Moustiques OGM au Burkina Faso : science, promesses et interrogations

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Ouagadougou, 15 août 2025 – La lutte contre le paludisme, maladie qui tue chaque année plus de 600 000 personnes dans le monde, repose de plus en plus sur des solutions innovantes. Parmi elles, le projet “Target Malaria”, en cours au Burkina Faso depuis 2012, propose l’utilisation de moustiques génétiquement modifiés (OGM) pour freiner la transmission du parasite.

Mais si l’ambition scientifique est claire, les questions sur la sécurité, la transparence et le suivi du programme persistent.

Comment fonctionne un moustique OGM ?

Le principe de “Target Malaria” repose sur deux approches principales :
1. La stérilisation des mâles
• Les moustiques mâles, qui ne piquent pas, sont modifiés pour être incapables de produire une descendance viable.
• Relâchés dans la nature, ils s’accouplent avec des femelles sauvages, ce qui entraîne une diminution progressive de la population.
2. L’édition génétique “gene drive”
• Grâce à la technologie CRISPR-Cas9, un gène spécifique est inséré dans l’ADN des moustiques.
• Ce gène est conçu pour se transmettre automatiquement à quasiment toute la descendance, forçant la propagation rapide du trait dans la population sauvage (par exemple, uniquement des mâles, ou une incapacité à se reproduire).

Objectif scientifique : réduire de manière drastique la densité de moustiques vecteurs, et donc la transmission du paludisme, sans recourir massivement aux insecticides.

Pourquoi ces moustiques suscitent-ils des inquiétudes ?

Le courrier adressé aux autorités burkinabè exprime plusieurs préoccupations, qui rejoignent celles de certains scientifiques :
• Risque de mutation génétique imprévue
Les moustiques, comme tout organisme vivant, peuvent évoluer. Une mutation imprévue pourrait neutraliser le mécanisme prévu, voire créer un moustique plus résistant.
• Effets sur l’écosystème
La disparition d’une espèce ou sa modification génétique peut affecter la chaîne alimentaire : prédateurs privés de nourriture, autres espèces envahissantes prenant leur place…
• Manque de contrôle national
Les souches de moustiques étant produites à l’étranger (notamment en Angleterre), le pays n’a pas un contrôle total sur leur composition génétique.
• Insuffisance de moyens de suivi
Un contrôle post-lâcher exige des laboratoires performants, des entomologistes qualifiés et un budget conséquent. Le courrier souligne que le Burkina Faso ne dispose pas encore de ressources suffisantes pour un suivi continu.
• Absence de cadre clair en cas de problème
Qui serait responsable d’un dommage sanitaire ou environnemental imprévu ? Et qui indemniserait les victimes potentielles ?

Lâcher discret et demande de transparence

Selon les auteurs du courrier, un nouveau lâcher de moustiques OGM aurait eu lieu le 11 août 2025 de manière non annoncée. Cette absence de communication officielle nourrit les suspicions et alimente les demandes de publication :
• d’un bilan complet des essais menés depuis 2012,
• et d’un plan de gestion des risques, incluant les mesures d’urgence et les compensations éventuelles.

Un dilemme éthique et scientifique

Pour les chercheurs engagés dans le projet, les moustiques OGM représentent une opportunité historique de vaincre le paludisme sans recourir aux pesticides, dont l’efficacité diminue et qui peuvent avoir des effets nocifs sur l’environnement.
Pour les sceptiques, l’enjeu est de ne pas remplacer un problème par un autre, et de garantir que toute intervention génétique soit réversible si nécessaire.

Point commun aux deux camps : la nécessité d’un suivi indépendant et d’un dialogue constant avec la population.

En résumé

Les moustiques OGM illustrent le visage double de l’innovation scientifique : un potentiel immense pour sauver des vies, mais aussi des incertitudes réelles qui demandent prudence et transparence.
Comme le rappelle le courrier : « Il n’existe pas d’expérimentation sans risques ».

Kakaboara, correspondant à Abidjan

Akondanews.net

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