Du viol colonial / Une autre histoire Sous-titre : Quand la peinture témoigne de l’impensable : un regard cru sur une pratique coloniale normalisée

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Strasbourg, musée de l’histoire et de la mémoire. Un tableau silencieux, suspendu dans une salle sobrement éclairée, dérange et interroge. Il s’intitule Le Rapt de la négresse, ou selon une appellation plus frontale : Le Viol de la négresse. Peint au XVIIe siècle par le flamand Christiaen van Couwenbergh, il constitue l’un des témoignages artistiques les plus rares — et les plus brutaux — d’un phénomène trop souvent refoulé de l’histoire coloniale : le viol des Africaines et des Afro-descendantes par des Européens.

Dans cette œuvre troublante, deux jeunes hommes nus s’apprêtent à abuser d’une femme africaine, que l’un d’eux pointe du doigt, ricanant de ses supplications. Une scène d’une violence nue, rendue presque insoutenable par la présence d’un troisième homme, vêtu celui-là, qui semble hésiter ou condamner le geste. Cette ambiguïté, cette tension morale que le peintre semble introduire, révèle un rare geste de dénonciation à une époque où ces pratiques faisaient partie de la mécanique du pouvoir colonial.

Le viol colonial : une pratique de domination institutionnalisée

Loin d’être un dérapage isolé, le viol des femmes africaines fut une stratégie systémique de domination. Il accompagnait les conquêtes, consolidait les hiérarchies raciales et servait parfois à accroître la main-d’œuvre servile. Sur les plantations, les enfants nés de ces viols n’étaient pas seulement des “accidents”, mais aussi des instruments de reproduction du “cheptel humain” asservi.

Le viol était souvent collectif. Ce choix — volontaire — permettait d’éviter toute revendication de paternité tout en intensifiant l’humiliation. Ces actes n’étaient pas seulement des crimes sexuels : ils étaient des outils de terreur sociale, des violences de masse tues par les archives officielles, mais parfois visibles dans l’art, quand il ose dire ce que l’histoire tait.

Un tableau, une archive, un silence rompu

Le fait qu’un peintre européen du XVIIe siècle ait immortalisé cette scène témoigne de l’ampleur du phénomène. Van Couwenbergh, connu pour ses sujets mythologiques et sensuels, choisit ici un réalisme brutal. Il ne sublime rien. Le corps de la femme n’est pas érotisé mais supplicié. Il ne peint pas une scène allégorique, mais un fait social, un crime.

Pourquoi ce tableau est-il si peu connu ? Pourquoi n’est-il pas présenté comme une pièce maîtresse dans les débats sur la mémoire coloniale ? Parce qu’il dérange, parce qu’il rappelle que l’histoire coloniale n’a pas seulement été faite de conquêtes, d’évangélisation et de commerce, mais aussi de viols, de mutilations, d’humiliations sexuelles.

L’urgence d’une reconnaissance

Aujourd’hui encore, les descendants de ces femmes portent les stigmates d’un héritage non reconnu. Le tableau de Couwenbergh devrait figurer dans tous les manuels d’histoire, non pour choquer, mais pour instruire. Il dit ce que tant d’archives refusent d’écrire : que le viol était un instrument central du pouvoir colonial, une violence sexuelle institutionnalisée, une blessure qui traverse les générations.

Ce tableau n’est pas un simple vestige artistique. Il est un acte de mémoire. Il nous oblige à regarder l’histoire dans les yeux — et à cesser de détourner le regard.

Kakaboara, correspondant à Abidjan

Akondanews.net

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