Cacao ivoirien : l’or brun au prix de la misère paysanne

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Le 2 juillet 2025, une nouvelle crise a éclaté au sein de la filière café-cacao en Côte d’Ivoire. Elle met en cause le Comité Technique chargé de piloter la mise en place de l’interprofession, accusé de partialité, de manipulation des données et de favoritisme en faveur d’une organisation récemment créée, l’ONPCC-CI. Les producteurs dénoncent un processus opaque, entaché d’irrégularités, et appellent à la démission immédiate du Comité. Cette situation révèle les tensions persistantes entre les acteurs du secteur et l’autorité de tutelle, incarnée par le Conseil du Café-Cacao (CCC) et le ministère de l’Agriculture.

Mais cette crise n’est que la partie visible d’un mal plus profond, ancré dans l’histoire de la production cacaoyère ivoirienne : l’exploitation systémique des producteurs, malgré leur rôle fondamental dans l’économie nationale.

II. Bref historique de la production du cacao en Côte d’Ivoire

La culture du cacao en Côte d’Ivoire remonte à la période coloniale, mais elle a pris une ampleur considérable à partir des années 1960, après l’indépendance du pays. Sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny, le cacao devient un pilier de l’économie nationale, représentant jusqu’à 40 % des recettes d’exportation.

Le modèle mis en place est basé sur une agriculture paysanne extensive, avec une forte mobilisation de la main-d’œuvre familiale et une absence de mécanisation. Les paysans, souvent sans titres fonciers, développent les plantations en forêt, contribuant à une déforestation massive mais générant aussi une production exponentielle. La Côte d’Ivoire devient ainsi le premier producteur mondial de cacao, assurant plus de 40 % de l’offre mondiale.

Cependant, cette position dominante n’a jamais été synonyme de prospérité pour les producteurs.

III. La souffrance silencieuse des paysans cacaoyers

Les producteurs ivoiriens vivent dans des conditions précaires depuis des décennies. Trois problématiques majeures caractérisent leur quotidien :
1. Prix d’achat dérisoires et instables
Les prix garantis par le CCC sont souvent inférieurs aux coûts de production. Les producteurs sont à la merci des fluctuations des cours mondiaux, des spéculateurs et des multinationales. Malgré les promesses de “prix planchers”, le revenu annuel moyen d’un planteur reste autour de 500 à 700 euros, pour un travail pénible, permanent et non mécanisé.
2. Faible représentation et manque de pouvoir
Le producteur ivoirien n’a presque jamais eu son mot à dire dans les décisions stratégiques qui le concernent. Les interprofessions sont souvent monopolisées par des élites ou des organisations peu représentatives, comme l’illustre la crise actuelle autour de l’ONPCC-CI. Les tentatives de structuration démocratique sont régulièrement sabotées ou instrumentalisées.
3. Conditions de vie indignes
L’accès à l’éducation, aux soins de santé, à l’eau potable ou à l’électricité reste très limité dans les zones de production cacaoyère. Beaucoup de producteurs vivent dans des campements sans infrastructures de base, bien que leur labeur génère des milliards pour le pays et les industries du chocolat à l’étranger.

IV. Une exploitation toujours d’actualité

La crise de 2025 remet en lumière une problématique persistante : le paradoxe entre la richesse produite et la misère des producteurs. Plus de 60 ans après l’indépendance, le paysan cacaoyère reste le dernier maillon d’une chaîne de valeur dont il ne contrôle ni les règles ni les bénéfices.

Cette exploitation prend aujourd’hui des formes modernes :
• Manipulation institutionnelle : comme le montre la tentative de verrouillage de l’interprofession par une seule organisation.
• Mainmise des multinationales : qui dictent les prix via des contrats d’achat anticipé (forward sales) et limitent la marge de manœuvre de l’État ivoirien.
• Manque de réformes structurelles : l’absence d’un véritable soutien à l’agriculture familiale, à l’agro-industrialisation locale, à la transformation du cacao sur place.

Le Comité Technique mis en cause illustre l’instrumentalisation des institutions au détriment d’une vraie démocratie agricole. En refusant la transparence, en excluant des organisations représentatives, en falsifiant potentiellement les données, ce Comité perpétue un système inégalitaire hérité du passé.

V. Pour une refondation de la filière

Face à cette situation, plusieurs pistes s’imposent :
1. Revoir les critères de représentativité des organisations agricoles en tenant compte de la réalité du terrain et de la diversité des structures existantes.
2. Garantir l’indépendance des organes de gestion de la filière cacao, avec un encadrement par la société civile, des observateurs indépendants et des syndicats de base.
3. Instaurer une gouvernance partagée, où les décisions se prennent avec et pour les producteurs.
4. Investir dans la transformation locale pour capter davantage de valeur ajoutée et sortir du cycle de dépendance à l’exportation brute.

Les producteurs de cacao méritent bien plus que des promesses. Ils méritent une reconnaissance réelle, une redistribution équitable de la richesse qu’ils produisent, et une place centrale dans les instances qui régulent leur activité. Tant que la gouvernance agricole restera verrouillée et que les mécanismes d’exclusion seront tolérés, la Côte d’Ivoire ne pourra prétendre à une filière durable, juste et souveraine.

Kakaboara, correspondant à Abidjan

Akondanews.net

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