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Le 12 juin 2025, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), bras technique des Nations unies en matière de contrôle nucléaire, a adopté une nouvelle résolution dénonçant la non-conformité de l’Iran à ses obligations internationales de non-prolifération. Cet acte n’aurait rien d’inhabituel dans les arcanes diplomatiques de Vienne si trois pays n’avaient décidé de briser le consensus occidental : la Russie, la Chine… et le Burkina Faso.
Cette opposition inattendue du Burkina Faso aux côtés des deux puissances majeures que sont la Chine et la Russie soulève des questions fondamentales sur l’évolution de la géopolitique mondiale, l’architecture de la gouvernance nucléaire internationale, et le rôle de nouveaux États africains dans les dynamiques multipolaires en construction.
Une résolution symptomatique du déséquilibre normatif
L’AIEA reproche à l’Iran de ne pas se conformer à ses engagements issus du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Si la surveillance des activités nucléaires est censée garantir un usage strictement civil de l’uranium enrichi, plusieurs observateurs dénoncent depuis des années un traitement inégal entre les États.
Les puissances nucléaires officielles (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) ne sont pas soumises aux mêmes obligations ni au même niveau de contrôle que les autres pays signataires du TNP. De surcroît, des États non signataires comme Israël — soupçonné de posséder un arsenal nucléaire non déclaré — ne font l’objet d’aucune sanction ou inspection intrusive.
Dans ce contexte, la résolution du 12 juin s’apparente pour certains à un acte politique davantage qu’à une mesure technique, ciblant un pays déjà fragilisé par les sanctions occidentales et les pressions régionales.
Le soutien de la Russie et de la Chine : une constante stratégique
Que la Russie et la Chine votent contre la résolution n’est pas une surprise. Depuis plusieurs années, les deux pays défendent une lecture multipolaire du droit international, contestant la domination normative de l’Occident sur des dossiers aussi sensibles que la souveraineté technologique, le nucléaire civil, ou les sanctions extrajudiciaires.
Moscou entretient une coopération stratégique avec Téhéran, notamment dans le domaine de la défense et de l’énergie. Pékin, de son côté, voit dans l’Iran un maillon central de sa stratégie d’expansion économique en Asie de l’Ouest, dans le cadre des « Nouvelles Routes de la Soie ». S’opposer à la résolution de l’AIEA revient, pour ces deux géants, à affirmer leur propre légitimité à définir les règles du jeu international.
Le vote du Burkina Faso : une rupture symbolique
Mais c’est le Burkina Faso qui suscite le plus d’interrogations. Pourquoi ce petit pays sahélien, longtemps perçu comme marginal dans les affaires nucléaires internationales, a-t-il pris la décision de s’opposer à une résolution soutenue par les puissances occidentales ?
La réponse tient sans doute à un repositionnement profond de la diplomatie burkinabè. Depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré en 2022, Ouagadougou multiplie les signes de rupture avec l’ordre international établi : retrait progressif des structures de coopération dominées par l’Occident, critique des institutions internationales jugées néocoloniales, renforcement des partenariats militaires et économiques avec Moscou, Pékin, et d’autres États « insurgés » contre l’hégémonie occidentale.
Ce vote contre la résolution de l’AIEA est donc un acte diplomatique de cohérence : il incarne une solidarité politique avec les pays du Sud global et reflète une vision du monde où la souveraineté technologique et l’indépendance nationale priment sur la conformité aux règles asymétriques de l’ordre libéral.
Une voix africaine dans une instance technique
Il convient également de souligner la portée symbolique de ce vote pour l’Afrique. En s’opposant frontalement à une résolution occidentale dans une enceinte aussi technique que l’AIEA, le Burkina Faso signale que les pays africains ne sont plus cantonnés au rôle de suiveurs ou d’abstentionnistes.
Jusqu’ici, les diplomaties africaines adoptaient souvent un comportement de prudence ou d’alignement sur les positions dominantes dans les forums multilatéraux. Mais ce vote montre qu’un pays africain peut désormais prendre position de manière souveraine, même sur des sujets éloignés de ses préoccupations immédiates.
Ce tournant est à relier à une tendance plus large : la montée en puissance de l’Alliance des États du Sahel (AES), le rejet de la Françafrique, et l’émergence d’un nationalisme panafricain revendiquant une voix autonome sur la scène internationale.
L’Iran : symbole d’un bras de fer global
Au cœur de cette affaire, l’Iran joue un rôle de catalyseur. Loin d’être seulement une question de centrifugeuses ou de niveaux d’enrichissement, le nucléaire iranien cristallise un conflit global sur la souveraineté, la légitimité, et l’universalité des normes internationales.
Les défenseurs de l’Iran — y compris certains analystes non alignés — font valoir que Téhéran respecte son droit souverain à développer un programme nucléaire civil, au même titre que n’importe quel autre État. Ils pointent du doigt les incohérences du système de contrôle international, qui cible certains pays pour leurs ambitions technologiques tout en fermant les yeux sur les arsenaux clandestins de ses alliés.
Dans ce contexte, la résolution du 12 juin s’inscrit dans un affrontement plus large entre deux visions du monde : d’un côté, celle d’un ordre international fondé sur des institutions régulées mais à légitimité inégale ; de l’autre, celle d’un nouvel ordre multipolaire, où les puissances émergentes et les États non-alignés exigent la reconnaissance de leur autonomie.
Le vote du Burkina Faso aux côtés de la Russie et de la Chine ne modifie pas seulement la dynamique du dossier iranien. Il témoigne d’une mutation en profondeur des équilibres diplomatiques mondiaux, où les pays du Sud ne veulent plus simplement être des objets de décisions prises ailleurs, mais des sujets actifs du droit international.
L’AIEA devra, à l’avenir, prendre en compte cette nouvelle réalité : son autorité ne pourra être crédible que si elle se montre impartiale, équitable, et respectueuse des souverainetés nationales. À défaut, ses résolutions risquent d’apparaître comme des instruments de domination plutôt que des garants de sécurité collective.
En s’opposant à une résolution contre l’Iran, le Burkina Faso n’a pas simplement exprimé un vote. Il a affirmé une vision. Une vision dans laquelle la souveraineté des États, la contestation des normes imposées, et la solidarité avec les peuples non-alignés deviennent les piliers d’une diplomatie affranchie des tutelles anciennes. Ce geste, aussi discret soit-il dans le tumulte médiatique mondial, mérite d’être salué comme un acte de courage diplomatique. Il annonce peut-être le début d’une nouvelle ère, où les petites nations osent dire « non » — et où ce « non » commence à peser dans la balance du monde.
Claude N’da Gbocho, DP d’AkondaNews, 12 juin 2025
Akondanews.net