Cherté de la vie et Déguerpissement à Abidjan : Un Défi Social et Culturel

Lecteur Audio
Getting your Trinity Audio player ready...

Introduction

Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire, est aujourd’hui le théâtre d’une transformation rapide marquée par deux phénomènes étroitement liés : la cherté de la vie et les opérations de déguerpissement orchestrées par le Ministre-Gouverneur du district d’Abidjan, Cissé Bacongo. Ces actions, bien qu’initiées pour moderniser la ville et améliorer l’ordre urbain, ont des répercussions profondes sur les populations locales, en particulier sur les jeunes entrepreneurs informels et les communautés ébrié, premiers habitants de la région, qui voient leurs terres et leur patrimoine culturel menacés. Cette chronique explore les multiples dimensions de cette crise, ses impacts sociaux et culturels, et propose des pistes pour une gestion plus équilibrée de cette situation complexe.

I. La Cherté de la Vie à Abidjan : Un Fardeau pour les Populations

 

1. L’inflation et la baisse du pouvoir d’achat

Depuis plusieurs années, la cherté de la vie à Abidjan est devenue une réalité quotidienne pour de nombreux habitants. Les prix des denrées alimentaires, des services de base et des logements ont considérablement augmenté, dépassant les capacités financières de nombreux ménages. Cette situation est aggravée par l’inflation persistante, qui réduit le pouvoir d’achat des citoyens, en particulier ceux à revenu faible ou moyen.

Les familles abidjanaises, confrontées à cette hausse des prix, doivent revoir leurs priorités. Le panier de la ménagère, jadis suffisant pour nourrir une famille, ne permet plus aujourd’hui que de subvenir aux besoins les plus essentiels. Le riz, l’huile, les légumes, ainsi que d’autres produits de première nécessité, deviennent de plus en plus inaccessibles, forçant les ménages à réduire leur consommation alimentaire, avec des conséquences directes sur la santé et le bien-être.

2. Les conséquences sur la santé et l’éducation

La cherté de la vie affecte également l’accès aux services essentiels comme la santé et l’éducation. Les coûts des consultations médicales, des médicaments, et des soins hospitaliers augmentent, rendant difficile pour de nombreuses familles d’accéder à des soins de qualité. De même, les frais de scolarité dans les écoles privées, qui représentent une alternative aux écoles publiques souvent surchargées, deviennent prohibitifs, limitant ainsi l’accès à une éducation de qualité pour les enfants des familles modestes.

Cette situation a des conséquences à long terme, car elle crée un cercle vicieux de pauvreté où les familles, déjà fragilisées par la cherté de la vie, sont incapables d’investir dans la santé et l’éducation de leurs enfants, compromettant ainsi leur avenir.

II. Le Déguerpissement à Abidjan : Une Urbanisation Controversée

1. La politique de déguerpissement menée par Cissé Bacongo

Sous la direction de Cissé Bacongo, Ministre-Gouverneur du district d’Abidjan, des opérations de déguerpissement ont été intensifiées dans plusieurs quartiers de la ville. Ces actions visent à libérer les espaces occupés illégalement pour permettre le développement de nouvelles infrastructures modernes, comme des routes, des centres commerciaux, et des résidences de standing.

Cependant, ces opérations se déroulent souvent dans des conditions difficiles pour les populations concernées. Les déguerpissements sont parfois réalisés sans préavis suffisant, laissant les habitants dans une grande détresse. Les jeunes entrepreneurs informels, qui dépendent de petits commerces pour survivre, sont particulièrement touchés. Leurs échoppes et kiosques, souvent installés dans des zones considérées comme illégales, sont systématiquement détruits, privant ces jeunes de leurs moyens de subsistance.

2. La destruction des villages ébrié : Une perte culturelle inestimable

Un des aspects les plus controversés des déguerpissements concerne la destruction des villages ébrié. Les Ébrié, premiers habitants de la région d’Abidjan, ont vu leurs terres progressivement englouties par l’expansion urbaine. Aujourd’hui, leurs villages, qui conservent encore des traces de leur riche patrimoine culturel, sont menacés de disparition pour faire place à des projets immobiliers modernes.

La destruction de ces villages n’est pas seulement une question de logement ; elle représente une perte irréparable pour l’histoire et la culture du peuple ébrié. Les lieux de culte traditionnels, les cimetières ancestraux, et les sites historiques sont souvent rasés, effaçant des siècles de mémoire collective. Cette situation suscite un profond sentiment de perte et d’injustice parmi les Ébrié, qui voient leur identité culturelle et leur mode de vie traditionnels disparaître sous les coups de bulldozers.

3. Les conséquences sociales et économiques des déguerpissements

Les opérations de déguerpissement ont des répercussions sociales et économiques importantes. En détruisant les lieux de vie et d’activités économiques des populations vulnérables, ces actions exacerbent les inégalités sociales. Les habitants déplacés sont souvent contraints de migrer vers les périphéries d’Abidjan, où les infrastructures sont insuffisantes et les conditions de vie précaires.

Sur le plan économique, la destruction des petits commerces informels prive de nombreux jeunes de leurs moyens de subsistance. Ces jeunes, déjà confrontés à un marché de l’emploi saturé et à des opportunités limitées, se retrouvent sans emploi, aggravant ainsi les problèmes de pauvreté et d’exclusion sociale. Cette situation favorise également l’émergence de tensions sociales, alors que les jeunes marginalisés se sentent de plus en plus abandonnés par les autorités.

III. Les Villages Ébrié : Une Identité en Péril

1. Le rôle historique des Ébrié dans la fondation d’Abidjan

Les Ébrié occupent une place centrale dans l’histoire d’Abidjan. Leur présence sur ces terres remonte à plusieurs siècles, bien avant l’arrivée des colons et la création de la ville moderne. Ils ont joué un rôle crucial dans la fondation d’Abidjan, en cédant des portions importantes de leurs terres pour permettre le développement de la capitale économique du pays. Cependant, cette contribution historique est aujourd’hui menacée par la pression foncière et les politiques de déguerpissement.

La destruction des villages ébrié, en particulier ceux situés dans des zones stratégiques pour l’expansion urbaine, symbolise la marginalisation de cette communauté. Alors que leurs terres sont progressivement absorbées par la ville moderne, les Ébrié sont confrontés à un dilemme : comment préserver leur identité et leurs traditions tout en s’adaptant aux réalités d’une métropole en pleine expansion ?

2. La résistance des Ébrié face à la modernisation

Face à la menace de disparition de leurs villages, les Ébrié tentent de résister. Des initiatives communautaires voient le jour pour sensibiliser l’opinion publique à la préservation de leur patrimoine culturel. Cependant, ces efforts se heurtent à des obstacles majeurs, notamment l’absence de reconnaissance officielle de leurs droits fonciers et la pression économique exercée par les projets de développement urbain.

La question des terres ébrié soulève également des tensions au sein de la communauté. Alors que certains membres, notamment les plus jeunes, sont tentés par l’idée de vendre leurs terres pour profiter des bénéfices financiers à court terme, d’autres, plus attachés aux traditions, plaident pour la préservation du patrimoine. Cette division interne risque d’affaiblir la résistance ébrié face à la modernisation.

IV. Propositions pour une Gestion Équitable et Durable

La situation actuelle à Abidjan nécessite une réflexion approfondie et des actions concertées pour trouver des solutions durables et équitables. Voici quelques pistes pour une gestion plus équilibrée de la cherté de la vie et des déguerpissements.

1. Renforcer les politiques sociales pour atténuer la cherté de la vie

– Subventions pour les produits de première nécessité : Le gouvernement pourrait envisager de subventionner certains produits de base pour réduire leur coût et alléger le fardeau des ménages à faible revenu.

– Amélioration de l’accès aux services de santé et d’éducation : Des initiatives visant à rendre les services de santé et d’éducation plus accessibles et abordables pour les familles modestes contribueraient à réduire les inégalités et à renforcer le capital humain.

2. Promouvoir une urbanisation inclusive et respectueuse du patrimoine

– Consultation des communautés locales : Avant toute opération de déguerpissement, il est crucial de consulter les communautés concernées, y compris les Ébrié, pour s’assurer que leurs droits et leur patrimoine sont respectés.

– Développement de projets intégrés: Plutôt que de détruire les villages et les quartiers populaires, le gouvernement pourrait envisager des projets d’urbanisation qui intègrent ces communautés dans le développement de la ville, en préservant leurs traditions et leur identité culturelle.

3. Soutenir les jeunes entrepreneurs informels

– Création de zones d’activités économiques encadrées : Le gouvernement pourrait créer des zones dédiées aux petits entrepreneurs informels, où ils pourraient exercer leurs activités en toute légalité, avec un soutien financier et logistique.

– Programmes de formation et de microcrédit : Des programmes de formation professionnelle et de microcrédit pourraient être mis en place pour aider les jeunes à développer leurs compétences et à créer des entreprises viables.

4. Préserver et valoriser le patrimoine culturel ébrié

– Reconnaissance officielle des droits fonciers des Ébrié : Le gouvernement pourrait travailler à la reconnaissance officielle des droits fonciers des Ébrié, afin de protéger leurs terres contre la spéculation immobilière.

– Création de musées et de centres culturels : Pour préserver la mémoire collective des Ébrié, des musées et des centres culturels pourraient être créés dans les villages ébrié, mettant en valeur leur histoire et leur contribution à la construction d’Abidjan.

Conclusion

La crise actuelle à Abidjan, marquée par la cherté de la vie et les déguerpissements, représente un défi majeur pour les autorités et pour les populations locales. Sous la direction de Cissé Bacongo, le Ministre-Gouverneur du district d’Abidjan, des efforts sont déployés pour moderniser la ville et améliorer l’ordre urbain. Cependant, il est crucial que ces actions prennent en compte les besoins et les droits des populations les plus vulnérables, en particulier les jeunes entrepreneurs informels et les communautés ébrié. Une approche plus inclusive, respectueuse du patrimoine culturel et soucieuse des réalités économiques des habitants, est indispensable pour assurer un développement harmonieux et durable de la ville d’Abidjan.

ElloMarie, conscience africaine, analyste politique, contributeur à Akondanews

Akondanews.net

2/5 - (1 vote)

Laisser un commentaire

Traduire»