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Abidjan le 15 avril 2022.
Par Denzel Bereby
Le mercredi 13 avril dernier le Premier ministre ivoirien Jérôme Patrick Achi remettait au président Alassane Ouattara sa lettre de démission. Une surprise pour bien d’observateurs du marigot politique ivoirien selon qui un nouveau gouvernement était plutôt prévu vers fin juillet. akondanews.net dévoile pour ses lecteurs, la raison de cette anticipation inattendue.
Côte d’Ivoire : le récit de la démission surprise de Patrick Achi
«Informé par Alassane Ouattara de l’imminence de la dissolution du gouvernement, le Premier ministre a gardé le secret. Retour sur une annonce qui a pris de court la sphère politique. Jusqu’au bout, Alassane Ouattara aura maintenu le suspense. Certes, son projet de resserrer les rangs en ne nommant qu’une trentaine de ministres – contre quarante et un aujourd’hui – est toujours d’actualité. Mi-mars, le chef de l’État confiait d’ailleurs encore en privé qu’il ne le remanierait pas avant juillet. Aussi, lorsqu’il a décidé d’accélérer subitement son calendrier le 13 avril, il a surpris jusqu’à son entourage proche. Le 11 avril, la semaine avait débuté avec un conseil de gouvernement réunissant Patrick Achi et les ministres.
Dîner chez le Premier ministre…» Révèle l’hebdomadaire français Jeune Afrique dans son édition de ce vendredi 16 avril.
Mais l’envers de la médaille est plus lisible que ces bribes d’informations. De quoi s’agit-il ? Selon les informations recueillies par akondanews.net, au sein du palais d’Abidjan-Plateau, les choses ne semblent pas aussi simpliste qu’elles n’en donnent l’air. Il faut remonter à avril 2011 pour comprendre que le président Alassane Ouattara est lié par un pacte aux occidentaux. Installé au pouvoir à la suite de son «option militaire» qui a vu ses parrains s’investir corps et âme contre le pouvoir de son adversaire Laurent Gbagbo déclaré vainqueur des élections présidentielles de 2010 par le Conseil constitutionnel, Alassane Ouattara devrait à son tour laisser ses derniers agir en Côte d’Ivoire comme bon leur semble. La France, chef de file desdits soutiens, est en première ligne de la guerre. Mais après la victoire obtenue, pas question pour Ouattara président, de marchander les juteux contrats et marchés publics. La France, l’Union européenne, les États-Unis, le Canada se partagent les marchés au détriment du reste du monde. Même les marchés remportés précédemment par des tiers ont été repris et donnés aux partenaires multilatéraux occidentaux. Tout se déroule bien jusqu’au deuxième mandat fin 2019. Assuré des soutiens multiformes, diplomatiques, militaires, politiques, financiers – ce dernier est traduit en prêts et crédits généreusement accordés mais il s’agit d’un surendettement – Alassane Ouattara négocie un troisième mandat présidentiel. La pillule passe mal. En fait il met dans l’embarras ses soutiens occidentaux qui se sont toujours présentés comme des démocrates donneurs de leçons et gendarmes du monde. Ouattara cornaque alors Emmanuel Macron le jeune président français à l’effet de convaincre ses pairs occidentaux. Ce dernier rouspète mais pas pour longtemps, beaucoup d’intérêts français sont en jeu. Finalement le dirigeant français concède à Ouattara de se présenter pour un troisième mandat présidentiel, contre les règles démocratiques et constitutionnelles établies par l’Ivoirien lui-même. En 2019, profitant du décès de son Premier ministre Amadou Gon Coulibaly candidat de son parti le Rhdp, Alassane Ouattara annonce qu’il sera candidat et évoque une «situation exceptionnelle» imposée par la mort subite de son filleul. La suite est connue de tous : l’opposition lance un mot d’ordre et décrète «la désobéissance civile». La population ivoirienne adhère massivement et se mobilise derrière plusieurs coalitions de l’opposition menées par l’ancien président de la République Henri Konan Bédié président du Pdci-Rda et ancien allié d’Alassane Ouattara. La Côte d’Ivoire replonge à nouveau dans les violences électorales. L’armée de Ouattara et les partisans de ce dernier massacrent les militants de l’opposition. Des centaines de morts et des milliers de blessés et des arrestations des leaders de l’opposition sont mis au bilan de deux mois (octobre et novembre) de manifestations pacifiques. Cependant, Ouattara, grâce au silence de ses parrains qui s’apparente à un blanc-seing, parvient à se maintenir au pouvoir, en réussissant à trouver un candidat adversaire fantoche, Kouadio Konan Bertin dit KKB qu’il laminera après avoir pris le soin d’écarter tous les candidats de l’opposition.
Contexte difficile pour Ouattara
Mais les choses vont se gâter progressivement. Car, par ironie de l’histoire, dans les pays frontaliers de la Côte d’Ivoire qui soutiennent traditionnellement Ouattara, les populations vont se soulever contre leurs dirigeants qui veulent se maintenir au pouvoir en tripatouillant la constitution. L’affaire du «troisième mandat anticonstitutionnel» fait des grandes victimes. En Guinée, le président Alpha Condé est renversé par un putsch militaire. Pareil au Mali où le président Ibrahim Boubacar Keita est lui aussi chassé du pouvoir par des militaires. Il décédera le dimanche 16 janvier à son domicile de Bamako, à l’âge de 76 ans. Idem pour le Burkina Faso où le président Roch Marc Christian Kaboré est renversé par une junte militaire. Il faut souligner que tous ces coups d’État ont remporté l’adhésion populaire dans les pays où ils ont été perpétrés. Selon plusieurs analystes, ces accueils favorables sont le signe du rejet de la politique étrangère de la France. Le Mali en est un exemple typique. Dans ce pays limitrophe de la Côte d’Ivoire, les populations se sont soulevées contre la présence de l’armée française. Le Gouvernement a réclamé et obtenu le départ de l’ambassadeur et multiplie les mises en garde, sûr du soutien dont le pays bénéficie désormais de la Fédération de Russie du président Vladimir Poutine. Le mouvement est en train d’envahir les autres pays de l’Afrique de l’ouest, anciennes colonies françaises. Les populations du Niger sont descendues dans les rues pour ériger des barrages de fortune pour empêcher un convoi de l’armée française chassée du Mali et qui se repliait sur le Niger, pays, rappelons-le, où la France détient le monopole de l’exploitation de l’uranium qui alimente son industrie nucléaire.
Pourquoi c’est maintenant que Ouattara remanie son gouvernement
Alassane Ouattara n’avait pas prévu de revoir son équipe à la baisse. Encore moins de procéder à un remaniement ministériel. Mais il a été contrarié par les injonctions de ses soutiens occidentaux. Le message de ces derniers a été passé sans fioritures : pas question de mettre à mal la présence des occidentaux sur le continent au moment où la sympathie pour la Russie gagne du terrain. La Côte d’Ivoire est une plaque tournante où tout dérapage peut mal tourner en défaveur des pays occidentaux déjà en difficulté dans l’opération militaire spéciale menée par la Russie en Ukraine. Par conséquent, il a été conseillé un retrait en douceur. Alassane Ouattara qui avait prévu de faire son remaniement ministériel dans la perspective des élections présidentielles de 2025, a été freiné des quatre fers. Il doit céder le pouvoir pour un autre. Pas question pour lui de rempiler pour un quatrième mandat. Ce serait trop risqué pour lui-même et pour les intérêts de ses parrains étrangers. Les occidentaux lui ont donc proposé de positionner une personnalité ivoirienne en qui il a entièrement confiance. Mais il est tout aussi bon de savoir que quand les parrains font ce genre de proposition, c’est qu’ils ont déjà leurs bottes secrètes. Deux noms reviennent de façon récurrente : le Premier ministre démissionnaire Patrick Jérôme Achi et Tidjane Thiam, ancien ministre du Plan sous le président Henri Konan Bédié. Ce dernier est le pion des occidentaux, mais pas forcément celui d’Alassane Ouattara. Il faut dire que le chef de l’État ivoirien ne dispose pas suffisamment de cartes en main. Son parti le Rhdp n’a pas de ressources humaines capables de rivaliser avec ses grands rivaux directs que sont le Parti des peuples africains Côte d’Ivoire (PPA-CI) de Laurent Gbagbo et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire- Rassemblement démocratique africain (Pdci-Rda) d’Henri Konan Bédié. Tous les deux sont des anciens présidents de la République dont les plupart des collaborateurs ont déjà fait preuve de leur maîtrise des dossiers nationaux et internationaux. Ce qui n’est pas le cas pour le Rhdp d’Alassane Ouattara. Bref, le dirigeant ivoirien doit parer au plus pressé, pour trouver l’oiseau rare sans inquiéter les intérêts de ses soutiens occidentaux. Patrick Jérôme Achi pourrait faire le bon choix. Mais d’autres sources l’annoncent déjà au poste de Vice-président de la République, dont le fauteuil est resté vacant depuis la démission de Daniel Kablan Duncan en 2020.
Il reste Tidjane Thiam, né le 29 juillet 1962 à Abidjan en Côte d’Ivoire,
est un ancien homme politique et dirigeant d’entreprise franco-ivoirien. Diplômé de l’École polytechnique et de l’École des mines de Paris, il rejoint McKinsey & Company en qualité de consultant en management de 1986 à 1994.
La faiblesse du fils de feu Hamadou Thyam l’ancien ministre de Félix Houphouët-Boigny, réside dans son éloignement de la réalité des populations ivoiriennes. Il réside tout le temps à l’étranger où il travaille pour les firmes multinationales occidentales. Les Ivoiriens se méfient toujours de ce genre de candidat qu’ils appellent le «candidat de l’étranger». Alassane Ouattara en sait quelque chose, lui à qui ses compatriotes ont toujours demandé de «montrer son village» et d’y aller souvent pour y passer ses vacances. Il faut dire que le dirigeant ivoirien ne se facilite pas la tâche. Toutes ses vacances il les passe à Mougins en France « en famille ».
Denzel Bereby
Akondanews.net