Entretien exclusif avec la professeure Aïssa Halidou : politologue, socio-économiste, épidémiologiste, universitaire, membre du Conseil Consultatif pour la Décolonisation à Hambourg (Allemagne) et cheffe d’entreprise

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Dans un contexte mondial marqué par des tensions géopolitiques croissantes et des repositionnements diplomatiques majeurs, Akondanews s’est entretenu avec la professeure Aïssa Halidou, une voix panafricaine engagée et respectée. À la croisée des disciplines – politologie, socio-économie, santé publique – et des continents, elle incarne une pensée critique ancrée à la fois dans la recherche universitaire, l’engagement citoyen et l’action entrepreneuriale. Membre du Conseil Consultatif pour la Décolonisation à Hambourg, elle revient dans cet échange approfondi sur les enjeux géostratégiques actuels pour l’Afrique, la souveraineté des États du Sahel, le rôle de l’Algérie, la question des langues au Niger, et la nécessité pour les intellectuels africains de s’impliquer davantage dans les processus de transformation politique du continent. Un regard affûté et sans détour sur l’avenir de l’Afrique dans un monde en recomposition.

Aknews: Les récentes tensions au Moyen-Orient, notamment le conflit entre Israël et l’Iran, ont-elles ou auront-elles des répercussions sur les pays africains ?

A.H: À première vue, je dirais non. Le conflit Israël-Iran n’a pas de répercussions directes et immédiates sur les pays africains. Toutefois, tout dépendra de l’évolution de la situation, ainsi que des positions que les États africains seront amenés à prendre vis-à-vis non seulement des deux protagonistes, mais également d’éventuels alliés ou belligérants impliqués dans ce conflit. À partir du moment où des choix diplomatiques devront être faits. Cela pourrait effectivement avoir des conséquences, qu’elles soient diplomatiques, économiques ou sécuritaires.

En outre, comme les États africains peinent à adopter des positions communes dans les grandes crises internationales, ce conflit pourrait impacter les relations bilatérales ou la cohésion au sein d’institutions régionales telles que l’Union africaine. Cela dit, toute guerre est une tragédie pour l’humanité. Mais cette situation pourrait paradoxalement offrir à l’Afrique une opportunité géopolitique, si elle parvient à identifier clairement ses intérêts stratégiques.

L’embrasement de l’Europe de l’Est, du Proche et du Moyen-Orient révèle les limites du droit international dans la gestion des relations internationales. Ce constat pourrait ouvrir la voie à un rééquilibrage de l’ordre mondial, au bénéfice de l’Afrique. Ce serait alors l’occasion pour les pays africains de parler d’une même voix, de bâtir une politique souverainiste tournée vers l’avenir, et surtout, de défendre les intérêts de leurs peuples.

Aknews: Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de transformations positives que cela pourrait engendrer pour les peuples africains ?

A.H: Prenons l’exemple des contrats miniers ou commerciaux : les pays de l’AES (Burkina Faso, Mali, Niger) ont déjà montré la voie en révisant certains accords léonins. D’autres États pourraient s’en inspirer. Par ailleurs, cette nouvelle dynamique devrait aussi s’accompagner d’une dénonciation ferme de l’ordre international inégalitaire : le droit de veto au Conseil de sécurité, les règles onusiennes biaisées ou les mécanismes économiques internationaux discriminatoires.

Il faut créer un cadre continental de dénonciation, assorti de revendications claires, justes et profitables aux peuples africains. Un exemple emblématique : la question des réparations pour l’esclavage et la colonisation. Pourquoi les Africains ne devraient-ils pas demander réparation, alors que les Juifs ont obtenu gain de cause après la Seconde Guerre mondiale ? La mémoire collective africaine mérite aussi réparation.

Enfin, les États africains doivent mettre de côté leurs différends internes, bâtir une unité politique forte et lutter contre la politisation des institutions au profit d’un petit cercle d’élites. Ce ne sont pas les peuples africains qui profitent du système actuel, mais une classe dirigeante complice d’intérêts extérieurs.

Aknews: Pensez-vous que le moment est venu pour cette union politique des pays africains ?

A.H: Oui, absolument. Mais pour sortir gagnant de la géopolitique actuelle qui est très complexe, à défaut d’être fort sur le plan économique et sécuritaire, il faut que les pays africains aient une diplomatie forte et une politique internationale commune. Le contexte international actuel rend cette union plus que jamais nécessaire. Car, la diplomatie n’est rien d’autre qu’un enjeux d’intérêts basés sur les relations de rapport de force et d’influence stratégique. L’Algérie et l’Afrique du Sud sont les rares pays africains qui l’ont compris et en font usage. Malheureusement, les priorités politiques des États africains restent hétérogènes, et cela constitue le principal obstacle à cette union.

Certains pays africains sont déjà positionnés sur des lignes claires. Les pro-palestiniens comme l’Afrique du Sud ,l’Algérie et plusieurs autres pays arabo-Musulmans pourraient soutenir l’Iran, ne serait-ce que pour affaiblir Israël. Les pays de l’AES, qui ont renforcé leurs liens avec Téhéran, pourraient faire de même. À l’inverse, des pays comme le Maroc, l’Égypte ou le Togo ont des relations stratégiques avec Israël.

L’histoire nous rappelle que le Maroc, à travers son double jeu diplomatique, a contribué à la victoire d’Israël lors de la guerre des Six Jours. D’autres pays africains s’aligneront mécaniquement sur leurs anciens colonisateurs. Cette fragmentation pourrait empêcher l’émergence d’une stratégie diplomatique africaine cohérente, mais elle souligne l’urgence d’une réflexion collective.

Aknews: Parlons maintenant de l’Algérie. Face aux tensions récurrentes avec la France et les pays de l’AES, peut-on la considérer comme un pays à problème, ou bien sont-ce plutôt ses partenaires qui adoptent des postures antagonistes ?

A.H: La question mérite d’être posée. Il n’y a pas que la France, le Mali, le Burkina Faso et le Niger avec lesquels l’Algérie a des differends diplomatiques, il y a également les Émirats arabes unis, le Qatar, le Maroc et bien d’autres. L’Algérie a toujours incarné une diplomatie forte, héritée de son passé révolutionnaire. Un exemple marquant de cette diplomatie est l’action de Mohamed Seddik Benyahia, un éminent diplomate algérien, qui a joué un rôle clé dans la diplomatie algérienne après l’indépendance du pays. Lors d’un conflit avec la France, la France avait menacé d’expulser des ressortissants algériens de son territoire. En réplique à cette menace, Mohamed Seddik Benyahia s’est rendu à Paris pour rencontrer le président Valéry Giscard d’Estaing. Selon les récits, Benyahia aurait déclaré : « Vous pouvez expulser qui vous voulez, mais l’Algérie usera toute son influence pour vous expulser de toute l’Afrique ». Cette déclaration aurait contribué à résoudre le conflit, et le gouvernement français aurait renoncé à expulser les ressortissants algériens en question. Il faut également rappeler que feu le président Abdelaziz Bouteflika, avant d’accéder à la magistrature suprême, fut un diplomate hors pair qui a su s’imposer sur la scène politique internationale. Aussi à cause de l’Algérie, le Maroc son rival de toujours a du quitter lui aussi l’Union Africaine plus de trois décennies durant . Grace à son lobbying et le soutien de l’Afrique du Sud, l’UA avait eu à annuler le statut de pays observateur d’israël récemment.

Mais aujourd’hui, je pense que l’Algérie semble avoir sous-estimé la nouvelle donne souverainiste des pays de l’AES. L’affaire du drone malien abattu en est une parfaite illustration : ce qui semblait un litige bilatéral avec le Mali est devenu un conflit diplomatique avec tout le bloc AES. C’est dommage qu’il y ait ces tensions diplomatiques entre l’Algérie et les pays de l’AES, car je trouve que la dynamique souverainiste de ces derniers s’accorderait parfaitement avec la diplomatie forte de l’Algérie. Ensemble, ils pourraient peser davantage dans les grandes décisions politiques et sur la scène internationale.

S’ajoute à cela la relation tendue avec la France : enlèvement de l’influenceur DZ, rétention de l’écrivain Boualem Sensal, position sur le Sahara occidental, etc. La visite récente du ministre français Jean-Noël Barrot à Alger, couplée aux propos sur le Sahel, pourrait expliquer certaines incompréhensions. L’Algérie, en croyant coopérer, s’est retrouvée instrumentalisée dans une dynamique anti-AES.

Aknews: La situation au Sahel aurait donc un rôle dans cette crispation franco-algérienne ?

A.H: Très probablement. La perte d’influence française au Sahel n’est pas seulement politique : elle est économique. L’uranium nigérien était vital pour l’industrie française. Aujourd’hui, la France se tourne vers des projets futuristes comme l’exploitation lunaire de l´uranium, bien plus coûteux.

Dans ce contexte, des accords de déstabilisation secrets, impliquant l’Algérie comme bras d’influence, sont envisageables. Le drone malien abattu peu après un échange entre Macron et Tebboune laisse place à des spéculations. L’Algérie n’avait peut-être pas anticipé la riposte diplomatique du bloc AES.

Le projet de gazoduc transsaharien, passant par le Niger, pourrait être compromis. Alger se retrouve dans une impasse diplomatique, piégée par une posture ambivalente qui a fini par fragiliser ses liens régionaux.

Aknews: Le Mali accuse même l’Algérie de soutenir le terrorisme. Doit-on conclure que la “Mecque des révolutionnaires” est devenue une base arrière du terrorisme ?

A.H: Pour les autorités maliennes, cela ne fait aucun doute. Le drone visait des cibles terroristes, et l’Algérie l’a abattu. Cela corrobore les soupçons exprimés depuis longtemps par Bamako. Une plainte a même été déposée à l’ONU.

C’est paradoxal au regard de l’histoire de l’Algérie, notamment sous Ben Bella et Boumédiène, mais ce n’est pas si surprenant si l’on considère l’évolution post-GIA (Groupes Islamiques Armés). Aujourd’hui, l’Algérie n’est plus ce bastion révolutionnaire africain. Le changement est profond.

Aknews: Comment avez-vous trouvé la récente interview du général Tiani ?

A.H: Elle était claire, bien structurée, et a permis d’apporter des éclaircissements nécessaires. Les citoyens avaient besoin de cette parole pour comprendre la gouvernance actuelle.

J’ai beaucoup apprécié sa maîtrise de l’histoire, notamment le rappel sur Haïti, dont le parcours reste riche d’enseignements pour les États africains : de l’esclavage au néocolonialisme, en passant par la révolution et les défis contemporains liés à la volonté du peuple haïtien d’être libre et souverain.
J’ai également trouvé très instructifs les éclairages apportés sur les récents litiges entre le Niger et la Chine.
En revanche, j’aurais souhaité qu’il aborde certains enjeux sociaux qui préoccupent actuellement les Nigériens. Cela dit, son propos était suffisamment dense et structuré, ce qui laisse supposer qu’il n’y avait peut-être pas la place pour tout traiter.
Enfin, il m’a donné le sentiment d’être encore en quête de soutien populaire, alors qu’à mon sens, il n’en a plus besoin : jusqu’ici, aucun chef d’État nigérien n’avait bénéficié d’un tel niveau de popularité que le général Tiani

Aknews: L’article 12 de la Refondation, qui porte sur les langues, suscite de vives polémiques. Quel est votre point de vue ?

A.H: L’article 12 de la Refondation porte sur le statut des langues au Niger. Sur la forme, l’article peut prêter à différentes interprétations, sans doute en raison d’une formulation qui gagnerait à être clarifiée. Comme vous le savez, dans nos sociétés africaines, les langues sont souvent perçues à travers un prisme ethnique, ce qui rend ce sujet particulièrement sensible. Il appelle donc à une grande prudence dans son traitement.

En réalité, la langue haoussa n’a pas vu son statut modifié à travers cet article ; ce sont plutôt les autres langues nationales qui, selon plusieurs critiques et interprétations, auraient vu leur statut relativisé, voire dégradé.

C’est précisément cette perception qui alimente les tensions et constitue un point de discorde entre certaines populations et les autorités. Le silence prolongé de ces dernières sur la question n’a fait qu’attiser la controverse, et la prise de parole tardive du Secrétaire général du gouvernement n’a pas permis d’apaiser totalement les inquiétudes. Cela pourrait risquer, à mon sens, de laisser des séquelles sur la cohésion sociale, et d’éroder la confiance et le soutien dont bénéficie le régime.

Sur le fond, j’apprécie personnellement l’intention de valoriser la langue haoussa dans une perspective panafricaniste — si tel était l’objectif. Mais dans ce cas, il aurait été plus clair, plus cohérent et plus assumé de proclamer explicitement la langue haoussa comme langue officielle. Cela serait en parfaite harmonie avec l’orientation souverainiste revendiquée par le CNSP, ainsi qu’avec un rêve panafricain ancien : faire du haoussa et du swahili les langues officielles du continent, en rupture avec l’endoctrinement linguistique hérité de la colonisation.

D’autant que la langue haoussa est non seulement la plus parlée au Niger, mais également une langue transnationale utilisée dans plusieurs pays voisins et reconnue par diverses institutions internationales.

Toutefois, au regard de la sensibilité du sujet, il est regrettable qu’aucune étude préalable n’ait été menée par des spécialistes — anthropologues, linguistes, ethnologues ou sociologues — avant la publication de cet article. Une telle démarche aurait permis d’éviter les malentendus, les frustrations et les lectures clivantes, d’autant plus que, selon certaines sources, cette formulation ambiguë n’aurait pas été recommandée par les assises nationales sous cette forme.

Il est impératif, pour la mise en œuvre d’une telle disposition, de veiller à une approche inclusive, claire et apaisée, car toute réforme linguistique touche directement à l’identité ethnique. Et sur ce terrain, dans nos contextes africains, chaque mot peut avoir un impact politique et social majeur. C’est un domaine particulièrement délicat, surtout dans un Sahel déjà confronté à de nombreux défis sécuritaires, économiques et sociaux. Il ne faut pas y ajouter des tensions inutiles.

À ce titre, il est instructif de rappeler que même Kwame Nkrumah, père fondateur et penseur du panafricanisme, n’a jamais voulu s’aventurer à trancher la question linguistique de manière unilatérale, bien que le haoussa soit également parlé au Ghana.

L’histoire nous enseigne que la question des langues en Afrique est un sujet hautement inflammable. Toute décision précipitée ou mal expliquée peut diviser au lieu de rassembler. L’exemple du président Sékou Touré est éclairant : malgré son engagement révolutionnaire et sa détermination à libérer la Guinée du joug colonial, son opposition mal gérée à une partie de la communauté peule a laissé des blessures profondes, ternissant en partie son héritage.

Cet épisode nous invite à la vigilance. Le Niger est sur la voie d’une souveraineté affirmée. Il serait regrettable qu’une controverse mal anticipée sur une question aussi symbolique que la langue vienne en compromettre les fondements.

Aknews: Tiani a aussi regretté le manque de soutien des intellectuels. Partagez-vous ce constat ?

A.H: Partiellement. Les intellectuels africains, dans leur majorité, restent profondément attachés à l’idéal démocratique, au respect des institutions et à la légitimité issue des urnes. C’est pourquoi ils expriment souvent une certaine réserve, voire une hostilité, vis-à-vis des prises de pouvoir par la force, comme les coups d’État.

Cependant, l’intellectuel a aussi une mission critique, indépendamment du type de régime en place. Il lui revient d’analyser, d’interroger, d’alerter — et parfois même de proposer — dans l’intérêt général. Ce rôle ne doit ni être freiné par la peur de l’autorité, ni instrumentalisé à des fins partisanes.

C’est pourquoi il est essentiel qu’un cadre de dialogue permanent et structuré existe entre les autorités et cette frange sociale, qui joue un rôle fondamental dans l’orientation des débats publics et la formation de l’opinion. En l’absence de ce dialogue, une incompréhension peut s’installer, nourrissant une méfiance parfois injustifiée, voire contre-productive.

Aknews: Êtes-vous donc un partisan des coups d’État ?

A.H: Pas dans l’absolu. Je ne rejette pas la démocratie en tant que principe. Ce que je critique, c’est la forme qu’elle prend dans nombre de pays africains : une démocratie de façade, souvent corrompue, détournée de ses finalités et profondément aliénante.

Si un coup d’État devient, dans un contexte donné, le seul levier permettant aux peuples de se libérer d’un système injuste, alors je ne l’exclus pas. L’exemple de Thomas Sankara est parlant : il est arrivé au pouvoir par un coup d’État, mais il a engagé de profondes réformes sociales, économiques et culturelles dont l’impact reste encore aujourd’hui une référence pour l’Afrique.
La démocratie n’a de sens que si elle sert réellement les peuples. Si elle se résume à enrichir une minorité pendant que les jeunes croupissent dans la misère, fuient vers la Méditerranée ou — pire encore — se laissent enrôler, faute de perspectives, dans des groupes terroristes, alors elle devient une illusion dangereuse.

Ce qu’il faut juger, ce ne sont pas les formes institutionnelles, mais les résultats concrets : justice sociale, souveraineté, dignité, perspectives pour la jeunesse. Sans cela, les peuples ne croient plus aux discours, quelles que soient les apparences démocratiques.

Aknews: Que pensez vous des récentes critiques portant sur le nombre des membres, les salaires et les privilèges accordés aux membres du Conseil Consultatif de la Refondation au Niger ?

A.H: C’est un sujet qui suscite actuellement beaucoup d’attention. Je suis une adepte des idées sankaristes, notamment en matière de gestion rigoureuse des dépenses publiques. Cela dit, je suis également opposée à l’exploitation de certains agents de l’État, car elle alimente, à mon sens, la prolifération de la corruption dans nos sociétés africaines. Ainsi vu le coût actuel de la vie à Niamey, je ne trouve pas qu’un salaire de 365 000 francs CFA (environ 500 €) soit excessif pour des personnes appelées à remplacer les députés et conseillers dans l’exercice de leurs fonctions, à condition qu’elles assument pleinement leurs responsabilités et qu’elles travaillent avec sérieux et efficacité. Il est essentiel de mettre les agents publics dans de bonnes conditions si l’on veut lutter efficacement contre la corruption et renforcer la gouvernance. Je ne connais pas dans le détail les contours du budget alloué à ce Conseil comparé aux autres dépenses et capacité de l’État, mais je recommanderais une approche équilibrée entre maîtrise des dépenses publiques, lutte contre la corruption et efficience dans l’action publique.

Sinon, pour ce qui est du Conseil en soi, ma principale inquiétude concerne plutôt l’efficacité réelle de ce dernier : j’espère qu’il ne se réduira pas à un organe symbolique ou à un espace où l’on multiplie des réunions interminables et des missions répétitives, simplement pour percevoir des per diem et frais de mission. Ce genre de pratiques est malheureusement fréquent dans l’administration nigérienne, comme j’ai pu le constater personnellement lors d’un séjour professionnel. Ce sont précisément ces genres de dérives qu’à mon avis la refondation devrait s’efforcer d’éliminer, et non de reproduire.

Quant au nombre des membres, s’il est justifié par les besoins réels et qualitatifs de la mission, pourquoi pas? L’essentiel reste que chaque membre apporte une contribution utile et mesurable.

Aknews: Vous parlez de décoloniser le Niger, mais vous siégez dans un Conseil Consultatif sur la décolonisation en Allemagne. L’urgence de la décolonisation est-elle plus grande ici qu’au Niger ? Ou est-ce simplement parce que c’est mieux rémunéré ici?

A.H: (Rire). La décolonisation, pour moi, n’a rien à voir avec l’argent ou le salaire. C’est avant tout une affaire de passion, de conscience et d’engagement. Et lorsqu’on s’engage véritablement, ce n’est jamais pour soi, mais pour les autres — pour une cause, une conviction, une idéologie.

La décolonisation dépasse donc ma personne. Elle vise à restaurer l’image, la mémoire et la dignité des peuples africains, abîmées par la colonisation et ses séquelles. Cet engagement peut se mener ici, en Allemagne, comme ailleurs. Ce qui importe, c’est le cadre d’action, pas le lieu géographique. Et d’ailleurs, les membres du Conseil Consultatif ici n’ont pas de salaire. Nous ne percevons que des honoraires, des indemnités et des frais de mission.

Votre question me rappelle certains discours selon lesquels, lorsqu’on vit en Occident, on ne devrait contribuer au continent qu’à travers des soutiens financiers, comme si notre avenir devait uniquement se construire ici. Pourtant, loin de nous éloigner, l’émigration ravive notre attachement à la terre d’origine. La patrie reste dans le cœur, et ce lien ne se dilue pas avec la distance.

Pour ma part, je porte dans mon cœur le pays où je vis aujourd’hui, comme celui d’où je viens. Et il me reste encore de la place pour d’autres nations. C’est dans cet esprit que je contribue, à ma manière, aussi bien dans le domaine de la recherche scientifique que dans l’activisme autour des questions de décolonisation. Pas seulement pour le Niger ou le Sahel, mais pour l’Afrique toute entière — et, au-delà, pour l’ensemble des peuples noirs.

Aknews: Vous avez récemment lancé un cabinet de conseil en politique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ses services ?

A.H: Oui, en effet. Le cabinet est désormais officiellement créé, même si je n’en suis encore qu’aux premières étapes. Il reste beaucoup à faire, mais les bases sont là.

Nos services s’articulent autour de trois grands domaines : la politique, la diplomatie et la santé. Nous intervenons notamment sur des questions liées à la décolonisation, aux relations internationales, aux politiques sanitaires, mais aussi à l’évaluation des politiques publiques, à la gestion des systèmes d’assurance, et à d’autres enjeux de gouvernance stratégique.

Le cabinet est actuellement basé à Hambourg, mais un élargissement est en réflexion vers d’autres pays comme le Niger, l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, le Brésil, ou encore la Corée du Sud, en fonction des partenariats à venir.

Aknews: Un message à l’attention de nos lecteurs ?

A.H.: Je souhaite vraiment que les États africains et leurs leaders politiques profitent de ce nouveau bouleversement mondial pour rebattre les cartes de la politique internationale en leur faveur. Aussi je souhaite que la dynamique souverainiste des pays du Sahel soit une base d’un réel changement révolutionnaire pour le continent africain tout en espérant que les populations continueront à accompagner ce dynamisme, ne serait que pour une expérience. Enfin, je souhaite la paix au Sahel, au Congo, au Soudan et au Moyen-Orient.

Aknews: Merci pour cet entretien.

A.H.: C’est moi qui vous remercie. Ce fut un plaisir !

Interview réalisée par Claude N’da Gbocho, Directeur de Publication – AkondaNews
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