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Dans cette deuxième partie de notre entretien, nous aborderons des questions cruciales liées au retard dans la prestation de serment du général Tchiani, chef du nouveau régime nigérien. Professeur Halidou partagera son point de vue sur les raisons possibles de ce retard et examinera les implications que cela pourrait avoir pour le gouvernement nigérien. De plus, nous explorerons la perception de la diaspora nigérienne et africaine sur le régime du général Tchiani depuis son accession au pouvoir. Enfin, professeur Halidou donnera son opinion sur la collaboration entre ce nouveau régime militaire nigérien, les États-Unis et le régime totalitaire togolais pour expulser l’armée française du Niger, ainsi que sur la visite de Soro Guillaume à Niamey et son analyse géopolitique.
Interviews realisée par Claude Gbocho
Aknews: Raisons pour lesquelles le général Tchiani n’a pas encore prêté serment :
– Pourquoi le général Tchiani n’a-t-il pas encore prêté serment, selon vous ?À vrai dire, je ne sais pas. Mais au Niger, on n’a pas l’habitude des prestations de serment avec les régimes militaires. Cependant, il y a aussi diverses rumeurs à ce sujet qui me semblent farfelues et auxquelles je ne crois pas. Personnellement, je pense qu’au départ, compte tenu de la menace d’intervention de la CEDEAO, organiser un tel événement aurait été problématique. Maintenant que l’intervention militaire n’est plus d’actualité, je ne peux pas expliquer avec certitude les raisons. Peut-être que la menace sécuritaire persiste, et comme ce sont des militaires, ils ne divulgueraient peut-être pas de telles informations pour ne pas inquiéter la population. Ou bien, c’est simplement pour rester fidèle à la tradition militaire nigérienne.
Aknews: Comparé aux membres de gouvernements des autres pays de l’AES, ceux du Niger sont moins dynamiques sur le plan communication. Est ce que le Premier Ministre nigérien n’est pas trop surveillé par les militaires de sorte qu’il n’ose pas s’exprimer librement?
Non, je ne crois pas (rire). Mais votre constat est en partie vrai. Cependant, je pense plutôt que cela relève d’une différence de caractère. Les Nigériens sont souvent de nature réservée, et ceux qui sont loquaces comme Mohamed Bazoum ou Hassoumi Massaoudou ont souvent tendance à nous embarrasser à l’international (rire). Rarement avons-nous des personnalités qui allient audace, loquacité, et éloquence comme les Maiga et Diop du Mali ou Traoré du Burkina. Vu la situation exceptionnelle actuelle du Niger, il vaut mieux avoir des gens réservés. D’ailleurs, même au Mali, ce ne sont pas tous les leaders qui ont ce caractère loquace et éloquent que vous décrivez ; Goita lui-même est très réservé, mais cela ne l’empêche pas de bien diriger son pays. La gestion d’un pays est un travail collectif, comme dans une équipe de foot : tous les joueurs ne peuvent être uniquement des attaquants, des défenseurs, ou des gardiens de but, chacun a sa tâche bien déterminée dans l’équipe, et c’est le résultat final qui compte.
Aknews: Perception de la diaspora nigérienne et africaine sur le régime du général Tchiani depuis sa prise de pouvoir :
– Comment perçoivent la diaspora africaine en général et nigérienne en particulier l’administration du Général Tchiani depuis son accession au pouvoir ?Vous savez, en politique, c’est le peuple qui détient la vérité. Ainsi, je dirais que c’est le même engouement qui prévaut dans le pays et se reflète également dans la diaspora, même dans la diaspora africaine lointaine. J’étais au Brésil quand le coup d’État a eu lieu au Niger, et les gens là-bas ne comprenaient pas qu’on célèbre et soutienne un coup d’État. Mais quand on leur explique les dessous, ils sont épatés et trouvent cela intéressant. Les peuples du monde entier sont toujours solidaires face à l’injustice sociale et à la vassalité impérialiste des dirigeants.
Une collègue de la Brazilian Air Force Academy m’avait même demandé de faire une conférence à ses étudiants militaires sur le sujet, tellement l’intérêt pour ce qui se passe en Afrique est grand là-bas. Le mois dernier à Paris, une dame d’origine africaine que je ne connaissais pas auparavant m’avait demandé de quel pays je suis originaire. Quand je lui ai dit que je suis du Niger, elle a presque sauté de joie sur moi en disant « on est avec vous! ». Donc, en gros, la diaspora nigérienne, tout comme la diaspora africaine en général, suit de très près ce qui se passe au Niger, et je crois que dans l’ensemble, les gens sont satisfaits, mais attendent encore beaucoup du CNSP. Parfois, j’ai même l’impression que ce régime est sous une pression incroyable.
Mais dans l’ensemble, je pense que le CNSP fait la fierté de la diaspora et de nombreux Africains, même de la diaspora lointaine (Brésil…). Je crois que même le général Tchiani n’en revient pas quand il voit toute cette sympathie. Il est même devenu plus populaire que tous les présidents que le Niger ait connus jusqu’ici. Et j’espère qu’il usera de sa popularité en bon escient.
Aknews: Opinion sur la sollicitation du régime totalitaire togolais et des forces armées américaines pour expulser l’armée française du Niger :
– Que pensez-vous de ceux qui critiquent la coopération entre le régime nigérien, les États Unis, et le régime totalitaire togolais pour expulser, l’armée française ?Je comprends très bien ces critiques, qui ont une légitimité compte tenu de l’histoire politique trouble de ces deux pays, même si c’est à des degrés différents. Sincèrement, je ne connais pas très bien les dessous de cette collaboration. Cependant, je peux m’imaginer que le nouveau régime nigérien soit indulgent envers les USA selon le positionnement de ce pays vis-à-vis des intérêts nigériens. Mais il est vrai que les USA ont les mêmes connotations impérialistes, expansionnistes et néocolonialistes que la France. Il n’y a pas de raison tangible de chasser la France et de garder les USA, et l’attitude des autorités nigériennes pourrait prêter à une incohérence, surtout quand on sait que la France et les USA sont des alliés de longue date. Les USA, à travers la CIA, ont travaillé en étroite collaboration avec la France ou d’autres alliés pour faire assassiner des leaders progressistes africains comme Sylvanus Olympio, Patrice Lumumba… Ces aspects historiques concernant les USA ne sont peut-être pas bien connus du peuple nigérien comparé à la France, avec laquelle nous avons une histoire commune, même si elle a été douloureuse. Mais je crois que les actuelles autorités nigériennes sont conscientes de ces ambiguïtés de tous ces pays occidentaux. Ils sont bien avertis en conséquence et savent bien ce qu’ils sont en train de faire. Il faut laisser les choses au temps, et on verra bien comment les choses vont évoluer.
Quant à la collaboration avec le Togo, je me suis fait sévèrement critiquer récemment par l’opposition togolaise lors d’un débat à ce sujet sur la chaîne Sibikan Média, mais je réaffirme que c’est un faux procès qui est en train d’être fait au Niger à travers ces critiques. En réalité, rien n’a changé dans les relations bilatérales nigéro-togolaises. Donc, je ne comprends pas pourquoi les sœurs et frères togolais de l’opposition ne se sont pas plaints de ces relations auparavant. Il n’est pas juste de critiquer et de s’acharner contre le nouveau régime du Niger maintenant qu’il y a plusieurs aspects en jeu pour le pays dans ces moments difficiles, notamment l’accès au port qu’il faut préserver et la médiation togolaise dans le contentieux qui oppose le Niger à la CEDEAO. Il faut noter que les mêmes médiations togolaises ont apporté leurs fruits dans le cas du Mali. Le Mali avait bénéficié des médiations togolaises à son époque, sans susciter d’indignation ou de critiques. Pourquoi, dans le cas du Niger, cela serait vu autrement? Le Togo est un pays frère. S’il tend la main au Niger dans des moments difficiles, le Niger ne va pas refuser. Un dicton africain ne dit-il pas que c’est en période de difficultés qu’on reconnaît ses vrais amis? Mais je comprends bien la frustration des opposants togolais.
Aknews: Quelle interprétation géopolitique faites vous sur la visite de Soro Guillaume à Niamey?
Bon, je ne crois pas que la visite de Soro au Niger était d’une importance capitale sur le plan géopolitique. Peut-être juste pour narguer le président Alassane Dramane Ouattara, oui. Il s’est tellement affiché hostile au régime militaire nigérien que je peux bien imaginer que, pour l’agacer ou lui rendre la pareille comme on le dit bien en Afrique, le CNSP ait choisi d’accueillir Soro à Niamey. Car Soro reste l’ennemi numéro 1 d’ADO, et vu l’acharnement de ce dernier contre le coup d’État au Niger et les sanctions de la CEDEAO qu’il défendait si ardemment, il est tout à fait compréhensible que le CNSP reçoive Soro comme pour dire à ADO «Tu cherches Soro? Il est ici chez nous. Si tu es ‘garçon’, viens le chercher avec ton bataillon on va voir» (rire). Je crois que ça a dû lui dérober quelques nuits de sommeil, comme il l’avait aussi fait au peuple nigérien à travers la CEDEAO pendant un moment.
Aknews: Vous avez connu et côtoyé les 3 derniers présidents nigériens qui se sont succédé, à savoir le président Tandja, le président Issoufou et le président Bazoum, lequel parmi eux vous a le plus impressionné en tant que personnalité et en tant que politique?Ça, c’est une question difficile! Ce sont des personnalités totalement différentes, et puis je les ai connus et côtoyés tous dans des cadres totalement différents aussi, ce qui rend une comparaison difficile. Je dirai plutôt que chacun m’a impressionné à sa façon :
Le président Tandja, je ne l’ai connu qu’après qu’il ait quitté le pouvoir. J’avais des rapports plutôt paternels avec lui. Au départ, il m’appelait «Madame», puis il est passé à «ma fille», puis un jour il m’a demandé mon prénom. Quand je le lui ai dit, il m’a dit qu’une de ses filles avait le même prénom et qu’on avait presque le même âge. Je crois que depuis ce jour-là, il me considérait comme sa propre fille. On n’a pratiquement jamais parlé de politique, ou très peu. Il était dégoûté de la politique et n’en voulait plus parler. Une seule fois, je crois, on avait un peu échangé sur le président Koutché et le président Buhari du Nigéria. Mais je peux vous dire qu’il était un bon leader qui avait de bonnes ambitions pour le Niger, mais qui avait été mal compris par les nigériens, moi y compris à l’époque. Peut-être qu’il était aussi mal entouré. Mais avec son aide de camp, jusqu’à aujourd’hui, on s’échange presque quotidiennement.
-Issoufou était en réalité le seul que j’ai vraiment connu pendant qu’il était président, et nos rapports étaient purement professionnels dans le cadre de mon travail à l’Ambassade ici à Berlin. À Niamey, j’avais certes travaillé pour une cellule de la présidence, mais je ne l’ai presque pas côtoyé de près comme c’était le cas ici en Allemagne. Ah, j’oubliais, il y avait aussi le fameux coup de téléphone avec lui par l’intermédiaire du président Alpha Condé de la Guinée, qui avait représenté l’Afrique en tant que président de l’Union Africaine lors du G20 de 2017 à Hambourg. Je crois que vous étiez à la conférence aussi ce jour-là… Bref, Issoufou, si je dois le décrire, je dirai que c’est le vrai prince de Machiavel. Ceux de vos lecteurs qui ont lu Machiavel comprendront. Ceux qui ne l’ont pas encore lu, c’est peut-être le moment de le faire. C’est un bon bouquin pour comprendre la politique, le pouvoir et nos dirigeants.
-Bazoum, quant à lui, je pourrais vous raconter tout un livre sur lui. Je l’avais connu avant même qu’il devienne président ou ministre, depuis qu’il était encore député dans l’opposition. On parlait de tout et de rien. Mais en résumé, je dirai que c’est un vrai ami, le genre sur qui on peut compter en amitié. Dire le contraire maintenant qu’il est dans des pétrins serait mentir. J’avoue quand même que nos rapports se sont détériorés depuis qu’il est devenu président. Mais c’est quelqu’un de très ouvert, modeste. Il est à la fois très respectueux et plein d’humour. C’est quelqu’un d’extrêmement intelligent qu’il ne le paraît. Il a un caractère impulsif certes, mais c’est quelqu’un de très affectueux, sincère et direct. En politique, on n’était pas toujours d’accord sur beaucoup de choses, mais il appréciait et respectait mes avis et s’en servait des fois. Il me prenait pour une idéaliste utopiste et se considérait comme un réaliste par rapport à moi.
Aknews: Quel effet cela vous fait de le savoir en résidence surveillé depuis la chute de son régime ?Il est vrai que ce n’est pas réjouissant de le savoir en résidence surveillée, privé de toute liberté de mouvement. Cependant, j’ai confiance en le CNSP. Ce sont des militaires responsables, loin d’être des dictateurs sanguinaires. S’ils ont jugé nécessaire de le maintenir en détention, c’est qu’il doit y avoir une raison valable. Je comprends que la sécurité nationale ne peut pas être compromise pour la liberté individuelle. C’est regrettable pour lui, sa famille et leurs proches que les choses se passent ainsi. J’espère toutefois qu’une solution sera trouvée prochainement.
Ce sentiment est à peu près le même à l’égard du frère Oumar Mariko du Mali, avec qui nous avons organisé plusieurs activités panafricanistes dans les années antérieures. Mais je suis convaincue que les autorités maliennes agissent dans l’intérêt général. Il n’est pas toujours facile de faire la part des choses entre les relations personnelles et la cause commune, mais je pense que la cause commune doit toujours prévaloir
Aknews: Quand vos relations étaient encore bonnes/meilleures, vous avez eu à le conseiller en politique?
Oui! Des fois c’était à travers des discussions que je lui donnais mon avis, d’autres fois c’était lui-même qui m’appelait pour demander mon avis sur telle ou telle chose ou sur telle ou telle personne. Je suis aussi de très près les actualités au Niger, et quand je vois des informations le concernant ou qui pourraient l’intéresser, je les lui balançais et lui donnais mon avis en même temps des fois. Mais il est aussi quelqu’un du genre «einzelgänger», ce n’est pas tout le temps qu’il écoute les conseils. Une fois, il avait fait un mauvais discours, je lui ai dit : à sa place, je limogerais le conseiller en communication qui lui a laissé tenir un tel discours et il m’avait répliqué qu’il n’a pas de conseiller en communication et qu’il n’en a jamais eu besoin.
Quand il est venu au pouvoir aussi, le connaissant très bien, j’ai très tôt senti sa dérive politique et j’étais convaincue qu’il ne roulait plus selon ses propres convictions. Bref, le Bazoum que vous connaissez ou que tout le monde connaît n’est pas le même Bazoum que moi j’ai connu. J’ai très tôt senti la différence, mais au même moment il m’évitait et moi, croyant que c’est le pouvoir qui lui prenait trop par la tête, alors j’ai pris mes distances un moment envers lui. Je pense qu’il voulait tellement diriger le Niger qu’il s’est peut-être donné à des alliances de contre-nature. Avec le recul, je crois même qu’il était prisonnier de son propre cercle de pouvoir. Vous savez, le pouvoir est parfois dangereux si on n’y fait pas attention.
Fin de la deuxième partie(suite):Dans la troisième et dernière partie de l’interview, Professeure Halidou nous offre un éclairage approfondi sur les relations entre Issoufou et Bazoum, la complexité des influences qui auraient pesé sur Bazoum, ainsi que les défis auxquels le nouveau régime militaire du Niger est confronté, notamment au niveau international.
Les suggestions de Professeure Halidou sur la voie à suivre pour le succès du nouveau régime militaire, mettant l’accent sur la nécessité d’une révolution, d’une souveraineté affirmée, et d’une coopération économique régionale, apportent des perspectives intéressantes, tout comme son conseil au Général Tchiani.
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