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L’interview de Jean-Marie Bockel, représentant spécial du Président Macron, sur la présence des bases militaires françaises en Afrique, expose des enjeux cruciaux liés à la souveraineté, aux dynamiques néocoloniales, et à la réciprocité dans les relations internationales. Voici une analyse critique des propos et des réalités qu’ils sous-tendent.
1. Le contraste historique : la position française sur les bases étrangères
Une question fondamentale ressort : pourquoi la France, qui a refusé l’installation de bases militaires américaines sur son sol sous la présidence du général de Gaulle, justifie-t-elle sa présence militaire durable en Afrique ? En 1966, de Gaulle a affirmé la souveraineté française en retirant le pays du commandement intégré de l’OTAN et en mettant fin à la présence permanente de troupes étrangères sur son territoire. Cette position était un acte fort de souveraineté, mais elle contraste fortement avec la politique actuelle en Afrique, où la présence de bases françaises reste souvent imposée ou acceptée par défaut.
Ce double standard nourrit des critiques sur la persistance d’une vision néocoloniale, selon laquelle la souveraineté des nations africaines serait secondaire par rapport aux intérêts stratégiques français.
2. L’absence de consultation populaire et l’autonomie des dirigeants africains
Jean-Marie Bockel affirme qu’aucun chef d’État des pays concernés (Côte d’Ivoire, Gabon, Tchad, Sénégal) n’a explicitement demandé le départ des bases françaises. Cependant, cette affirmation mérite d’être interrogée. Dans de nombreux cas, les dirigeants africains sont perçus comme limités dans leur capacité à exprimer une opposition claire à la France, en raison de liens historiques, d’accords de coopération souvent opaques, et de dépendances économiques et sécuritaires.
L’absence de référendums ou de consultations populaires sur la présence de bases militaires pose un problème majeur. Une telle décision, ayant des implications sur la souveraineté nationale, devrait faire l’objet d’un débat public transparent et démocratique. L’argument de Bockel selon lequel les dirigeants africains approuvent ces bases ne peut être considéré comme suffisant pour légitimer cette présence, particulièrement dans un contexte où les populations expriment un rejet croissant de l’influence étrangère.
3. Une “reconfiguration” ambiguë : partenariat ou maintien du contrôle ?
Bockel met en avant un nouveau modèle de partenariat axé sur la qualité plutôt que sur la quantité des troupes déployées. Il insiste sur l’objectif de « co-construire » avec les pays africains, en mettant l’accent sur le renforcement des capacités souveraines. Cependant, ce discours masque plusieurs ambiguïtés :
•Une réduction apparente mais contrôlée : La réduction des effectifs (comme au 43e BIMA en Côte d’Ivoire) est présentée comme une preuve de respect pour les pays partenaires. Mais cette réduction reste sous le contrôle de la France, sans garantie de transfert complet de la souveraineté.
•La modernisation des forces locales : Bien que présentée comme un appui, cette aide à la modernisation pourrait perpétuer une dépendance des armées africaines vis-à-vis des équipements et de la logistique française.
Ainsi, le discours sur la « reconfiguration » semble davantage un effort pour adapter la présence militaire française aux nouvelles critiques qu’un véritable tournant vers une autonomie totale des pays concernés.
4. L’impact géopolitique et les tensions régionales
La France justifie souvent sa présence militaire en Afrique par la lutte contre le terrorisme et la stabilisation régionale. Cependant, les échecs récents au Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger) montrent les limites de cette stratégie. La présence militaire française est désormais perçue comme une source de tension, exacerbant parfois l’instabilité plutôt que de la résoudre. Dans ce contexte, le maintien de bases en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Gabon et au Sénégal pourrait aggraver le ressentiment populaire contre la France.
Par ailleurs, la spécificité de chaque pays, comme mentionnée par Bockel, illustre les défis d’une approche uniforme. Si le Tchad, par exemple, justifie une présence française en raison de sa position stratégique, les critiques sur l’absence de transparence et l’imposition de décisions non concertées restent valables.
5. Une souveraineté à géométrie variable
Le refus de la France de permettre l’installation de bases militaires américaines sur son territoire illustre une perception intransigeante de sa propre souveraineté. Pourtant, en Afrique, ce principe est largement ignoré. Cette contradiction alimente un sentiment d’injustice et de domination, particulièrement parmi les jeunesses africaines, qui demandent de plus en plus de ruptures avec les accords passés.
Si la France entend réellement bâtir des partenariats égaux, elle devrait non seulement permettre des débats nationaux ouverts sur ces questions, mais aussi se préparer à accepter les décisions populaires, y compris celles qui pourraient signifier un retrait total de ses troupes.
Conclusion : Vers une refonte nécessaire des relations franco-africaines
L’interview de Jean-Marie Bockel reflète une tentative de réadapter la présence militaire française en Afrique face à un contexte de rejet croissant. Cependant, elle ne répond pas aux critiques fondamentales sur la souveraineté et la légitimité de cette présence. La mise en œuvre de consultations populaires et la transparence sur les termes des accords de défense seraient des étapes cruciales pour établir une relation véritablement égalitaire.
En l’absence de telles mesures, le discours sur la « co-construction » risque de rester une façade pour maintenir une influence stratégique déguisée, perpétuant des tensions historiques et alimentant des sentiments anti-français dans la région.
ElloMarie, conscience africaine, analyste politique et contributeur à Akondanews.net