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C’est souvent dans les premiers gestes d’un pouvoir que se révèlent ses priorités, sa vision du monde, son rapport à l’humanité. Et en Allemagne, le tout nouveau chancelier Friedrich Merz n’a pas attendu longtemps pour marquer la sienne. Moins de 24 heures après son entrée en fonction, la première décision de son gouvernement vise les plus vulnérables : les demandeurs d’asile sans papiers.
Sous l’impulsion de son ministre de l’Intérieur Alexander Dobrindt, le gouvernement a ordonné à la police fédérale de refouler systématiquement les migrants irréguliers à la frontière, sauf « les groupes vulnérables », une catégorie floue qui inclurait les femmes enceintes et les enfants. En toile de fond, la fin officielle de la politique d’ouverture initiée en 2015, lorsque l’Allemagne de Merkel avait accueilli plus d’un million de réfugiés fuyant les guerres du Moyen-Orient.
Le symbole est fort. Il est brutal. Et il mérite qu’on s’y attarde, qu’on le décrypte, qu’on le questionne.
Quand la politique commence par l’exclusion
Quelle image un gouvernement donne-t-il de lui-même quand sa toute première loi concerne l’exclusion de personnes en détresse ? Et que signifie ce message pour les citoyens allemands, pour l’Europe, pour le monde ?
Peut-on prétendre incarner la loi, l’ordre et l’efficacité, quand on commence par fermer la porte sans débat ?
La mesure prétend réduire « l’immigration clandestine ». C’est un mot qui claque, qui rassure certains, qui stigmatise d’autres. Mais derrière cette expression technocratique, il y a des histoires humaines, des trajectoires de douleur, des destins fragiles qui, désormais, n’auront plus même le droit d’atteindre le seuil de la demande.
Qui décide qui est « vulnérable » ?
Le ministre Dobrindt évoque l’exemption pour les « groupes vulnérables ». Mais qui juge de cette vulnérabilité ? Sur quels critères ? Et à quel moment ?
Un homme seul, torturé dans son pays, est-il moins vulnérable qu’une femme enceinte ? Un adolescent sans parent ? Un dissident politique sans papier, arrivé à pied depuis le Soudan ?
La frontière peut-elle, en quelques minutes, trier des êtres humains à l’aune de leur souffrance ?
En laissant cette marge d’interprétation aux forces de police, le gouvernement fait glisser la responsabilité morale vers ceux qui appliquent. C’est un transfert éthique dangereux, qui rappelle d’autres époques où l’on obéissait sans toujours comprendre ce que l’on exécutait.
Un tournant européen ?
Cette décision allemande risque de faire des émules. En France, en Italie, en Autriche, en Hongrie, les leaders populistes et conservateurs ne manqueront pas de saluer ce « retour au réalisme ». On parlera de pragmatisme. De fermeté. Mais où est la frontière entre fermeté et rejet de l’autre ?
Et si l’Allemagne, longtemps bastion d’un humanisme européen, glisse vers un nationalisme froid, que reste-t-il de l’âme de l’Union ?
Une rupture assumée avec 2015
Il faut relire les mots du décret annulé. En 2015, l’Allemagne disait :
« Autoriser l’entrée de ressortissants de pays tiers sans documents légitimant leur séjour et sans présentation d’une demande d’asile. »
C’était un geste immense, imparfait certes, mais profondément politique au sens noble du terme : ouvrir malgré la peur, accueillir malgré le doute. En tournant le dos à cette époque, le gouvernement Merz tourne aussi le dos à une certaine idée de l’Europe : une terre de droit, de refuge et de responsabilité historique.
Les chiffres parlent-ils vraiment ?
Depuis octobre 2023, plus de 53 000 personnes ont été refoulées aux frontières allemandes. Ce chiffre impressionne, il alimente les fantasmes, les peurs, les gros titres.
Mais ces personnes sont-elles toutes des menaces ?
Sont-elles des « criminels infiltrés » comme certains discours l’insinuent ?
Ou sont-elles des pères, des mères, des jeunes qui fuient la faim, la guerre, le désespoir ?
Faut-il vraiment construire une politique publique sur des cas marginaux d’agression ou de délit attribués à des étrangers ? Ne serait-ce pas là une réponse sécuritaire à un problème humain ?
Et demain ?
Cette décision soulève un autre type de question :
Où cela s’arrête-t-il ?
Aujourd’hui, ce sont les demandeurs d’asile sans papiers.
Demain, est-ce qu’on refoulera ceux qui en ont, mais ne plaisent pas au régime ?
Est-ce qu’on refusera les visas étudiants aux Africains, aux Afghans, aux Syriens, par principe de précaution ?
La peur est une pente glissante. Et gouverner par la peur, c’est déjà renoncer à la liberté.
Quelle Allemagne voulons-nous ?
Il y a une autre question, plus intime, plus morale :
Quelle nation veut être l’Allemagne en 2025 ?
Celle qui protège, avec rigueur mais humanité ?
Ou celle qui commence son mandat par un tri entre vies acceptables et vies rejetées ?
Le choix est posé. Et il nous regarde tous, bien au-delà de Berlin.
Conclusion : résister à la tentation du repli
Un gouvernement se juge aussi à sa capacité à ne pas céder aux instincts les plus faciles. Oui, la migration est un défi. Oui, il faut des règles, des contrôles, des équilibres. Mais il faut surtout du discernement, de l’éthique, et de la mémoire.
L’Allemagne de Merz commence par un mur invisible. Il appartient aux citoyens, aux parlementaires, aux sociétés civiles de veiller à ce que ce mur ne devienne pas un mur de honte.
ElloMarie, conscience africaine, analyste politique et contributeur à Akondanews
Akondanews.net