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L’élection des présidents de commissions parlementaires au Bundestag est habituellement un moment discret de la vie parlementaire. Mais cette fois-ci, l’issue a marqué un tournant politique. Les six candidats de l’AfD pour des commissions stratégiques – finances, affaires intérieures, affaires sociales, justice, budget et pétitions – ont tous été rejetés. Un revers qui dépasse le simple cadre institutionnel et soulève une question centrale : jusqu’où une démocratie doit-elle tolérer en son sein des forces qui contestent ses fondements ?
Plus qu’un vote, un choix de société
Les commissions parlementaires sont les véritables moteurs du travail législatif. On y prépare les lois, on y auditionne des experts, on y discute les amendements. Le rôle du président y est crucial : fixer l’ordre du jour, organiser les débats, représenter le groupe de travail à l’extérieur.
Refuser ces responsabilités à l’AfD – alors même qu’elle est la première force d’opposition – traduit la volonté d’une majorité de députés de ne pas confier des leviers institutionnels à une formation dont le comportement passé a montré des tendances obstruantes, polémiques et ouvertement hostiles à l’ordre démocratique.
Le droit et la pratique parlementaire
En droit, aucune formation n’a un droit automatique à ces postes. La tradition parlementaire veut que la principale force d’opposition obtienne certaines présidences, mais le vote reste libre. Le Tribunal constitutionnel fédéral a rappelé en 2024 que proposer un candidat ne garantit pas son élection.
L’Allemagne évolue ainsi sur une ligne délicate : respecter l’équilibre démocratique tout en protégeant le Parlement d’un usage détourné de ses mécanismes par ceux qui rejettent ses principes.
L’histoire comme boussole : la leçon de Weimar
Pour comprendre cette fermeté, il faut revenir aux années 1920-1930. Durant la République de Weimar, les partis antidémocratiques – en particulier les nationaux-socialistes – avaient progressivement utilisé les institutions de l’intérieur pour les affaiblir. Élus légalement, ils se sont servis des mécanismes démocratiques pour miner la démocratie jusqu’à sa chute.
Cette mémoire historique explique la vigilance actuelle. L’idée de la Wehrhafte Demokratie (« démocratie capable de se défendre »), adoptée après 1949 dans la Loi fondamentale, repose sur un principe clair : la démocratie n’est pas condamnée à tolérer ceux qui veulent l’abolir. Elle peut restreindre, voire interdire, les partis qui menacent son existence.
Ainsi, la décision du Bundestag de bloquer l’accès de l’AfD aux présidences de commission n’est pas une rupture, mais l’application d’un réflexe institutionnel façonné par l’histoire allemande : ne pas répéter les erreurs de Weimar.
Un débat qui dépasse l’Allemagne
Partout en Europe, les démocraties s’interrogent sur la gestion des forces d’extrême droite :
• En France, le Rassemblement national a obtenu des postes institutionnels, mais reste surveillé et tenu à distance du pouvoir exécutif.
• En Italie, Fratelli d’Italia est devenu central dans les institutions avec Giorgia Meloni, illustrant une stratégie d’intégration qui a conduit à une normalisation.
• En Espagne, Vox participe à des exécutifs régionaux mais est tenu à l’écart du pouvoir central.
• En Autriche, le FPÖ a déjà exercé le pouvoir fédéral, non sans provoquer de fortes tensions sur la stabilité démocratique.
L’Allemagne, au contraire, assume un modèle distinct : non pas intégrer l’extrême droite dans les institutions, mais en limiter strictement l’accès, au nom d’une conception défensive de la démocratie.
Entre risque de victimisation et nécessité de protection
Les critiques estiment que cette exclusion nourrit le discours victimaire de l’AfD, qui se présente déjà comme persécutée par « l’establishment ». Mais ses opposants rappellent que, lorsqu’elle a obtenu des responsabilités (comme dans certains parlements régionaux), l’AfD s’est servie de ces positions pour bloquer, saboter et diffuser une rhétorique de haine.
C’est précisément pour éviter que l’histoire ne bégaie que le Bundestag a choisi la fermeté.
La société civile en soutien
L’issue du vote doit beaucoup à la pression de la société civile. Des campagnes menées par des organisations citoyennes ont contribué à rappeler aux parlementaires leur responsabilité. Cela démontre que la défense de la démocratie ne se joue pas seulement dans les hémicycles, mais aussi dans la mobilisation populaire.
Une démocratie consciente de ses fragilités
L’échec de l’AfD n’est donc pas une simple péripétie parlementaire. Il s’inscrit dans une continuité historique : l’Allemagne a retenu la leçon de Weimar et entend éviter que ses institutions soient utilisées contre elles-mêmes.
La démocratie allemande reste ouverte et pluraliste, mais elle sait se protéger. Le Bundestag, en refusant de céder à l’AfD, envoie un message clair à l’Europe entière : la démocratie ne se contente pas de vivre par ses règles – elle survit aussi par sa capacité à se défendre.
La rédaction
Akondanews.net