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Il y a 6 ans des djihadistes massacraient à Grand-Bassam
. Le Préfet Vincent Toh Bi se souvient.
Un début d’après-midi du dimanche 13 mars 2016, des civils sont massacrés sur la plage de Grand-Bassam, la cité balnéaire située sur le littoral à 43.5 km au sud-est d’Abidjan. L’attaque fait officiellement 19 morts, dont trois soldats des forces ivoiriennes et un ressortissant français. Elle est revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb islamique, le soir même. Le cerveau de l’attaque est un certain « Kounta Dallah, il est aussitôt activement recherché », fera savoir après les premières issues des enquêtes internationales, Richard Adou, le procureur du parquet d’Abidjan Plateau. Retour sur le branle-bas. Six ans après, l’ancien préfet d’Abidjan, Vincent Toh Bi se souvient de ce qu’il s’est passé.
A l’époque des faits, il était le Directeur de cabinet d’Hamed Bakayoko alors ministre de l’Intérieur et de la sécurité. Les forces de sécurités savaient-elles qu’une telle attaque se planifiait contre le pays ? La réponse se trouve dans le témoignage de Vincent Toh Bi. « C’était un dimanche et je rendais visite à des amis dans la commune de Cocody. Vers 13h15, je reçois un coup de fil d’Amani Ipou Félicien, le directeur général de l’Administration du territoire. Il m’appelle pour me faire part d’un rapport urgent du préfet de Grand-Bassam : il y a des tirs et un mouvement de panique sur la plage principale de la ville balnéaire. Il s’agirait d’un braquage, ajoute-t-il. Deux minutes plus tard, je reçois des appels paniqués de plusieurs de mes sources. Je ne me fais plus aucune illusion : « ils » nous attaquent. Ce que nous redoutions depuis plusieurs mois est en train d’arriver. »
Se souvient l’ex Dir-cab du ministre Ham-Bak. Ce « ils » nous attaquent. Ce que nous redoutions depuis plusieurs mois est en train d’arriver. » Ne laisse aucun doute, c’est bien clair que les autorités ivoiriennes qu’une attaque se préparait contre le pays, mais peut-être le jour leur était inconnu. Mais suivons l’ex-Directeur de cabinet de feu Hamed Bakayoko. « Quelques heures plus tôt, comme à l’accoutumée, j’avais accompagné Hamed Bakayoko à l’aéroport. En sa qualité de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, c’est lui qui coordonne tout un ensemble d’opérations et d’exercices de simulation. Mon rôle à moi, en tant que directeur de cabinet, est d’alerter les ministres, une fois que lui-même a obtenu les instructions du chef de l’État. Ce jour-là, nous avons mis en pratique toutes les leçons que nous avions apprises. Conformément au protocole en vigueur, j’essaie de le joindre sur son téléphone, puis sur celui des agents de sécurité qui l’accompagnent. Sans succès. Mais il me rappelle quelques minutes plus tard. Il est déjà au courant : il vient d’échanger avec le président et a reçu toutes les consignes. Il se trouve à Kumasi au Ghana et a déjà annulé sa mission. Il est en route pour l’aéroport pour revenir à Abidjan. À son tour, il me transmet les instructions nécessaires. » Raconte Vincent Toh Bi. « Cinq jours avant cet assaut, nous avions procédé à une énième simulation d’attaque. Alassane Ouattara lui-même y avait participé – les conditions d’organisation de cet exercice avaient d’ailleurs été délibérément corsées. Nous étions théoriquement prêts. » Mais alors comment est-ce possible que l’attaque a pu avoir lieu malgré des dispositions apparemment prises ? Passons ! « J’envoie les messages convenus aux différentes personnes qui doivent gérer cette crise. Le premier à arriver au poste de commandement est Fidèle Sarassoro. Il est aujourd’hui le directeur de cabinet du chef de l’État, mais à l’époque c’était son assistant personnel. Il est rapidement suivi par Goudou Raymonde, la ministre de la Santé. En trente minutes, tous les ministres sont présents, à l’exception de ceux qui sont en déplacement hors d’Abidjan. Comme prévu par le protocole, tous les directeurs de cabinet desdits ministres sont également là. La crise peut être longue. En l’absence de Hamed Bakayoko,
c’est le ministre des Affaires étrangères, Mabri Toikeusse, qui coordonne les opérations. Il a le rang de ministre d’État et arrive en deuxième position dans l’ordre protocolaire gouvernemental. Je lui transmets au fur et à mesure tous les éléments que je reçois du terrain, qu’ils émanent de chancelleries, de sources officielles et même informelles. » Ce dimanche 13 mars 2016, fut un cauchemar pour les populations de Grand-Bassam, mais aussi pour toutes les vielles ivoiriennes qui craignaient l’effet domino. Vincent Toh bi se rappelle encore de ce vent de panique. « C’est le branle-bas de combat. France 24 a déjà mis en une qu’une attaque terroriste est en cours à Grand-Bassam. On est dimanche, il n’y a pas grand monde dans les rues. Les véhicules roulent à vive allure. Mais des rapports envoyés de l’intérieur du pays indiquent que c’est le chaos dans certaines villes. Comme il fallait s’y attendre, les appels téléphoniques ont du mal à aboutir. Tout le monde cherche à savoir ce qui se passe et appelle en même temps. Les rumeurs sont nombreuses, certains disent qu’il y a plus de 100 morts. C’est la panique, mais c’est une situation à laquelle nous avions appris à nous préparer. Bientôt, Marcel Amon-Tanoh, le directeur de cabinet du chef de l’État, fait son apparition dans la salle. « Le président de la République arrive », annonce-t-il. Quelques minutes plus tard, Alassane Ouattara entre dans la salle de commandement, l’air grave. Il est le commandant en chef des forces armées et prend donc la tête des opérations en ces instants difficiles. Il n’y a plus aucun bruit dans la salle. Mabri Toikeusse lui remet des documents qu’il consulte avec un calme étrange. Sa lecture achevée, il pose des questions. Seul le ministre des Affaires étrangères est habilité à lui répondre. Pendant ce temps, mon téléphone sonne avec insistance. C’est Hamed Bakayoko. Son avion vient d’atterrir. Je l’informe de la présence du président. Si mes souvenirs sont bons, moins de vingt minutes plus tard, il nous a rejoints. »
Hôpitaux débordés
« Du poste de commandement, nous suivons l’incessant ballet des ambulances et des sirènes. Tout le monde est en alerte maximale. Raymonde Goudou secoue tout le système de santé parce que les hôpitaux de Grand-Bassam sont débordés. Tous les CHU ou grands hôpitaux publics ou privés sont « réquisitionnés ». La ministre et ses équipes venaient de gérer avec succès la crise Ebola, de 2014 à 2016. Donc le système est pleinement opérationnel.
En plus de la prise en charge des blessés, tous les autres aspects de la crise sont à gérer : la réponse tactique ; la communication avec les ambassades qui ont perdu des ressortissants ; la prise en charge psychologique des témoins ; le début de l’enquête. Sans oublier l’organisation de la solidarité internationale, la coopération avec des agences spécialisées, la sécurisation de l’ensemble du territoire afin qu’un deuxième coup ne soit pas porté ailleurs… Il y a beaucoup à faire. Pendant ce temps, sur le terrain, les policiers et gendarmes de Grand-Bassam, qui sont les premiers à être arrivés sur les lieux, ont délimité un périmètre de sécurité. Le centre opérationnel interarmées coordonne la riposte. Tous les chefs des unités combattantes sont sur place. Quelques temps après le début de l’attaque, les forces spéciales ivoiriennes affrontent les jihadistes sur la plage. Armés de kalachnikov, ceux-ci ont pris d’assaut la plage et trois complexes hôteliers à proximité. L’affrontement est bref. Trois assaillants sont tués. »
Denzel Bereby
Akondanews.net
Source : Jeune Afrique