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Pendant plusieurs jours, les médias d’Etat ont diffusé des images du Premier ministre aux côtés des militaires, sur le terrain. Une communication qui semble avoir fait son effet.
Elles ont fait le tour de la toile : les images montrant le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed en uniforme militaire des forces gouvernementales, faisant des déclarations sur la situation de guerre.
Actuellement, selon certaines sources, les TPLF seraient en repli dans la région tigréenne. Le cours de la guerre aurait changé disent même certains analystes. Et cela serait en partie lié à la présence du Premier ministre auprès des soldats pour Will Davison de International Crisis Group :
« La présence du premier ministre sur le front est venue masquer l’impression que les Tigréens étaient aux portes d’Addis Abeba. Cette présence a plutôt créé l’impression d’un TPLF qui était au bord de la défaite, ou même complètement battu. »
Appui militaire étranger
La force tigréenne pointe du doigt certains pays notamment la Turquie, l’Iran ou les Emirats Arabes Unis qui, selon elle, fourniraient des armes et des drones au gouvernement d’Abiy Ahmed. Les Tigréens auraient, eux, perdu des soutiens ce qui les rendraient plus vulnérables selon Gérard Prunier, spécialiste de la Corne de l’Afrique :
« Je dirais que la seule chose qui compte vraiment, c’est de l’approvisionnement qui n’arrive plus d’Egypte, parce que la route est coupée. Pourquoi est-ce que les Soudanais qui ont fait le coup d’état le 25 Octobre ont coupé les approvisionnements ? Je ne sais pas. »
Abandon de la communauté internationale
A l’annonce d’une menace imminente sur la capitale, Addis Abeba, plusieurs pays notamment la France ou les Etats-Unis, avaient demandé à leurs ressortissants de quitter au plus vite le pays. Une démarche qui a été vue par le pouvoir d’Abiy Ahmed comme un abandon de la communauté internationale, selon Gérard Prunier :
« Le seul problème qu’il y a à Addis c’est que les prix sont devenus épouvantables et qu’il y a beaucoup de choses qui n’existent plus. Les boutiques ferment parce qu’il n’y a plus rien, parce que le trafic routier ne permet plus d’importer ce qu’on veut. C’est plutôt une vie difficile, mais ce n’est pas une menace sur la vie. «
Les TPLF ont récemment annoncé être en « repli territorial » vers la région tigréenne.

Le conflit au Tigré en six questions
Depuis début novembre, un conflit oppose le pouvoir central éthiopien à la région rebelle du Tigré, au nord du pays. Une situation complexe, ou se mélange rivalités ethniques et luttes de pouvoir, et qui préoccupe au plus haut point la communauté internationale.
Depuis le 4 novembre, les rebelles du FLPT et l’armée éthiopienne se livrent un combat sanglant dans la région du Tigré , au nord de ce pays de la Corne de l’Afrique. Un conflit dont il est pour l’instant difficile de connaître la gravité tant les acteurs refusent l’intervention d’observateurs ou de journalistes, mais qui inquiète au plus haut point la communauté internationale. Nos explications.
1 Qu’est-ce que le Tigré ?
Le Tigré (ou Tigray) est l’une des dix régions d’Ethiopie, située à l’extrémité nord du pays, à la frontière du Soudan et de l’Erythrée. Grande comme l’Autriche, elle est peuplée par plus de 5 millions d’habitants, appartenant presque exclusivement au peuple Tigréen. Cette ethnie, également présente en Erythrée (où elle représente 50 % de la population), possède sa propre langue et sa propre culture.
L’Ethiopie fonctionne comme un Etat fédéral et chacune de ses régions, fondées principalement sur les origines ethniques de ses habitants, jouit d’une très forte autonomie. Le Tigré possède ainsi son propre gouvernement et son propre système judiciaire. La région vit principalement de l’agriculture mais aussi de l’industrie du bâtiment, en plein essor dans le pays.
2 Comment a débuté le conflit ?
Les relations entre le Tigré et le pouvoir central ont commencé à se dégrader en 2018, après l’élection d’Abyi Ahmed au poste de Premier ministre. Ce dernier a voulu intégrer les principales ethnies du pays à son parti politique et aux instances dirigeantes. Les Tigréens, qui représentent 6 % de la population éthiopienne mais qui jouissaient d’une très grande influence dans les institutions centrales, ont alors reproché au chef du gouvernement, issu de l’ethnie des Oromos (la plus importante du pays), de ne pas leur donner la part de pouvoir qui, selon eux, leur revient.
Le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), principale formation politique de la région, se place à partir de ce moment dans l’opposition, puis bascule dans le séparatisme en août 2020, quand le pouvoir central décide de reporter les élections législatives à cause de l’épidémie de coronavirus, alors que le FLPT a tout de même organisé un scrutin au Tigré (dont il est sorti grand gagnant).
En représailles, Addis-Abeba a drastiquement réduit les crédits fédéraux destinés à la région. La tension monte et le 4 novembre, la branche armée du FLPT attaque une caserne de l’armée éthiopienne à Mekele, la capitale du Tigré, y récupérant armes et matériel.
3 Comment a réagi le pouvoir central ?
Le jour même de l’attaque du FLPT, le pouvoir central commence à bombarder les positions adverses. Quelques jours plus tard, Addis-Abeba décrète l’état d’urgence et ne reconnaît plus les autorités régionales du Tigré comme légitimes. Depuis, les combats font rage dans la région. Les deux camps revendiquent plusieurs victoires mais ces derniers jours, l’armée fédérale a gagné du terrain et a repris de nombreuses villes.
Pour faire définitivement taire la rébellion, le pouvoir central a posé le 21 novembre un ultimatum à ses adversaires, leur donnant trois jours pour déposer les armes et quitter Mekele, encerclée par l’armée loyaliste. Le tout en appelant la population civile de la capitale (500.000 habitants) à « se sauver » car la répression sera « sans pitié ».
Le 26 novembre, Abyi Ahmed annonce le commencement de l’« offensive finale » contre la « clique criminelle » du FLPT puis affirme deux jours plus tard que l’armée éthiopienne a repris le contrôle de Mekele , une victoire jugée décisive par Addis-Abeba, même si le FLPT assure continuer le combat.
4 Le conflit pourrait-il s’étendre ?
Si les Tigréens représentent 96 % de la population de la région, les observateurs internationaux craignent que le conflit ne serve à couvrir des crimes contre les minorités ethniques, ce qui pourrait déboucher sur des affrontements avec l’ethnie rivale des Amharas, qui occupe une région à son nom au sud du Tigré. Ces derniers jours, plusieurs roquettes ont été tirées sur leur territoire car le FLPT leur reproche de servir de base arrière à l’armée fédérale.

Le conflit pourrait aussi dépasser le cadre de l’Ethiopie et impliquer son voisin, l’Erythrée. Les deux pays ont depuis des décennies des relations exécrables et se sont même déjà fait une guerre (1998-2000) à l’issue de laquelle aucune paix n’avait été signée. Depuis son arrivée au pouvoir, Abiy Ahmed a activement oeuvré à la réconciliation et a permis en 2018 la signature d’un traité normalisant les relations entre les deux pays, ce qui lui a valu le prix Nobel de la Paix en 2019 .
Mais les observateurs craignent que ces efforts du pouvoir éthiopien soient remis en question car des roquettes ont également été tirées sur l’Erythrée, certaines atteignant même la capitale Asmara. Des tirs probablement organisés par les rebelles tigréens qui pourraient raviver les tensions entre les deux pays.
5 Quel bilan ?
Il est pour l’instant difficile de faire une estimation des victimes de ce conflit car les autorités régionales et fédérales limitent fortement l’accès des ONG et des journalistes aux zones de combat. Selon des chiffres très partiels, chaque camp aurait perdu « plusieurs centaines » de combattants depuis le début des hostilités. Dimanche, les hôpitaux de Mekele disaient être débordés par l’afflux de blessés.
Des observateurs ont aussi dénoncé des crimes de guerres et des exactions contre les civils venant des deux côtés. Selon la Commission éthiopienne des droits de l’homme, les rebelles tigréens auraient par exemple massacré plus de 600 paysans saisonniers issus d’autres ethnies dans une localité de la région le 9 novembre.
Au-delà des victimes se pose également la question des déplacés. Pour l’instant, environ 43.000 habitants du Tigré se sont réfugiés au Soudan voisin pour fuir les combats. Selon l’ONU, ce chiffre pourrait atteindre les 200.000. L’organisation estime qu’elle aura besoin de 200 millions de dollars pour venir en aide rapidement aux populations déplacées, dans cette région du monde où l’accès à l’eau potable, à la nourriture et aux médicaments est très limité.
6 Que fait la communauté internationale ?
Le conflit risquant d’empirer, le Conseil de sécurité de l’ONU a tenu le 24 novembre une première réunion sur le cas du Tigré , mais n’a pas su se mettre d’accord sur une déclaration commune. Le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, les Etats-Unis et l’Union européenne ont de leur côté appelé au dialogue et à la fin des combats.
Ce blocage est le fait des pays africains, qui veulent privilégier une concertation régionale. L’Union africaine a ainsi dépêché sur place le 25 novembre trois anciens chefs d’Etat pour entamer la médiation : le Mozambicain Joaquim Chissano, la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf et le Sud-Africain Kgalema Motlanthe.
Mais convaincre le pouvoir éthiopien sera difficile, Abiy Ahmed ayant appelé les puissances étrangères à ne pas s’immiscer dans les affaires internes de son pays : « Nous enjoignons respectueusement la communauté internationale à s’abstenir de tout acte malvenu et illicite d’interférence et à respecter les principes fondamentaux de non-intervention contenus dans le droit international », a-t-il indiqué mercredi.
avec Alexandre Rousset
lesechos.fr, dw.com
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