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Abidjan, le 7 septembre 2022
La suspension de Dr Doua Jonas, médecin gynécologue-obstétricien au Centre hospitalier régional de Daloa dont la négligence aurait coûté la vie à Dame Yao Aya Solange institutrice de son état, continue de défrayer la chronique. Dans un élan de solidarité, les collègues du médecin incriminé, nonobstant leur pensée pieuse pour la victime, n’ont pas gardé la langue de bois face à la décision de leur ministère tutelle qu’ils jugent impertinente. Ci-dessous leur déclaration:
« La mission et la finalité du métier de Médecin est de soigner et de sauver des vies humaines. Le Collectif des Gynécologues-Obstétriciens présente ses sincères condoléances à la famille de feue Dame YAO AYA SOLANGE. Aucune femme ne doit perdre la vie en donnant la vie, la perte d’une vie est toujours un drame quelles qu’en soient les circonstances. Ce décès nous interpelle une fois de plus, sur le nombre encore élevé de nos filles, nos femmes, nos sœurs, nos mamans qui meurent en donnant la vie, malgré les efforts des différents acteurs de la santé en Côte d’Ivoire.
La question, dès lors, devient pourquoi en sommes-nous arrivés là, et que faire pour sortir de ce tableau sombre ?
QUE S’EST-IL PASSE A DALOA ?
Lors de sa conférence de presse du 28 Aout dernier, rediffusée par la RTI1, au journal télévisé de 20h, 𝗗𝗿 𝗔𝗸𝗮 𝗖𝗵𝗮𝗿𝗹𝗲𝘀 𝗞𝗢𝗙𝗙𝗜, Directeur de Cabinet du Ministère de la Santé, de l’Hygiène Publique et de la Couverture Maladie Universelle, a présenté le cas de décès de Dame Yao Aya Solange, survenu au Centre Hospitalier Régional (CHR) de Daloa le 19 Aout 2022, Selon ses dires :
- Il s’agit de Dame Yao Aya Solange, 37 ans institutrice, G4P3 qui a été admise le 18 août 2022 à 22h39 minutes à la maternité du CHR de Daloa pour contractions utérines sur grossesse à terme.
- Elle aurait présenté, selon les sage-femmes de garde une hauteur utérine excessive avec un antécédent de césarienne en 2018.
- Une échographie réalisée le 10 août 2022, aurait estimé le poids fœtal à 3700 grammes.
- Les sage-femmes auraient immédiatement appelé le médecin-gynécologue de garde, Docteur DOUA Jonas, qui après examen clinique, aurait diagnostiqué :
- Un début de phase active du travail
- Une hauteur utérine excessive (HU=40 cm)
- Un utérus cicatriciel.
- Le médecin aurait alors décidé de laisser évoluer le travail malgré le diagnostic de hauteur utérine excessive sur un utérus cicatriciel.
- Les sage-femmes auraient donc procédé sur instructions du médecin, à la surveillance du travail à l’aide d’un partogramme jusqu’à 05 heures.
Face à l’évolution du travail avec un tableau de dyspnée et une instabilité hémodynamique, les Sage-femmes auraient, en ce moment précis, essayé de joindre le médecin-gynécologue de garde mais sans y parvenir.
Une d’entre elle serait allée frapper à la porte de la salle de garde des médecins, qui serait restée hermétiquement fermée sans aucune réponse.
- A 06 h 34 minutes serait survenu malheureusement le décès de Dame Yao Aya Solange
Fort de ces témoignages recueillis pêle-mêle, Monsieur le Directeur de Cabinet s’est d’abord comporté en expert de gynécologie-obstétrique, puis s’est octroyé le pouvoir d’un juge et de porter les commentaires suivants :
- Une hauteur utérine excessive sur un utérus cicatriciel est une indication absolue de césarienne.
- Le médecin-gynécologue de garde qui a pourtant bel et bien posé le diagnostic de hauteur utérine excessive sur un utérus cicatriciel, en ne posant pas l’indication d’une césarienne malgré la suggestion insistante des sage-femmes, a commis une faute professionnelle.
- Le médecin gynécologue qui a, en outre déserté l’hôpital, n’a pas respecté le programme de garde qui l’obligeait à passer la nuit au CHR.
- Au total, il s’agit d’un décès maternel évitable de trop après les cas récents notamment celui le plus récent de Bingerville.
Pour ensuite prononcer les sanctions et instructions suivantes :
- Suspension immédiate du Dr Doua Jonas de ses activités professionnelles ;
- Instruction est donnée au DRH du MSHPCMU à l’effet de prendre toutes les mesures pour traduire Dr Doua Jonas en conseil de Discipline ;
- Saisine du Conseil National de l’Ordre des Médecins en vue de l’instruction du dossier
- Saisine de la Société de Gynéco-obstétrique de la côte d’ivoire (SOGOCI) à l’effet de procéder à la sensibilisation de ses membres à l’amélioration de leur comportement et à la prise de conscience de leur responsabilité ;
- Approfondissement de l’enquête pour situer les responsabilités administratives et prendre des mesures correctives qui s’imposeraient ;
- Prise d’une circulaire instituant des administrateurs de garde dans tous les hôpitaux de référence du pays en vue de s’assurer de la présence effective des agents et le respect des gardes médicalisées.
PROTESTATION DU COLLECTIF DES GYNECOLOGUES-OBSTETRICIENS DE COTE D’IVOIRE :
Particulièrement heurtés, par tant de précipitations, d’improvisation, de vices de formes et de procédures, surtout aux vues de cette séance de revue de décès maternel, d’un genre nouveau, un collectif réunissant 250 médecins tous spécialistes en gynécologie-obstétrique, a décidé de se mettre en place et protester vigoureusement contre cette autre violation fragrante des droits des travailleurs et la mise en danger de la vie du confrère, Dr Doua Jonas. Aussi cette dérive, une de plus du Ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture Maladie universelle, marquée par des accusations fantaisistes, qui tentent de façon maladroite à criminaliser l’ensemble du personnel de santé, qui se voit ainsi vilipender, discréditer et dévaloriser aux yeux de l’opinion public.
Le collectif des Gynécologues-obstétriciens de Cote d’Ivoire, a conduit une mission à Daloa, dans le but de prendre la version des faits du confrère, Dr Doua Jonas, que l’autorité sanitaire a ainsi jeté en pâture aux populations, à la suite de ce décès, oubliant les innombrables femmes que ce médecin a sauvé dans sa carrière à Daloa. Combien de femmes sont aujourd’hui en vie grâce à l’intervention directe de ce Gynécologue-obstétricien, Dr Doua Jonas ?
Le collectif des Gynécologues-obstétriciens de Cote d’Ivoire apporte avant tout son appui solidaire et déontologique au confrère Dr Doua Jonas, qui exerce au CHR de Daloa depuis 18 ans aujourd’hui, bénéficiant d’encouragement et de félicitations de ces mêmes autorités pour son travail fort bien apprécié, il y a peu.
Ayant obtenu les deux versions des faits, la version administrative et celle du clinicien, le collectif des gynécologues et obstétriciens peut à froid porter les observations liées au cas exposé.
Le collectif des Gynécologues-obstétriciens de Cote d’Ivoire saisi cette occasion pour faire la lumière sur le cadre réglementaire et législatif de la fonction de Gynécologue-obstétricien, la triple exploitation de ces médecins spécialistes par leur employeur l’Etat de Côte d’Ivoire, émettra des résolutions afin de lutter de façon efficiente contre la mortalité maternelle dans nos hôpitaux, publics et privés
OBSERVATIONS LIEES AU CAS DE DECES DE DAME YAO AU CHR DE DALOA
Dr Doua Jonas est Gynécologue titulaire, en service au CHR de Daloa, il y compte 18 années d’ancienneté. La veille, le Gynécologue avait déjà réalisé, avant la réception de Dame Yao, 7 césariennes.
Il est important de préciser à ce niveau que le CHR de Daloa, ne compte que 4 gynécologues, là où 10 gynécologues seraient déployés pour respecter les normes de la qualité des soins selon l’OMS.
L’équipe de garde étant constituée d’un médecins-gynécologues, de plusieurs sage-femmes et autres personnels de soutien et d’appui
Dr Doua Jonas a effectivement reçu Dame Yao Aya Solange, porteuse d’une grossesse à terme avec un antécédent de césarienne ancienne, en phase de latence du travail mais avec l’absence de battement du cœur du bébé. Il était donc en présence d’un cas typique de mort in utéro sur utérus cicatriciel.
En obstétricien expérimenté, il décide de commun accord avec son équipe de garde, de tenter une expectative armée. Le gynécologue instruit ses équipiers de garde d’instituer de laisser évoluer ce travail accouchement sous surveillance. Dr Doua Jonas, est hypertendu (HTA) connu et sous traitement. Le clinicien ayant ressenti des céphalées liées à son état de fatigue, a décidé de prendre une pose dans la seconde salle de garde du CHR, tout en demandant au préalable aux autres membres de l’équipe de l’informer en cas d’apparition de signes annonciateurs d’évolution défavorables du travail en cours.
Au vu de l’évolution anormale de ce travail, l’équipe a tenté de joindre son gynécologue, chef d’équipe, mais n’y est pas parvenu.
En pareil cas, le protocole prévoit de saisir immédiatement l’administration et /ou un des collègues gynécologues-obstétriciens (au nombre 3) de l’hôpital, ce qui n’a pas été fait entrainant du coup la situation de décès…
En d’autres termes, les chances de survie de la patiente devenaient nulles parce que le médecin gynécologue, qui devait la sauver, luttait lui-même contre la mort, du fait d’un malaise hypertensif induit vraisemblablement par sa charge de travail, et le drame survint.
Au vu de la gravité des faits, le collectif des Gynécologues-obstétriciens proteste contre cette batterie de sanctions à l’encontre du seul gynécologue et sa mise en danger, sans au préalable réaliser une enquête approfondie sérieuse et sans au préalable l’expertise de la SOGOCI citée par le ministère.
Il est injuste et dangereux de pré-designer le gynécologue comme étant le responsable du décès de Dame Yao Solange juste parce qu’il n’a pas eu la force nécessaire pour aider sa patiente au moment opportun. Le travail de garde hospitalière se faisant en équipe, comment établir la part de responsabilité de chaque membre de l’équipe de garde dans la survenu de ce drame sans une enquête approfondie, sans un avis d’expert en gynécologie et obstétrique.
Le collectif des gynécologues obstétriciens constate avec stupeur, que ce cas de décès maternel est pratiquement la copie conforme des situations de décès maternels, survenus à Adzopé, Bingerville, et aujourd’hui Daloa. Les causes sont surement à chercher dans la qualité du système sanitaire (condition de travail et surmenage du personnel) en Côte d’Ivoire.
ETAT DU SYSTEME SANITAIRE ACTUEL EN COTE D’IVOIRE
Les lois du travail prévoient 8 heures de travail journalier soit 40 heures par semaines. Tout autre cas est un cas d’heure supplémentaire. Le gynécologue obstétricien en Côte d’Ivoire est à la fois d’astreinte, de garde et en charge des activités hospitalières de jour. A la pratique ce Médecin travail 24h/24 et 7 jours sur 7 soit 168 heures de travail par semaines. Ainsi les 128 heures supplémentaires constituent progressivement une charge de travail insupportable, humainement. Le gynécologue se tue donc au travail, à petit feu sans aucune reconnaissance du ministère de tutelle.
Aussi quelle performance attendre d’un tel travailleur, extenué à la tâche. Le risque d’erreur dans un tel contexte est maximal.
Aussi le ministère de la santé et de la Couverture maladie universelle, s’est engagé depuis un moment, déjà dans la diabolisation et la criminalisation de la fonction de gynécologue-obstétricien.
Chaque cas de décès maternel est une occasion pour cette institution d’ouvrir la chasse aux gynécologues-obstétriciens.
L’épisode de Daloa où l’identité d’un praticien a été divulguée sans aucune retenue à la population. Exposant du coup ce fonctionnaire à des actes de vengeance de la part de personnes dont les motivations et réactions peuvent être spontanées, même les vrais criminels sont préservés contre ce type de traitement dégradant et humiliant.
Dans le contexte de recevabilité, le gynécologue obstétricien ne saurait se dérober de sa responsabilité en cas de décès d’une femme en couche. Mais le gynécologue obstétricien n’est qu’un maillon d’une chaine, avec au premier rang le ministre de la santé, qui semble se décharger de sa responsabilité, pourtant engagée dans ces cas de décès maternels dans le pays. Les indicateurs de la mortalité maternelle en Côte d’Ivoire sont depuis des lustres des plus élevés dans le monde.
Le gynécologue-obstétricien refuse donc de servir de cache misère à un système de santé dépassé. Les causes de cette hécatombe doivent être recherchées en commun et non à vouloir fuir l’évidence, Ce sont principalement : le manque de ressources humaines, matérielles et financières et non de vouloir monter l’opinion publique contre le gynécologue obstétricien chaque fois qu’un drame survient.
NOS RESOLUTIONS
- Le collectif des gynécologues obstétriciens ivoiriens réitère ses condoléances sincères à la famille et aux proches de feue Yao Aya Solange.
- Le collectif demande que le gynécologue-obstétricien comme tout travailleur sois soumis au 40 heures de travail hebdomadaire pour éviter la surcharge de travail.
- Le collectif demande l’organisation pratique et réaliste des gardes et astreintes des gynécologue- obstétriciens dans les hôpitaux publics et privés de la cote d’ivoire
- Le collectif demande la réintégration de Dr Doua Jonas dans ses fonctions, dans l’attente d’une enquête approfondie basée sur une vraie expertise (SOGOCI) et les conclusions du Conseil de discipline de la fonction publique.
- Le collectif tient le Ministre de la Santé, responsable de La sécurité du Dr Doua Jonas et des membres de sa famille. Ce qui veut dire que la responsabilité du Ministre sera pleinement engagée en cas d’une quelconque agression portant sur Dr Doua et/ ou un membre sa famille.
- Le collectif des gynécologues exige la mise en place d’une commission composée de vrais experts en gynécologie obstétrique pour éclairer l’opinion publique sur les circonstances réelles du décès de dame Yao.
- Le collectif des gynécologues ivoiriens se réserve le droit de lutter par les recours autorisés par les lois du travail pour refuser ici et maintenant les conditions inhumaines de travail de ses membres.
- Le collectif demande à tous les gynécologue-obstétriciens du public et du privé de Cote d’Ivoire de rester mobiliser, dans l’attente de mots d’ordre clairs à venir. « Désormais plus rien ne sera comme avant »
Fait à Abidjan le 07 Septembre 2022
Pour le collectif des Gynécologues et Obstétriciens de Côte d’Ivoire
Dr Worou Ambroise Gynécologue Obstétricien, Chef de Service de Gynécologie-obstétrique du CHR Odienné
NB: Le titre et le chapeau sont de la rédaction