ÉDITO | IPSA 2025 : Et si la science politique osait enfin l’altérité ?

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Par Claude Gbocho DP-Akondanews.net, pour AkondaNews

Il y a parfois, dans le monde feutré de l’univers académique, des événements qui dessinent des tournants décisifs. Le 28ᵉ Congrès mondial de l’IPSA, tenu à Séoul en juillet 2025, est de ceux-là. Non pas parce qu’il a réuni plus de 3 000 politologues venus des quatre coins du monde – ce que l’IPSA sait faire depuis 1949. Mais parce que, pour la première fois peut-être avec une telle intensité, la centralité occidentale y a vacillé, remplacée par une volonté lucide de désoccidentaliser les savoirs et d’ouvrir, sans simulacre, l’espace de la science politique à d’autres histoires, d’autres voix, d’autres urgences.

Ce congrès n’était pas une foire universitaire. Il était une réponse intellectuelle et politique à un monde en crise : reculs démocratiques, résurgences autoritaires, insécurités multiples, effondrements sociaux, dérives technologiques, migrations contraintes, invisibilisations épistémiques. Et face à cela, un constat lucide : la science politique ne peut plus se contenter de théoriser les symptômes. Elle doit oser questionner ses fondations.

L’IPSA, entre héritage universaliste et tournant décolonial

L’histoire de l’IPSA, née des décombres de la Seconde Guerre mondiale, est indissociable de celle d’un monde en recomposition. À l’époque, il s’agissait de reconstruire la pensée politique sur des bases rationnelles, comparatistes et pluralistes, face aux totalitarismes. Mais ce pluralisme restait souvent pris dans les filets d’une grille de lecture occidentale : démocraties libérales contre régimes autoritaires, élections contre dictature, marché contre planification.

Le virage amorcé à Séoul est donc bien plus qu’un aggiornamento académique. C’est une tentative courageuse de faire droit aux savoirs périphériques, aux paradigmes marginalisés, aux expériences politiques non hégémoniques.

L’intervention magistrale de la professeure Aïssa Halidou en est la preuve éclatante. En analysant les transitions militaires au Sahel non pas comme de simples anomalies, mais comme les symptômes d’une crise démocratique ancrée dans l’héritage colonial, l’insécurité chronique et la fracture entre élites et populations, elle a renversé les évidences. Et proposé une chose rare dans les cercles savants : une critique enracinée, méthodique, politiquement engagée.

Ce que dit le Sud, ce que doit entendre le Nord

Ce que les voix du Sud – africaines, asiatiques, latino-américaines, palestiniennes – ont porté à Séoul n’est pas un folklore géopolitique, ni un simple appel à la visibilité. C’est un réquisitoire contre la prétention à l’universalité d’un modèle de pensée politique qui a trop longtemps ignoré le poids des violences historiques, des dépendances économiques et des aspirations populaires.

En cela, le congrès a fonctionné comme une chambre d’écho d’un monde fracturé, mais aussi comme un laboratoire d’idées pour un futur commun. Les réflexions sur les populismes, les identités, l’intelligence artificielle, le changement climatique ou la marchandisation du savoir ont trouvé un écho différent lorsqu’elles étaient pensées depuis Lagos, Bogotá, Séoul ou Ouagadougou.

C’est cette polyphonie, cette capacité à penser « avec » au lieu de penser « sur », qui redonne à la science politique sa portée critique et transformatrice.

Une vue des participants du 28e congrès mondial du 12 au 17 juillet à Séoul (Corée du Sud)


Une promesse à tenir

La présidente de l’IPSA, la professeure Diane Panke, a pris des engagements forts : réviser le code éthique de l’organisation, soutenir davantage les chercheurs du Sud, créer un observatoire des menaces sur la liberté académique. C’est un début. Mais les promesses ne valent que si elles se traduisent en pratiques structurelles : accès équitable aux publications, fonds de recherche dédiés, multilinguisme assumé, co-construction des savoirs.

Le prochain congrès en 2027 se tiendra à Rome. C’est une bonne nouvelle si, et seulement si, Rome devient le prolongement de Séoul, et non son démenti. Si les institutions européennes savent écouter les signaux venus du Sud, et non les domestiquer au nom d’une coopération policée.

Le courage de repenser les fondations

Plus que jamais, le monde réclame une science politique audacieuse, connectée aux peuples, ancrée dans le réel. Une science qui n’a pas peur de repenser la démocratie au-delà du vote, de questionner la gouvernance au-delà des modèles, d’analyser la souveraineté au-delà des États.

L’IPSA peut devenir cette boussole. Mais à une condition : accepter de se déplacer elle-même, de déraciner ses routines, de confronter ses angles morts, de s’ouvrir aux récits pluriels d’un monde en recomposition.

Ce que Séoul 2025 a inauguré, ce n’est pas un simple congrès. C’est peut-être une refondation intellectuelle, un appel à repolitiser la science politique, à la sortir de ses zones de confort, pour la remettre au service des peuples, des luttes et des espérances.

Et si l’histoire retenait ce moment comme le début d’un basculement ? Ce serait, sans doute, la meilleure chose qui pourrait arriver à une discipline trop longtemps restée silencieuse devant l’injustice du monde.

Akondanews.net

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