Coups d’État en Afrique de l’Ouest : Analyse et Perspectives – Le Cas du Niger

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Le Niger, un pays d’une richesse culturelle et géopolitique profonde, a été récemment secoué par un événement majeur : un coup d’État militaire survenu le 26 juillet. Pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette situation délicate et pour apporter une perspective éclairée, nous nous entretenons aujourd’hui avec professeure Aissa Halidou, une éminente experte en relations internationales, originaire du Niger.
Après Sciences Po de Paris, s’est engagée dans des recherches approfondies en Afrique du Sud, en tant que professeure invitée à l’Institut of Pan-African Thought and Conversation (IPATC) et à l’Institut of Global African Affairs (IGAA). Ses travaux de recherche portent sur les coups d’État en Afrique de l’Ouest, ce qui rend son point de vue sur le récent événement au Niger d’autant plus précieux.

Dans cette interview exclusive, professeure Aissa Halidou partagera ses analyses, ses réflexions et ses connaissances approfondies sur les facteurs qui ont conduit à ce coup d’État, ses implications pour le Niger et la région, ainsi que les perspectives pour l’avenir de la nation. Nous sommes honorés de recueillir son expertise et sa perspective sur cette question brûlante pour mieux comprendre les défis et les opportunités auxquels le Niger est confronté dans ce moment historique.

Aknews: Bonjour Professeure, merci d’avoir accepté de nous accorder cette interview. Vos recherches en Afrique du Sud étaient concentrées sur les coups d’État en Afrique de l’Ouest. Pouvez-vous nous expliquer si votre expertise dans ce domaine vous a permis d’anticiper le récent coup d’État militaire du 26 juillet dans votre pays, le Niger ?

AH: Bonjour , honnêtement, en ce qui concerne le timing, je dirai non. Cependant, en ce qui concerne la possibilité d’un coup d’État par l’armée nigérienne et sa nécessité pour le peuple nigérien, je dirais oui.

Aknews: Qu’est ce que vous voulez dire par là?

AH: Je trouvais que c’était un peu trop tôt pour porter un jugement sur le régime du Président déchu Mohamed Bazoum, en considérant la durée de son mandat. Toutefois, connaissant bien le peuple nigérien et tenant compte des frustrations accumulées pendant le régime d’Issoufou, de nombreuses personnes avaient espéré un changement avec Bazoum. Cependant, il a choisi de suivre la même voie que son prédécesseur, ce qui a conduit beaucoup de gens à perdre patience et à ne plus vouloir le soutenir sur le long terme. Les Nigériens ne voulaient plus d’Issoufou. Personnellement, dans mes prévisions, j’avais envisagé un scénario d’un seul mandat non renouvelable pour Bazoum. Si à la fin de ce mandat il cherchait à se faire réélire pour un second mandat, cela aurait pu déclencher un coup d’État. Cependant, en adoptant une perspective plus objective et en se concentrant sur la performance du régime ainsi que sur les enjeux sécuritaires et géopolitiques, il semble que les militaires aient choisi le bon moment.

La professeure Aïssa Halidou présentant son discours sur ‘Les coups d’État et l’insécurité au Sahel’ lors de la Conférence de l’Union Africaine, tenue à l’Université de Johannesburg en novembre 2022

Aknews: Si Issoufou avait mal géré le Niger autant que Bazoum, pourquoi les militaires n’ont-ils pas organisé de coup d’État sous son régime, alors qu’il a dirigé le pays pendant 10 ans, tandis que Bazoum, lui, n’a été au pouvoir que pendant 2 ans et demi ?

AH: Il est vrai qu’il y avait des problèmes de mauvaise gouvernance durant le temps d’Issoufou. Cependant, à mon avis, Issoufou avait une certaine notoriété et une habileté politique plus développée, ce qui lui permettait de mieux gérer son cercle proche et de dissimuler certaines erreurs de gouvernance. Malgré les coalitions politiques qui se sont formées autour de lui, Issoufou était capable de faire des choix judicieux en ce qui concerne son équipe et il n’était pas intransigeant sur ce point. C’est d’ailleurs l’une des raisons de la scission (peut-être calculée) de sa coalition avec le parti Loumana de l’opposant Hama Amadou.

En revanche, Bazoum présente un contraste complet par rapport à Issoufou sur ce point. Bien qu’il puisse sembler déterminé dans ses discours et maîtriser l’art de la rhétorique, en réalité, il peut paraître naïf et parfois maladroit en tant que chef d’État. Il a eu du mal à établir une autorité forte au sein de son cercle de gouvernance. Il s’est entouré d’amateurs, d’anciens rebelles ainsi que de personnes complaisantes, qui semblaient être là plus pour leurs intérêts personnels que pour lui ou le pays. Par moments, il semblait qu’il gouvernait le pays de manière similaire à la gestion des groupes nomades, comptant davantage sur l’approbation d’Issoufou et le soutien international pour consolider sa position présidentielle, plutôt que sur l’opinion du peuple nigérien ou sur la performance de son gouvernement. Il donnait l’impression de ne pas se soucier de ce que les Nigériens pensaient de lui. En plus, son régime a commencé à prendre des traits autocratiques, malgré son intention initiale de se démarquer d’Issoufou à cet égard : la tolérance envers les avis divergents diminuait, les manifestations étaient de plus en plus restreintes, des membres de la société civile étaient emprisonnés sous des charges contestables, et les promesses de lutte contre la corruption demeuraient sans véritable concrétisation.

Je ne cherche pas à affirmer qu’il n’y avait pas de problèmes similaires sous Issoufou, loin de là. Cependant, avec Bazoum au pouvoir, les gens avaient espéré un changement. Et comme le statu quo persistait, que ce soit 2 ans de Bazoum ou 12 ans du parti PNDS (Tarraya en haoussa), la situation devenait de plus en plus tendue. Les gens devenaient impatients, le régime de Bazoum devenait de plus en plus fragile et vulnérable par rapport à celui d’Issoufou. Au fil du temps, toutes les conditions étaient réunies tant du côté de la population que de l’armée pour aboutir au résultat que nous avons aujourd’hui : la destitution de Bazoum.

En résumé, je dirais que pour la population, Bazoum était perçu comme une continuation d’Issoufou, ce qu’elle ne voulait plus. Pour les militaires, la question sécuritaire a probablement été primordiale. Ils avaient des approches différentes et la situation devenait de plus en plus complexe si le pouvoir restait aux mains des politiciens. Tôt ou tard, la situation risquait de dégénérer ou de mettre en péril le Niger.

Aknews: Il semble que vous ayez été très critique à l’égard d’Issoufou et de Bazoum, pourtant, il y a environ trois ans, lors des élections présidentielles au Niger, vous avez soutenu la candidature de Mohamed Bazoum. Pourriez-vous nous expliquer les raisons de ce soutien passé ?

AH: C’est simple: à l’époque je ne l’avais pas encore vu à l’œuvre en tant que Président. L’alternative était Mahamane Ousmane qui par contre avait déjà fait ses preuves en tant que Président et ne correspondait pas du tout à mes attentes. Je croyais mieux connaître Bazoum et avais espoir en lui, mais avec le temps j’étais obligée d’admettre que je m’étais trompée comme beaucoup de nigériens d’ailleurs. On s’est tous rendu compte que Bazoum c’est Issoufou biz. Or, Issouffou a dejà assez trompé les nigériens. Indépendamment de la question sécuritaire, Issoufou était entrain d’organiser une «prise d’otage politique» des nigériens à travers la construction d’une sphère politique dynastique, oligarchique avec son fils, leurs amis et progénitures, comme ce fût le cas au Gabon et au Togo, oú la démocratie serait juste une façade à leur service personnel avec un faussé profond d’inégalités entre eux et les citoyens lambda nigériens. Cela est inadmissible!

Aknews:  Vous avez évoqué la frustration de la population comme une des raisons du coup d’État du 26 juillet. Cependant, certains affirment que ce coup d’État au Niger ne provient pas d’un soulèvement populaire, à la différence de ceux au Mali, en Guinée ou au Burkina Faso, et qu’il est l’œuvre de putschistes cherchant simplement à s’emparer du pouvoir. D’autres vont jusqu’à prétendre que c’est un coup orchestré par l’ancien Président Issoufou Mahamadou. Quel est votre point de vue sur cette question ?

AH: Dire qu’il n’y a pas eu de manifestations populaires en prélude au coup d’État n’est pas un critère objectif dans ce contexte nigérien, à mon avis, en raison de l’interdiction des manifestations. Le coordinateur du mouvement M62, similaire au M5 au Mali, avait été emprisonné depuis janvier, et ce n’est que récemment qu’il a été libéré sous le régime putschiste. De plus, tout le monde a pu observer l’ardeur et la détermination avec lesquelles les populations ont soutenu le coup d’État lorsqu’une menace venant de la CEDEAO s’est profilée.

En ce qui concerne les militaires, je tiens à exprimer mon désaccord. Je pense que de telles allégations ont été propagées par les partisans du régime déchu, ce qui est tout à fait compréhensible : ils cherchent à préserver leurs privilèges et à défendre leur bilan, d’autant plus qu’ils continuent d’espérer une intervention de la CEDEAO ou de la France en leur faveur.

Personnellement, je crois même que l’armée nigérienne est la plus professionnelle en matière de gestion d’État dans la sous-région. Des régimes de Seyni Kountché jusqu’à Salou Djibo, en passant par Baré Mainassara et Malam Wanké, la majorité des Nigériens les ont toujours soutenus. Pendant les mandats de ces militaires, on n’a jamais vu des membres de leurs familles devenir milliardaires ni leurs enfants occuper des postes gouvernementaux. En revanche, sous Issoufou et Bazoum, la corruption était répandue et le népotisme était à son apogée. Tout cela explique pourquoi le Nigérien moyen éprouve de la sympathie pour les militaires et place son espoir en eux, ce qui semble tout à fait naturel.

En ce qui concerne l’implication d’Issoufou dans le coup d’État actuel, je dois avouer que j’en ai eu des échos jusqu’à dans la sphère proche du président déchu Mohamed Bazoum. Cependant, je ne dispose pas encore d’éléments suffisants pour l’affirmer ou l’infirmer. Mais, il ne me surprendrait pas qu’Issoufou soit impliqué, bien que du côté des militaires, cela m’étonnerait grandement.

Si cette implication s’avérait vraie, il serait crucial que les putschistes assurent la justice, sinon les Nigériens pourraient retirer leur soutien populaire. À moins que la situation n’ait déjà été résolue en interne par les militaires et que les motivations liées à la présumée manigance d’Issoufou ne soient plus pertinentes.

À mon avis, il est juste d’accorder le bénéfice du doute et un soutien solide aux militaires face à cette menace de la CEDEAO et de la France, qui représentent les véritables dangers dans cette situation. Le reste semble relever davantage de la politique et de la géostratégie.

Aknews: Côté militaires, vous mentionnez l’insécurité comme principale raison du coup d’État. Ne pensez-vous pas que les militaires auraient également pu être mécontents des commentaires publics du président Bazoum les dénigrant, et que cela a peut-être joué un rôle dans la situation ?

AH: Absolument ! Il est vrai que cet aspect a été abondamment débattu sur les réseaux sociaux, ce qui explique pourquoi j’ai évité d’y revenir. Il est possible d’imaginer que les militaires avaient des griefs envers Bazoum concernant cette question. Cependant, l’élément le plus crucial est de mettre fin à l’insécurité au Sahel, qui cause d’innombrables pertes parmi les populations et les forces militaires. Le scandale de corruption non résolu au sein du Ministère de la Défense pendant le régime d’Issoufou est non seulement révoltant, mais aussi extrêmement frustrant.De plus, durant le mandat de Bazoum, la coopération en matière de lutte contre le terrorisme avec le Mali et le Burkina Faso était complexe. Toutefois, les trois pays du Sahel les plus touchés par cette insécurité – Mali, Niger et Burkina Faso – partagent des frontières communes, et les groupes terroristes se cachent des deux côtés de ces frontières. Une coopération efficace entre ces nations est essentielle pour contenir cette insécurité. Malheureusement, sous Bazoum, cela semblait difficile à réaliser. En résumé, il était clairement nécessaire de résoudre ces problèmes avant de pouvoir avancer. Sans cela, non seulement le Niger, mais aussi toute la région du Sahel, courraient le risque d’une catastrophe sociale sans précédent. La coordination entre les militaires des trois pays était impérative pour garantir la sécurité et la survie de leurs populations respectives, mais cette coordination semblait difficile à atteindre, du moins du côté nigérien, sous la présidence de Bazoum.

Aknews: Face au bras de fer diplomatique actuel entre la France et le Niger, comment envisagez-vous une résolution de cette crise pour le Niger, étant donné que la France ne reconnaît pas les nouvelles autorités et encourage ses alliés occidentaux à faire de même ? 

AH: Je pense que les alliés de la France dont vous parlez ne sont pas dupes et qu’ils ont une meilleure clairvoyance pour ne pas se laisser entraîner dans un règlement de comptes entre le Niger et la France. La France se croit encore au temps colonial et pense avoir le droit de gérer la politique des Nigériens et des Africains à leur place, du fait de l’importance qui lui est accordée. Lors de l’affaire des gilets jaunes et des manifestations contre les réformes des retraites en France, aucun dirigeant africain ne s’est exprimé à ce sujet. Les dirigeants de la CEDEAO, pourtant prompts à l’intervention militaire, n’ont pas déployé leur armée pour soutenir le peuple français comme l’ont fait Sarkozy et ses alliés en Libye. Cette disparité soulève la question de la réaction de ces dirigeants lorsqu’il s’agit de protéger leurs propres populations africaines, mettant en lumière leur inclination à la violence interne.Cette attitude est regrettable et déplorable. En effet, ces tendances contribuent au désaccord entre ces dirigeants et les attentes de leur peuple, et peuvent expliquer en partie les coups d’État qui surviennent.

Mais les Nigériens sont de nos jours avertis et éclairés sur les doubles discours et l’attitude hypocrite de la politique française envers les peuples africains. Il n’y a aucune cohérence dans la politique française vis-à-vis de l’Afrique, et cela ne fera pas exception avec le Niger. En effet, c’est la même France qui avait initié l’intervention militaire en Libye sous les mensonges de son président Sarkozy, intervention qui a engendré l’insécurité au Sahel. Cette insécurité continue de faire de dégâts et des victimes considérables parmi nos populations et nos militaires depuis plus de 12 ans.

La France a également soutenu des coups d’État dans certains pays tout en les dénonçant dans d’autres. Elle a validé des troisièmes mandats de certains présidents dans certains pays et en a condamné dans d’autres. Cette France a même par le passé orchestré des putschs militaires dans certains pays africains uniquement pour servir ses intérêts, au détriment des peuples africains. De plus, la majorité des populations soutient souvent les putschistes, mais la France parle maintenant d’un retour de Bazoum. C’est une situation sans précédent. Même si ce dernier revenait, il serait confronté à la question de la direction et de la manière de gouverner. Il est important d’être réaliste à ce sujet.

Les discours moraux de la France concernant la démocratie ne font plus impression, car peu de gens y croient désormais. Même la prétendue intention d’aider les Africains ne suscite plus la confiance. Comment pouvons-nous y croire quand la France, malgré les demandes, refuse de partir et maintient son ambassadeur dans une position inconfortable avec des mouvements limités ? Vous conviendrez avec moi que cela échappe à la compréhension des Africains et renforce leur méfiance envers la France et sa présence en Afrique, en particulier sur le plan militaire?

Aknews: Lors de votre récente participation au Congrès Mondial des Sciences Politiques à Buenos Aires, en Argentine, vous avez présenté votre projet de recherche sur les coups d’État et la démocratie en Afrique de l’Ouest. Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui ont motivé votre choix de ce thème pour votre projet de recherche ?

AH: il est évidemment assez impressionnant de constater à quelle fréquence les coups d’État se propageaient dans cette région d’Afrique, tel une véritable épidémie. Au-delà de la fréquence, ce qui m’intriguait le plus était cette approbation populaire des populations, qui semblaient être prêtes à chasser des présidents démocratiquement élus pour les remplacer par des militaires. Je trouvais cela extraordinaire. À mon sens, cela révèle un profond dysfonctionnement de la démocratie dans cette partie d’Afrique, qui nécessitait une étude scientifique approfondie. Il est important d’aller au-delà des descriptions et interprétations journalistiques, et de se pencher plus en profondeur sur les causes de cette situation. Après tout, la démocratie nous a été présentée comme la forme de gouvernance par excellence, tandis que les régimes militaires sont souvent associés à des dictatures ou à de l’autocratie. À mon avis, il est donc très pertinent de chercher à comprendre les raisons qui poussent les populations à opter pour des régimes militaires plutôt que pour des régimes démocratiques, comme c’est actuellement le cas dans ces pays concernés.

La professeure Aïssa Halidou lors de sa présentation portant sur ‘Les coups d’État et la démocratie en Afrique de l’Ouest’ lors de la Conférence mondiale des Sciences Politiques (IPSA/AISP) qui a eu lieu à Buenos Aires en juillet 2023

Aknews: Existe-t-il une cause sous-jacente commune à ces coups d’État en Afrique de l’Ouest ?

AH: Oui, bien sûr, il y a des raisons communes à ces coups d’État. L’insécurité, la mauvaise gouvernance et l’injustice sociale sont souvent citées comme les principales causes. Ensuite, viennent le progrès de la technologie de l’information, la jeunesse des populations ainsi que les frustrations financières ou économiques accumulées. L’héritage colonial ou néocolonial et le poids des traditions africaines jouent également un rôle significatif en tant que catalyseurs de coups d’État en Afrique de l’Ouest. Évidemment, il y a aussi diverses autres raisons spécifiques à chaque pays et à chaque coup d’État, comme l’affirme Gregor Fergusen, l’un des grands experts en coups d’État.

Aknews: Quelles mesures peuvent être prises pour prévenir les coups d’État, et quel rôle la communauté internationale devrait-elle jouer dans la résolution de la crise politique au Niger ? Partagez-vous l’approche de la CEDEAO et de la France, qui soutiennent une intervention militaire, ou avez-vous une perspective différente à ce sujet ?

AH: De prime abord, je ne peux absolument pas soutenir l’opinion de la CEDEAO en faveur de l’intervention militaire. Je considère une telle approche comme irréfléchie et insensée. Il n’est pas nécessaire d’avoir une formation militaire pour comprendre que ce genre d’intervention pourrait créer plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. Sur ce point, je partage l’avis du Président Gbagbo qui qualifiait une telle guerre d’idiotie. À mon sens, les États et les organisations régionales ou internationales devraient plutôt se concentrer sur la prévention des coups d’État : en comprenant mieux leurs causes, ils pourraient mettre en place des mécanismes pour les éviter.

Toutefois, lorsque de tels coups d’État ont déjà eu lieu, il est préférable d’opter pour l’acceptation accompagnée de négociations et de diplomatie. Si les populations les plus concernées soutiennent un coup d’État, je préférerais même que la situation soit résolue en interne, sans intervention extérieure. Après tout, que la gouvernance soit démocratique ou non, elle doit avant tout servir les populations, et ces dernières devraient être les juges de la situation. Elles connaissent mieux leurs dirigeants et leurs besoins. Être élu pour un mandat déterminé ne devrait pas conférer un pouvoir absolu et irrévocable. Le peuple qui confère le pouvoir devrait également avoir la possibilité de le retirer. Étant donné que cela n’est souvent pas possible individuellement en cours de mandat, conformément à la majorité des constitutions de ces pays, je trouve tout à fait légitime que le peuple puisse être soutenu par son armée. L’opinion internationale doit apprendre à accepter ce choix. Mais ici, c’est la citoyenne nigérienne qui s’exprime, pas l’enseignante-chercheuse (rire).

Il est regrettable que la CEDEAO agisse comme un syndicat de chefs d’État dans cette crise politique nigérienne, sans considération pour la souffrance des populations. Pour ceux d’entre nous qui vivent en Europe, ce comportement de nos dirigeants africains est encore plus déconcertant et décevant, surtout en comparaison avec l’attitude et le soutien dont ont bénéficié les Ukrainiens de la part des Européens. En Afrique, sous prétexte de démocratie, la CEDEAO composée d’une quinzaine de pays, poussée par seulement trois ou quatre pays, se prépare à mener une guerre et qui plus est, contre un peuple frère, un pays membre de cette même CEDEAO. Cela semble être une attitude dépourvue de tout sens !

La CEDEAO et l’Union Africaine auraient dû s’occuper des actes racistes perpétrés par les autorités tunisiennes ou saoudiennes à l’encontre des migrants africains, qui sont victimes de violences aux frontières libyennes ou yéménites, ainsi que dans le désert et en Méditerranée. À mon avis, cela représente un problème bien plus sérieux que de chercher à mener une guerre pour un coup d’État soutenu par la population concernée et qui n’a pas entraîné de pertes en vies humaines.

Aknews: La situation actuelle au Niger a suscité une forte réaction parmi les panafricains, tant sur le continent qu’au sein de la diaspora. Pouvez-vous nous faire part de votre propre expérience et de vos sentiments à ce sujet ? De plus, avez-vous des conseils ou des recommandations pour renforcer l’efficacité de la lutte pan-africaniste ?

AH: C’est l’endroit idéal pour saluer ce soutien chaleureux qui réconforte les Nigériens dans la lutte qui les oppose à la CEDEAO et à la France. En effet, le Niger est un pays de paix qui n’a jamais connu de guerre. Cependant, les coups d’État sont devenus, je dirais même, monnaie courante chez nous au Niger. Par conséquent, nous n’aurions jamais imaginé que cet événement prendrait une telle tournure exagérée, frôlant une guerre presque mondiale. Si ce n’était pas grâce la vigilance des panafricains dévoués, qui ont rapidement compris que cette menace ne concernait plus seulement le coup d’État en lui-même, mais qu’il s’agissait plutôt de rétablir à tout prix l’affront que le Mali et le Burkina ont fait subir à la France et au syndicat des présidents marionnettes qu’est la CEDEAO.

Je tiens surtout à saluer le courage et la lucidité des autorités maliennes et burkinabé, qui se sont immédiatement rangées du côté du Niger. Au-delà de l’insécurité qu’ils partagent en commun avec le Niger, leur réaction a été à la fois noble et courageuse dans une Afrique où la majorité des dirigeants ne saisissent pas les enjeux géopolitiques et se font souvent manipuler sur la scène mondiale. Des remerciements sont également adressés aux cyber-activistes et à tous les panafricanistes qui soutiennent le peuple nigérien dans cette lutte.

Unissons nos efforts pour éviter que des situations telles que celles de Khadafi ou de Gbagbo ne se reproduisent en Afrique. Les Africains ne doivent plus rester les bras croisés à regarder tandis qu’un pays frère est attaqué sous leurs yeux, pour ensuite être laissés à gérer les conséquences, notamment en matière d’insécurité. Cette insécurité pourrait alors servir d’excuse pour l’installation de bases militaires d’occupation.

Aknews:  Merci professeure de nous avoir accordé votre temps pour cette Interview.

AH: Ce fut un honneur et un plaisir de partager mes recherches et mes opinions avec votre public. J’espère que notre entretien a pu apporter des éclaircissements et des perspectives intéressantes à vos lecteurs. Je tiens donc à vous remercier pour cette opportunité.

Interview réalisée par Claude N. Gbocho, Rédacteur en chef d’Akondanews

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