Le 10 octobre 2025 marque l’ouverture officielle de la campagne présidentielle en Côte d’Ivoire.
Cette période cruciale, encadrée par la Commission Électorale Indépendante (CEI), voit les candidats en lice se déployer sur tout le territoire.
Mais depuis l’annonce de la participation du président sortant, Alassane Ouattara, un débat s’est enflammé : peut-il à la fois gouverner et faire campagne ?
Une partie de l’opposition affirme que, dès le début de la campagne, il perd sa qualité de chef de l’État et devient un candidat comme les autres.
Une thèse politiquement habile, mais juridiquement fragile.
Une interprétation militante de la Constitution
Selon le texte circulant sur les réseaux et signé de militants proches de l’opposition, la candidature d’Alassane Ouattara ouvrirait, à partir du 10 octobre, une « vacance de fait » du pouvoir exécutif.
Le chef de l’État, en entrant dans la compétition électorale, serait disqualifié pour continuer à exercer ses fonctions présidentielles, au nom du principe de neutralité de l’administration.
L’argument s’appuie notamment sur l’article 34 de la Constitution ivoirienne, qui fait du président de la République le « garant de la neutralité de l’administration ».
Dès lors, affirment ses détracteurs, comment un président-candidat pourrait-il continuer à diriger le gouvernement, nommer des responsables ou signer des décrets sans rompre cette neutralité ?
Mais cette lecture, séduisante pour l’opinion publique, confond la neutralité politique de l’administration avec la légalité institutionnelle du mandat présidentiel.
Le droit constitutionnel ne prévoit aucune vacance pendant la campagne
La Constitution ivoirienne de 2016 est claire :
« Le Président de la République demeure en fonction jusqu’à l’entrée en charge effective de son successeur » (article 55).
Autrement dit, le mandat présidentiel ne s’interrompt pas pendant la campagne électorale, même si le président est candidat à sa propre succession.
La vacance du pouvoir, prévue à l’article 56, ne peut être déclarée que dans trois cas précis : décès, démission ou empêchement définitif.
Et surtout, elle ne peut être constatée que par le Conseil constitutionnel, seul organe habilité à le faire.
Ainsi, aucun fondement juridique ne permet d’affirmer qu’Alassane Ouattara perd sa qualité de chef de l’État à partir du 10 octobre 2025.
Jusqu’à la proclamation du vainqueur et la prestation de serment du nouveau président, il demeure pleinement chef de l’exécutif, garant de la continuité de l’État et du fonctionnement des institutions.
Une confusion entre légitimité morale et légalité institutionnelle
Cette polémique traduit surtout une confusion entre deux registres :
• la légitimité politique, fondée sur la perception d’équité dans la compétition électorale ;
• et la légalité constitutionnelle, qui encadre la durée et l’exercice du mandat.
Le politologue Amadou Koné, auteur de La neutralité du président et la démocratie en Afrique (CEDA, 2020), le résume ainsi :
« Le président-candidat a un devoir d’impartialité politique, mais la Constitution ne le démet pas de ses fonctions. La neutralité relève de l’éthique, pas du droit. »
En d’autres termes, la campagne électorale impose une obligation morale de retenue, mais pas une suspension juridique du pouvoir.
Le président sortant reste dans son rôle, mais il doit éviter tout usage abusif des moyens de l’État à des fins partisanes.
Les actes présidentiels restent valides pendant la campagne
Autre point contesté par les partisans de la « vacance de fait » : la valeur des décisions présidentielles après le 10 octobre.
Or, le principe de continuité de l’État est intangible.
Les décrets, ordonnances ou nominations signés pendant la campagne restent pleinement valides, car ils sont pris par une autorité légalement investie.
Les contester reviendrait à plonger le pays dans une incertitude institutionnelle dangereuse.
Les exemples africains abondent :
• Au Sénégal, Macky Sall a gouverné jusqu’à la fin de son mandat malgré les soupçons de parti-pris.
• Au Ghana et au Nigeria, les présidents sortants ont continué d’exercer leurs fonctions tout en menant campagne.
Dans aucun de ces pays, la candidature du chef de l’État n’a été assimilée à une vacance de pouvoir.
La marche du 11 octobre : un acte politique, pas constitutionnel
La marche annoncée par le Front Commun et le mouvement Trop c’est trop pour le 11 octobre 2025, lendemain de l’ouverture de la campagne, prend ainsi un sens essentiellement politique.
Elle exprime la défiance d’une partie de la population face à la concentration du pouvoir, mais elle ne peut se substituer au cadre institutionnel prévu par la Constitution.
La liberté de manifestation pacifique est garantie par l’article 20 de la Constitution, mais cette liberté n’accorde pas au peuple le pouvoir de constater une vacance ou de délégitimer un président en exercice.
Ce rôle appartient exclusivement aux institutions compétentes — Conseil constitutionnel, CEI, juridictions de l’État.
Le véritable enjeu : la neutralité du processus électoral
En réalité, la question essentielle ne porte pas sur la validité du mandat présidentiel, mais sur la neutralité du processus électoral.
C’est là que se situe la responsabilité politique du président sortant.
Il doit s’abstenir de toute utilisation partisane des moyens publics et garantir l’égalité d’accès aux médias et aux ressources de l’État.
Les institutions ivoiriennes, notamment la CEI et la HACA, ont la charge d’assurer cette impartialité.
C’est donc sur leur indépendance et leur rigueur que se jouera la confiance des électeurs, bien plus que sur une interprétation militante de la Constitution.
Entre passion politique et rigueur institutionnelle
Au-delà du débat, ce moment électoral met à l’épreuve la solidité de la démocratie ivoirienne.
La tentation de transformer chaque désaccord en crise constitutionnelle reste forte.
Mais la stabilité du pays dépend précisément du respect des textes et de la confiance dans les institutions.
Comme le souligne la juriste Fatou Diabaté, spécialiste du droit public africain :
« La légitimité politique naît du scrutin, pas de la rue. Tant que le mandat n’est pas arrivé à son terme, le président sortant reste le garant de la légalité républicaine. »
En définitive
Le 10 octobre 2025 ouvre une période sensible : celle de la confrontation entre pouvoir et opposition, entre candidat-président et candidats challengers.
Mais contrairement à certaines affirmations, le droit ivoirien ne connaît pas de “vacance de fait” pendant la campagne présidentielle.
Alassane Ouattara demeure chef de l’État jusqu’à la prestation de serment du prochain président.
Ses actes restent valides, et la marche de l’opposition du 11 octobre relève du droit à la protestation, non du droit constitutionnel.
La démocratie, rappelle un juriste, ne se juge pas à la colère de la rue, mais à la solidité de ses institutions.
La rédaction
Akondanews.net