivés, il y a un métisse – un ingénieur – qui se morfondait disant qu’il avait aussi perdu son ordinateur portable. Ils nous ont encore ramenés au commissariat. Le Lieutenant de police (LP) s’est adressé à l’ingénieur en l’interrogeant sur les circonstances du vol de son ordinateur.
-LP : Est-ce que les vigiles savent-ils où vous déposez vos clés ?
–Ingénieur : Non !
Alors que cet ingénieur déposait ses clés de son bureau dans une boîte qu’il en fouillissait dans le sol avant de descendre du service. Il avait déterré sa boîte, retiré ses clés, puis il ouvrit son bureau. Nous y entrâmes. Il n’y avait pas d’ordinateur sur la table tandis que sur les autres, des ordinateurs s’y prélassaient. Nous avons remarqué que la poussière règnait en maîtresse sur sa table. Le Lieutenant de police avait pris un stylo avec lequel, il a tracé sur sa table. Puis, il l’a soulevé et il s’est adressé à l’ingénieur :
–LP : Est-ce que vous voyez des traces laissées par le stylo sur la table ?
-Ingénieur : Oui !
-LP : Entre l’ordinateur et le stylo, lequel est le plus lourd ?
-Ingénieur : Naturellement, c’est l’ordinateur…
–LP : L’ordinateur qui est plus lourd n’a pas laissé de traces or le bic qui est léger en a laissées sur la table. C’est que votre ordinateur n’est pas perdu. Où l’avez-vous mis ?
–Ingénieur : Ah, je viens de me souvenir. Il me semble que je l’aurais oublié à mon domicle.
Voyez-vous comment les vigiles souffrent ? Cette affaire d’ordinateur est restée lettre morte. Que pouvions-nous faire ? Nous avions une autre pression plus grande, celle des 32 millions de francs CFA volés. Ils nous ont demandés de continuer à travailler et que celui qui ne viendrait pas, il serait considéré comme le voleur. Nous continuons à travailler pendant que la Police poursuivait son enquête. Un soir, une idée me turlipine l’esprit. Je me suis rapproché de mon élément en le questionnant : « Dis-moi, la dame qui était venue la dernière fois, est-ce que tu es resté avec elle dans le bureau comme je te l’avais exigé ? » « Non ! », me répliqua-t-il. Alors, je me suis dit dans mon for intérieur que c’était elle l’instigatrice du vol. Puisque j’ai contacté l’officier de police en charge du dossier à qui j’avais expliqué les nouveaux faits. Aussitôt, il nous a rejoints et je lui ai expliqué dans les menu détails. Et comme il n’était pas 7h30, l’heure d’ouverture de l’accès de l’entreprise au personnel, nous sommes restés-là à attendre jusqu’à ce que les employés se présentent. Quand ceux-ci sont arrivés, l’officier de police leur a posé la question de savoir s’ils nous reconnaissaient. Ils ont répondu qu’ils ne nous avaient jamais vus. Et le Lieutenant de leur dire : « Il y a eu un cas de vol ici, on ne sait pas qui a pris l’argent. 32 millions de francs CFA ont disparu. L’enquête avance. Les vigiles vont désigner la personne qui est venue avant l’heure ce jour-là ». Il m’a demandé de toucher la personne qui serait venue avant l’heure sans toutefois héler son nom. Je suis allé et j’ai désigné la dame. Et mon élément qui était avec moi le jour des faits, a séance tenante acquiescé mon choix. La dame s’est mise à nier et a débité des invectives du genre, que viendrait-elle chercher au travail à 6h du matin ? Qu’elle serait mère de famille et que ce sont de fausses accusations. « Je vais porter plainte contre vous pour diffamation et fausses accusations », menaça-t-elle.
Je rappelle que toute cette scène se déroulait sous les regards bienveillants des DG et Sous-directeur du BNETD. Et le Lieutenant a repris la parole en disant : « Puisque vous dites n’être pas venue ici, nous sommes d’accord. Mais, pourriez-vous nous présenter les pièces justificatives de votre identité ? » Elle les a lui aussitôt remises. Le Lieutenant a donc remis la CNI de la dame au DG et la carte professionnelle au Sous-directeur. Ensuite, il a pris le registre des rapports, c’est ainsi qu’il a cité les noms des parents de la dame, leurs numéros et du matricule de la carte professionelle que détenaient les deux responsables du BNETD. Après s’être assurés de la concordances des patronymes, des numéros de série ainsi que du matricule, le DG et le sous-directeur ont reconnu que la dame était présente sur les lieux le jour des faits.
Le Lieutenant de porter l’estocade : « Qu’êtiez-vous venu faire ce jour-là au bureau à 6h ? » Pendant que la dame avait perdu son latin, j’ai rappelé à l’officier de police : « Elle nous avait dit qu’elle avait un rapport à rédiger pour son directeur ». Le DG n’a pas attendu le temps de cuisson d’un œuf au plat pour s’écrier : « Diantre ! Je ne vous ai jamais demander de rédiger un quelconque rapport ! » Ayant constaté qu’elle était prise dans l’étau qui s’était irreversiblement resserré sur elle, la cassière a fini par avouer : « Je vous demande pardon. Chaque mois, je dépose l’argent sur mon compte personnel et lorsque l’entreprise a besoin d’argent, je vais le retirer pour le déposer ». Subjugé le DG l’a interrogée : « Si vous le faites ainsi habituellement, mais que s’est-il passé pour que cette fois-ci vous agissez de la sorte ? En plus, vous similez un vol… » C’est comme ça que nous avons échappé belle à la prison. Ce sont des situations de cet acabit que nous vivons au quotidien.
Hormis tous ces déboires, quels sont les avantages dont jouissez vous de votre métier ?
En réalité, je n’en vois pas trop. Si le vigile est en poste chez un ‘’gourou’’ ou ‘’boss’’ (Ndlr : un riche) et que ce dernier apprécie son travail, il peut trouver pour lui bien meilleur que celui de gardien ou de vigile. S’il en est vraiment satisfait, il peut le débaucher et le retribuer deux ou trois fois plus que le salaire de base. Ce sont-là, les avantages sinon je n’en vois plus. Quand tu travailles dans ce métier, au lieu de progresser, tu ne fais que regresser. Généralement, le salaire qui doit être aligné sur le SMIG(5), n’est pas appliqué.
Quel est le salaire d’un vigile en Côte d’Ivoire ?
En temps normal, si nous nous reférons au SMIG, c’est 85.000FCFA. Le SMIG est de 60.000FCFA et à cela s’ajoute la prime de transport de 25.000FCFA. L’Etat ivoirien a fixé la prime de transport à 30.000FCFA mais il y a des brebis galeuses – entreprises de sécurité –qui ne la respectent. Sans oublier, celles-là mêmes qui se refusent de payer la prime de transport. Souvent sur le bulletin de salaire de certains vigiles, il y est mentionné 35.000FCFA. La prime de transport est de 25.000FCFA. Si nous faisons la somme, ils se retrouvent avec un salaire de 60.000FCFA. Je reconnais qu’il y a des entreprises qui paient bien leurs vigiles et les salaires partent jusqu’à 150.000FCFA. Vous comprenez que les salaires ne sont pas fixes et homologués.
Quel regard la société porte sur votre métier ?
Le métier n’est pas respecté. Les gens pensent que tous ceux qui font la sécurité ont raté leur vie et qu’ils sont des désespérés. Nous, vigiles, sommes méprisés. Ma conjointe se plaint constemment de notre situation de vie. Il y a des charges auxquelles nous devons faire face mais parfois, nous n’arrivons pas à joindre les deux bouts. Il faut relever un autre problème, l’heure de travail. Moi, je fais spécial nuit. Pour une personne qui a une femme et des enfants, qui passe tout son temps dehors, et à la fin du mois, il tire le diable par la queue. C’est difficile de vivre décemment. Nous disons que nous travaillons et à la fin du mois, nous sommes incapables d’honorer les charges quotidiennes et mensuelles. C’est tout cela qui fait que les vigiles sont mal vus dans la société.
Quels sont les ‘’gombo’’ d’un vigile ?
Ça dépend de l’endroit où le vigile est en service. Les confrères qui sont postés devant les banques, quand un client sort, il peut leur donner de l’argent. Mais, nous autres qui sommes des veilleurs de nuit ou postés dans les cités, il n’y a pas de ‘’gombo’’. Nous vivons de nos salaires. D’autres sont dans les ambassades et servent à la fois de vigiles et de coursiers. Après avoir réalisé une course pour l’un des membres de la chancellerie, le vigile reçoit un ‘’petit jeton’’(6). Le hic, c’est qu’il est interdit aux vigiles d’exercer ou de faire autre chose. Il est mentionné dans les clauses du contrat de travail que le candidat ou le vigile doit être disponible à tout moment.
Selon vous, que peut faire l’Etat pour vous redonner espoir ?
Beaucoup ! L’Etat a fixé le SMIG à 60.000FCFA. Donc, il peut faire quelque chose. Le SMIG est fixé mais il n’est pas respecté. L’Etat doit veiller à l’application de sa décision. Il doit mettre en place une structuretripartite composée de la Gendarmerie, des organisations de la société civile ainsi quedes associations des droits de l’homme, pour surveiller les entreprises de sécurité. La plupart des entreprises de gardiennage sont des arnaqueurs. Elles le sont parce qu’elles font croire à l’Etat qu’elles respectent le SMIG alors que nenni ! Elles affirment à l’Etat des salaires ronflants pour leurs vigiles, tandis que sur le tarrain ce n’est pas ce qui est. L’Etat doit être plus regardant sur le secteur de la sécurité privée en Côte d’Ivoire.
Quels sont vos rapports avec les forces de l’ordre ?
Nos rapports avec la Gendarmerie nationale sont bien meilleurs contrairement à ceux de la Police nationale. D’abord, les policiers se plaignent que nous ayons le même ministère, le ministère de l’Intérieur. Ils disent que ce n’est pas normal que les vigiles aient la même tutelle que la Police nationale. Ensuite, quand un vigile a un problème et que celui-ci est convoqué à la police, les agents ne cherchent pas à savoir quoi que ce soit, ils l’enferment tout de go. Parce que les policiers disent que c’est le vigile qui est commis pour assurer la sécurité et c’est luiqui commet des gaffes. On te met au trou. Alors qu’à la gendermerie, les maréchaux des logis respectent le droit à la communication. Ils cherchent à entendre les deux parties, les motivations du présumé auteur des faits, à déterminer la culpabilité des acteurs en présence… Et ce, avant de porter un jugement de valeurs, de désigner un tel ou tel comme coupable des faits allégués. Nous n’avons pas de rapport avec les militaires puisqu’ils sont encasernés.
Êtes-vous constitués en syndicat pour défendre vos droits ?
Non ! Nous n’en possédons pas. C’est une seule entreprise de sécurité qui possède son propre syndicat. Dans le secteur de la sécurité, quand vous décidez de vous réunir au sein d’un syndicat, parmi vous, il y a des membres qui vont vous torpiller pour qu’on vous congédie ; et que ces traîtres bénéficient de galons. Ce qui fait que les vigiles ont peur de se faire hara kiri.
Quel message pouvez-vous adresser aux jeunes ivoiriens, car, dit-on, qu’il n’y a pas de sot métier, à les encourager à venir dans ce métier ?
Je n’encourage pas les jeunes à venir dans ce métier, parce que c’est une profession ingrate. Tu auras beau de te sacrifier, le jour où il y a un petit souci, tout ce que tu as réalisé ou fait pendant plusieurs années, tombe à l’eau. Je le dis et je le repète, je ne peux pas encourager les jeunes à venir dans ce métier de la sécurité privée. Parmi nous, il y en a qui sont des étudiants, ils ne font que la nuit et la journée, ils vont au cours. Ils achètent leurs fascicules et autres documents universitaires. Après, ils iront faire autre chose. Sachez que dès que tu entres dans le secteur de la sécurité privée, tu y restes. Il est très difficile d’y en sortir. Il y a comme une malédiction qui entretient ou règne dans le métier de gardiennage. Donc, je ne conseille pas ce métier même pas à mes ennemis.
Quelle est donc la moyenne d’âge des vigiles aujourd’hui en Côte d’Ivoire ?
Il n’y pas d’âge fixe. Il y a des personnes ont 50 ans quand elles se présentent, elles sont automatiquement recrutées. Ce qu’il faut savoir, c’est que la plupart des sociétés de gardiennage n’embauchent pas de personnel. Elles n’emploient que des contractuels. Même si elles le font, elles proposent pratiquement les mêmes salaires tant aux embauchés qu’aux contractuels. Donc, ça ne sert à quoi de courir après l’embauche. L’entreprise de gardiennage dans laquelle je suis, j’y ai déjà passé 3 ans. Voilà quelques jours qu’elle vient de me transmettre les documents pour l’embauche. C’est vrai que je ne veux pas rouler ma bosse toute la vie dans ce métier, mais, il faut enfin un numéro de la CNPS(7) si besoin ce fait sentir. Figurez-vous que j’ai fait 3 ans sans congé annuel. Il a fallu que je tape du poing sur la table afin qu’on m’autorise au forcep à aller en congé.
Quel message à l’endroit des responsables de société de gardiennage et des acteurs du secteur de la sécurité privée ?
Je voudrais qu’ils sachent qu’ils sont des Etres humains comme nous. Nous sommes des pères de famille et nous avons aussi des responsabilités et des charges. Qu’ils pensent à cela avant d’agir. Le pire, il y a certains de nos confrères qui sont vidés de leurs domiciles. Nous savons que les clients honorent leurs contrats pour que les vigiles puissent bien travailler. Que les patrons de société de gardiennage nous aident à rester des hommes avec ‘’H’’.
Réalisé par Patrick KROU
Akondanews.net
Notes de pages
1-Anyama : ville située à 10 km d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Administrativement, c’est une sous-préfecture incluse depuis 2001 dans le district d’Abidjan. Sa population est estimée à 146 000 habitants.
2-Talkie-walkie : système portable permettant à plusieurs personnes de communiquer via des canaux de discussion.
3-Rangers : chaussures militaires pour les soldats.
4-Attié : population de Côte d’Ivoire vivant au sud-est du pays, au nord de la ville d’Abidjan, particulièrement à partir de la commune d’Anyama, dans la Région des Lagunes. Les Attiés parlent une langue kwa du même nom, l’attié.
5-SMIG : salaire minimum interprofessionnel garanti. Il est un montant plancher en termes de rémunération salariale horaire. Il est fixé par un gouvernement après accord ou au moins consultation avec les représentants de toutes les professions. En Côte d’Ivoire, il est de 60.000FCFA.
6-Argot ivoirien, nouchi, désignant un pourboire.
7-CNPS : Caisse nationale de prévoyance sociale.